L'Essentiel

  • Emmanuel Macron place son action Outre-mer sous le principe de la “responsabilité partagée” afin de parvenir à “une émancipation réelle des Outre-mer dans la République”. Cette ligne se distingue du postulat de “l’égalité réelle” et privilégie une voie propre à chaque territoire, qui rappelle l’objectif d’un “développement endogène” promu sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy avant que la crise des Antilles en 2009 n’impose une inflexion.
  • Le PLF 2018 ne traduit pas toutefois d’inflexion notable et s’inscrit dans la continuité d’une action publique marquée par l’impératif de convergence et par la multiplication des dispositifs d’allègements fiscaux.
  • Par-delà les crises qui ont frappé la Guyane en 2017 et affectent Mayotte en 2018, et la quasi destruction des Iles-du-Nord par le cyclone Irma, imposant autant de mesures d’urgence, l’exécutif s’efforce de mettre en place des actions structurantes et un mode de gouvernance dans le cadre de délégations interministérielles.
  • Toutefois, le gouvernement ayant opté pour une vaste consultation dans le cadre des “Assises des Outre-mer”, les choix décisifs ne sont pas encore arrêtés et bien des incertitudes demeurent s’agissant des nouveaux dispositifs fiscaux, économiques et sociaux et quant à l’ampleur des adaptations réglementaires.

Dates clés

17 mai 2018

Annick Girardin est nommée ministre des Outre-mer, confirmant le maintien d’un ministère de plein exercice et la nomination d’une élue d’Outre-mer rue Oudinot

mai 2018

6 septembre 2017

L'ouragan Irma s'abat sur plusieurs îles des Antilles, dont Saint-Barthélemy et Saint-Martin qui est détruite à 95 %. Un comité interministériel pour la reconstruction des Iles-du-Nord est créé par décret le 12 septembre et placé sous l’autorité du préfet Philippe Gustin

septembre 2017

4 octobre 2017

Lancement des Assises des Outre-mer

octobre 2017

26 octobre 2017

22e conférence des présidents des régions ultrapériphériques

26 octobre 2017 - 28 octobre 2018

Visite d’Emmanuel Macron en Guyane

2 novembre 2017

Conclusion du 16e comité des signataires de l’Accord de Nouméa qui tranche la question du corps électoral en vue de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie

novembre 2017

1 decembre 2017 - 5 decembre 2017

Visite interministérielle en Nouvelle-Calédonie

decembre 2017

8 decembre 2018

Dépôt du projet de loi organique relatif à l’organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, définitivement adopté le 20 mars 2018

decembre 2018

7 mars 2018 - 13 mars 2018

Grèves générales à Mayotte dans le cadre d’un mouvement social

mars 2018

27 mars 2018

Le 17e comité des signataires de l’Accord de Nouméa adopte pour la consultation du 4 novembre 2018 la formulation "Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?"

28 mars 2018

Nomination de Dominique Sorain comme délégué du gouvernement et préfet du département à la tête d’une équipe interministérielle pour l’élaboration d’un plan d’action pour Mayotte

1 mai 2018

Présentation du "Livre Bleu Outre-mer" au terme des Assises de l’Outre-Mer, socle des futures politiques publiques

mai 2018

3 mai 2018 - 5 mai 2018

Voyage d’Emmanuel Macron en Nouvelle-Calédonie

4 novembre 2018

Référendum d'autodétermination en Nouvelle-Calédonie

novembre 2018

Engagements de campagne

Emmanuel Macron a placé son projet pour les Outre-mer sous la double exigence du réalisme, refusant toute promesse hors de portée sur le plan financier, et de la transformation effective, visant une “émancipation réelle des Outre-mer au sein de la République” déclinée autour de six objectifs :

  • Reconstruire une politique de continuité territoriale (200 000 billets d’avions subventionnés par an) ;
  • Dynamiser les économies par des choix adaptés aux spécificités ultramarines, l’investissement dans des équipements collectifs et la formation, la réévaluation des dispositifs de soutien à l’activité, la structuration de filières d’excellence et la “croissance bleue” (filière maritime, biodiversité…) ;
  • Renforcer les instruments de la réussite pour la jeunesse : développement des dispositifs d’accès à l’emploi et à la formation, mise en place d’un ERASMUS caribéen pour un pôle d’enseignement supérieur d’excellence… ;
  • Assurer pleinement la mission régalienne de l’Etat en matière de sécurité : écoles de formations de gendarmes Outre-mer, investissement dans les métiers de la sécurité, structures d’accueil pour mineurs délinquants ;
  • Combattre la vie chère en saisissant l’Autorité de la concurrence et en luttant contre les marges indues sur la base de statistiques complètes ;
  • Donner davantage de pouvoir aux collectivités territoriales (renforcement des habilitations des collectivités uniques, compétences internationales) et mener à bien le processus consultatif en Nouvelle-Calédonie.

