L'Essentiel

Le candidat Emmanuel Macron défendait un changement de paradigme : passer d’un raisonnement centré sur les infrastructures à une logique centrée sur le service. Il appelait de ses vœux une politique de transport fondée sur les mobilités du quotidien, saisissant les opportunités offertes par les nouvelles technologies.

La France dispose d’un réseau de transports particulièrement important, mais aujourd’hui vieillissant, dans un contexte financier qui rend impératif la révision de son modèle de financement. L’arrêt des grands projets d’infrastructure pour financer la modernisation des infrastructures existantes est annoncé dans le programme d’Emmanuel Macron. Le renouveau de la politique de transports est justifié, selon le candidat, par la nécessité d’améliorer le service fourni aux citoyens, et non pas par les contraintes financières existantes.

Afin de prioriser les besoins et d’assurer la soutenabilité financière des projets, le gouvernement rédige une loi d’orientation des infrastructures dont la programmation pluriannuelle se fait en étroite collaboration avec le Conseil d’orientation des infrastructures (COI), installé par le gouvernement en octobre 2017.

Pour conduire ses réformes, le gouvernement s’est appuyé sur de larges concertations et sur les préconisations d’experts du secteur (Assises de la mobilité, Assises de l’aérien, etc.) en écartant le recours aux ordonnances pour certains sujets (l’ouverture à la concurrence prévue dans la réforme de la SNCF), en le gardant comme option pour d’autres (par exemple, le statut des cheminots).

Données clés

  • En France, en 2016, les dépenses de transport représentaient 17,3 % du PIB, soit une dépense de 386 Md€, réalisée à moitié par les ménages ; en 2015, le financement du transport par les administrations publiques était de 43,7 Md€ (dépenses de fonctionnement et d’investissement confondues).
  • Environ 76 % des dépenses de transport sont consacrées à la route, 8 % au transport ferroviaire, 6 % aux transports collectifs (urbains et en car), 7 % au transport aérien, le reste aux transports fluvial et maritime.
  • La France dispose d’un réseau de transport particulièrement important (1,078 millions de kilomètres de routes en France métropolitaine contre 0,417 millions au Royaume-Uni ; 29 000 kilomètres de voies ferrées principales contre 17 000). Le réseau ferroviaire français est le deuxième d’Europe en longueur, derrière celui de l’Allemagne, et est comparable à ce dernier en termes de densité.
  • En 2015, 928 milliards de voyageurs-kilomètres ont été transportés sur le territoire français : 738 milliards en véhicule individuel, 105 milliards en transport ferré, les 85 milliards restant en bus, car ou avion.

Dates clés

19 septembre 2017

Début de la consultation des Assises nationales de la mobilité

septembre 2017

13 decembre 2017

Clôture des Assises nationales de la mobilité

decembre 2017

17 janvier 2018

Abandon de la réalisation de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes

janvier 2018

15 fevrier 2018

Conclusions de la mission de concertation sur l’avenir du secteur ferroviaire à l’horizon 2030

fevrier 2018

20 fevrier 2018

Lancement de la concertation sur la réforme de la SNCF

22 fevrier 2018

Annonces du gouvernement sur le Grand Paris Express

14 mars 2018

Dépôt du projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnances pour la réforme de la SNCF

mars 2018

20 mars 2018 - 30 septembre 2018

Assises du transport aérien

Engagements de campagne

La mobilité et les transports sont des enjeux prioritaires pour la compétitivité, l’attractivité et l’égalité des territoires. Ils sont par ailleurs clé pour que chacun puisse accéder à un emploi, une formation ou encore une insertion professionnelle selon ses besoins, et pour que les entreprises trouvent des collaborateurs. Par ailleurs, la mobilité absorbe une grande partie du “budget temps” des Français. C’est pour cela qu’Emmanuel Macron a fait de la mobilité du quotidien le cœur de ses engagements concernant les transports et la mobilité.

Si le candidat Macron fait le diagnostic d’un réseau de transport français de qualité, il constate néanmoins que celui-ci est menacé de vieillissement. Aussi, la priorité pour le candidat est d’améliorer l’existant avant de lancer de nouvelles infrastructures : il propose un plan d’urgence pour les investissements de rénovation (rail et routes, surtout nationales, l’écart de niveau d’entretien entre les routes nationales et autoroutes concédées étant grandissant).

Emmanuel Macron candidat considère par ailleurs qu’il est urgent que la France se saisisse des opportunités offertes par les nouvelles technologies afin de répondre aux défis de la mobilité de demain. En effet, le secteur des transports est l’un des plus impactés par la transformation numérique, juste derrière celui des médias, et ce n’est pas un hasard si le mot “ubérisation” vient de Uber, société digitale pure player, qui a “disrupté” le marché des taxis dans le monde entier.

Le candidat ne s’est jamais directement exprimé sur les questions de transports. Les “promesses de campagne” étaient de ce fait moins précises – et sans doute moins engageantes – que dans d’autres domaines, notamment concernant les opérateurs.

Toutefois, les axes de politique de transports du candidat sont les suivants :

  • raisonner en termes de services plutôt que d’infrastructures ;
  • développer l’intermodalité dans l’offre de transport ;
  • favoriser les véhicules “propres”, notamment grâce à une fiscalité adaptée et des investissements sur les infrastructures de recharge électrique ;
  • moderniser et mieux utiliser les infrastructures existantes avant d’envisager de nouveaux projets ;
  • mettre en place une loi d’orientation sur les infrastructures afin de prioriser les besoins et assurer la soutenabilité financière des projets.

Concernant la SNCF, Emmanuel Macron s’est engagé à préparer la mise en concurrence des activités “voyageurs domestiques” tout en laissant entendre que l’État reprendrait la dette historique du groupe public ferroviaire.

État des lieux

Méthode

L’action du gouvernement, sous la responsabilité d’Élisabeth Borne, ministre en charge des Transports, est caractérisée par :

  • le choix de paralléliser les dossiers avec le lancement simultané de plusieurs chantiers, en s’appuyant sur les promesses de campagne ;
  • la volonté d’aller vite, d’adopter des textes et décisions complexes dans des délais courts ;
  • l’utilisation systématique de méthodes de consultations larges, de façon à écouter et prendre en compte les demandes de tous les acteurs économiques et sociaux (notamment les associations d’usagers) : Assises de la mobilité, consultations spécifiques sur la logistique, Assises de l’aérien, consultation sur les ordonnances liées à la réforme de la SNCF… De même, ce sont près de soixante ateliers territoriaux qui ont été organisés pour la préparation du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM) ;
  • la mobilisation d’experts, comme Jean-Cyril Spinetta, Philippe Duron, Anne-Marie Idrac, ou encore les sept personnalités qui ont dirigé les Assises de la mobilité ;
  • le souhait de recourir aux ordonnances sur un sujet très sensible, le dossier SNCF (souhait abandonné fin mars sur la question de l’ouverture à la concurrence).

L’ensemble de ces travaux vise à construire un programme de transformation cohérent, afin d’augmenter les options de mobilité pour les citoyens et les collectivités locales, dotant ainsi la France d’une réglementation moderne en matière de nouvelles mobilités et d’utilisation des données de mobilité. La réforme de la SNCF, quant à elle, est justifiée par la volonté de garantir la pérennité d’un service public ferroviaire plus fiable et plus efficace, notamment pour les transports du quotidien.

La mise en œuvre d’une loi de programmation pour les infrastructures de transport

Afin de proposer une loi de programmation pour les infrastructures, le gouvernement a instauré un Conseil d’orientation des infrastructures (COI) présidé par Philippe Duron. Ce Conseil a remis le 1er février dernier un rapport à Élisabeth Borne.

Trois scénarios y sont présentés, les décisions devant être prises avant l’été :

  • le premier évalue ce qui est réalisable si l’État maintient son budget actuel sur vingt ans. Ce scénario condamne la plupart des grands projets et rend complexe le financement de toutes les opérations de maintenance lourde ;
  • le deuxième, construit pour permettre la réalisation des priorités du gouvernement, représente un budget de 60 Md€ sur vingt ans pour l’État, soit un investissement supplémentaire de 600 M€ par an ;
  • enfin, le troisième repose sur un investissement de 80 Md€, un scénario “idéal” permettant de réaliser l’ensemble des investissements envisagés par les équipes techniques ou demandés par des élus locaux.

Le président de la République a confirmé ses orientations sur le ferroviaire lors de l’inauguration des lignes Tours-Bordeaux et Le Mans-Rennes en juillet 2017, mais les décisions fermes concernent, pour l’instant, seulement Roissy Express (validé en novembre 2017), le calendrier de la Société du Grand Paris (voir ci-dessous) et l’abandon du projet Notre-Dame des Landes.

Le Grand Paris Express

Le gouvernement a affirmé sa volonté de mener à bien ce projet prévoyant la construction de 200 kilomètres de lignes automatiques de métro et un réseau de 68 gares en Ile-de-de France. Toutefois, si des chantiers prioritaires devront être terminés en 2024 afin d’être opérationnels pour l’accueil des Jeux Olympiques, le reste des travaux sera recalé avec un nouveau phasage des travaux à l’horizon 2030 (le projet ayant été initié en 2008).

Ce projet pose en outre des questions de soutenabilité, son coût ayant été à plusieurs reprises réévalué (estimé à 19 Md€ en 2010 contre plus de 35 Md€ en 2017 par la Cour des comptes), tandis que l’organisation institutionnelle du Grand Paris n’est toujours pas tranchée et entrave l’efficacité du projet.

La transformation numérique du secteur, les données de mobilité, les futures licornes françaises, innovation

Le gouvernement réaffirme sa volonté de soutenir le développement des start-ups françaises et d’aider les plus petites à grandir, aussi bien dans le secteur de la mobilité que ceux de la santé et de la sécurité. Des mesures précises sont attendues notamment en matière d’ouverture des données dans les semaines qui viennent. Cette volonté se retrouve avec l’objectif du gouvernement de faire de la France un leader en matière de véhicule autonome.

La réforme de la SNCF

Le gouvernement, partageant les principaux éléments de constat du rapport Spinetta, a initialement fait le choix de légiférer par ordonnances pour :

  • donner une base légale au processus d’ouverture à la concurrence ;
  • mettre fin aux embauches au statut, les nouveaux collaborateurs ayant vocation à être recrutés sur des CDI régis par la convention collective de branche en construction ;
  • transformer les trois EPIC SNCF en sociétés anonymes à capitaux publics.

Devant les réactions suscitées par l’annonce du “tout-ordonnance”, la ministre des Transports Élisabeth Borne a finalement annoncé, fin mars, qu’elle soumettrait en avril aux députés les amendements qui organiseront la mise en concurrence de la SNCF.

Toutefois, au moment où s’écrit ce texte, la position du gouvernement demeure peu explicite sur les questions relatives au financement du ferroviaire français (reprise de la dette de la SNCF, financement de l’impasse opérationnelle annuelle de l’ordre de 2 Md€, futur système de redevances d’accès au réseau…). Il en est de même concernant l’organisation future du groupe SNCF, même si le Premier ministre a à la fois indiqué que la dette serait reprise “d’ici la fin du quinquennat” et que le “schéma allemand” inspirerait l’organisation future de la SNCF.

Enfin, deux sujets majeurs seront écartés de la réforme de la SNCF : la question de la fermeture des petites lignes, ainsi que la question du régime spécial de retraites de la SNCF, dont l’avenir sera discuté dans le cadre de la réforme globale des retraites prévue pour 2019.

Le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM)

La rédaction du projet de loi est en cours et à ce jour, les thématiques devraient être les suivantes :

  • le développement des véhicules propres, par exemple en développant les infrastructures de recharge électrique ;
  • les nouvelles mobilités comme le co-voiturage ou le vélo ;
  • les mobilités au service de l’emploi ou de l’insertion sociale, les mobilités pour les publics fragiles ou handicapés ;
  • les questions de sûreté ou de sécurité ;
  • des mesures particulières pour les zones rurales, périurbaines ou de centre-ville ;
  • l’ouverture des données de mobilité pour développer des services mais aussi améliorer les politiques de mobilité ;
  • des sujets de gouvernance.

Il est attendu que ce projet de loi donne vie à quelques grands thèmes de la campagne comme “la fin de l’assignation à résidence” ou la nécessité de “réduire la fracture territoriale” ; il faudra attendre plus de précisions sur le texte pour analyser.

Analyse

La présidence Macron sera l’occasion d’inflexions fortes dans la politique de transports, que l’on devine bien même si toutes les décisions ne sont pas prises et si la réforme ferroviaire est seulement entamée.

Sur le fond, se dessine un nouvel équilibre entre les transports publics, la voiture (plus propre, plus partagée), les nouveaux modes (notamment vélo), avec une forte dimension écologique. On note une ligne idéologique visant à remettre en cause les rentes ou les préjugés du passé, pour s’attaquer avec pragmatisme aux questions concrètes. Cela se traduit, par exemple, par un propos visant à réfléchir en termes de services de transport effectivement offerts aux habitants, plutôt qu’en termes de grands projets d’infrastructure. On retrouve là la démarche qui avait inspiré la libéralisation des transports par autocar, dits “cars Macron”.

Le gouvernement souhaite par ailleurs s’attaquer aux enjeux financiers et d’investissement autrement que par une politique de rabot budgétaire, c’est-à-dire en faisant de véritables choix et en finançant la maintenance lourde, qui a été beaucoup trop négligée. Toutefois, même si des ballons d’essais ont été lancés, on peine encore à déterminer si – une fois les choix faits – notre système de transports disposera de financements pérennes, ou continuera de reposer sur le sous-entretien ou l’accumulation de dette débudgétisée. Faut-il voir dans les annonces faites sur la privatisation d’ADP les prémisses d’une réouverture du champ des financements privés, ou simplement une opération patrimoniale ?

Sur la forme, on peut considérer comme des marqueurs de cette première année la volonté de trancher de façon claire des sujets complexes et sensibles (Notre-Dame des Landes, statut des cheminots, ouverture à la concurrence voyageurs), mais aussi la concertation systématique avec tous les acteurs via des dispositifs type Assises de la Mobilité : professionnels, collectivités, élus, citoyens, etc.

Et maintenant ?

Beaucoup de sujets ont été ouverts et ont fait l’objet d’instructions approfondies et de concertations larges.

D’ores et déjà, des évolutions fortes de politiques publiques ont été décidées, mais de nombreuses décisions sont attendues dans les mois qui viennent : suites du rapport Duron, avenir du très coûteux projet de tunnel Lyon Turin, contenu précis du projet de loi LOM sur les nouvelles mobilités, décisions finales sur la réforme ferroviaire, et bien sûr projet de loi de finances 2019. Autant d’occasion de réaliser les promesses de campagne : une mobilité au service du quotidien, pour tous les Français – même les plus isolés –, la volonté de développer l’innovation et les champions français, et bien sûr le respect des trajectoires de dépense publique.

Enfin, comme l’illustrent le Grand Paris, le possible rétablissement de péages de congestion locaux ou d’écotaxes régionales, ou encore la fermeture des petites lignes ferroviaires, les répercussions sur le terrain des décisions prises suppose que s’invente également un nouveau mode de  “décider ensemble” et de “faire ensemble” entre l’Etat et les multiples collectivités territoriales : le développement d’une politique ambitieuse des transports impose l’alignement de multiples parties prenantes, notamment depuis la loi NOTRe. Cette transformation, visant à créer une nouvelle forme de gouvernance des mobilités dans laquelle la place de l’Etat reste à définir, n’est pas la plus facile que le pays doive réussir.