État des lieux

Un an après, les contours de “l’émancipation réelle des Outre-mer dans la République” demeurent parcellaires et flous.

Le cœur du projet d’Emmanuel Macron pour les Outre-mer vise leur renforcement économique par une adaptation des dispositifs et des normes aux besoins et aux spécificités des Outre-mer, la restructuration des filières et le fléchage vers les équipements collectifs d’une partie du milliard d’euros dédié sur le Grand plan d’investissement 2018-2022 lancé le 26 septembre 2017.

La loi de finances 2018 qui se traduit par un crédit en légère hausse de 17 Md€ pour les Outre-mer, auxquels s’ajoutent 4,3 Md€ de dépenses fiscales – pour une dépense publique globale de 21,5 Md€ – marque peu d’inflexions.

Cette mise en suspens tient au choix de l’exécutif de lancer au préalable des “Assises de l’Outre-mer” pour faire émerger des territoires des propositions afin de mettre en œuvre le principe de “responsabilité partagée”, avant de préciser et détailler son projet dans le cadre du “Livre Bleu Outre-mer”.

S’agissant de la jeunesse, l’accent est mis sur la formation notamment à travers l’instrument du SMA mais sans nouvelles mesures.

Sur le plan institutionnel, le gouvernement tient sa feuille de route sur la Nouvelle-Calédonie et incite les collectivités à se saisir de nouveaux pouvoirs.

Analyse

S’agissant des Outre-mer, la crise très souvent fait loi en raison des vulnérabilités des territoires, tant sociales et économiques qu’environnementales.  Le PIB par habitant est inférieur de 40 % par rapport à l’Hexagone, la proportion de bénéficiaires de minima sociaux y est trois fois supérieure, le taux de chômage deux fois plus élevé, notamment chez les jeunes, tandis que le tissu économique reste composé essentiellement de très petites entreprises. Et ces territoires sont également plus exposés aux effets du dérèglement climatique.

De fait, répondre aux urgences est la première règle de gouvernement Outre-mer : le cyclone Irma qui a dévasté les Iles-du-Nord et les tensions en Guyane et plus encore à Mayotte ont ainsi polarisé l’attention des pouvoirs publics. Pour autant, jusque dans la gestion des crises, l’exécutif s’efforce d’imprimer de nouvelles orientations qui se veulent structurantes : allègement des procédures administratives et adaptation des normes. Ainsi, à la suite d’Irma, le dispositif de chômage partiel a été simplifié pour aider les entreprises de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Quant au plan de reconstruction porté par la délégation interministérielle, il fixe l’objectif d’en “repenser l’aménagement” de manière durable.

Pour réaffirmer le rôle et l’autorité de l’État, l’exécutif semble généraliser, à l’épreuve des crises, une méthode innovante : la création d’une délégation interministérielle assurant la mobilisation et la coordination des services de l’État, comme dans le cadre de la reconstruction des îles du Nord ou face à la crise de Mayotte. La mise en place des Assises de l’Outre-mer relève, au fond, d’une logique semblable : instituer, sous l’autorité d’un délégué ou rapporteur, une équipe ad hoc, sur la base d’une consultation et de la participation de la société civile.

Le pari de l’exécutif repose donc sur le cercle vertueux d’une intervention de l’État, notamment dans le champ économique, du renforcement des pouvoirs des collectivités régionales et de l’activation de la société civile permettant l’émergence de nouveaux acteurs.

Et maintenant ?

Comme le montre la décision d’organiser des “Assises” pour impliquer les sociétés ultramarines dans l’élaboration des choix publics, l’exécutif semble en quête d’une méthode sinon d’une doctrine afin de sortir de la gestion de crise permanente et de la dépendance à l’égard de dispositifs et de pratiques sédimentés au fil du temps.

A ce jour toutefois, l’action du gouvernement dans les Outre-mer s’inscrit avant tout dans le prolongement de sa politique générale. C’est le cas notamment concernant la sortie programmée du dispositif du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) mis en place sous le précédent quinquennat qui sera l’un des défis de l’année 2019 pour les Outre-mer.

La dernière grande loi structurante pour l’Outre-mer, la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite loi “EROM”, adoptée en fin de quinquennat, prétendait articuler deux ambitions divergentes : le “droit à l’égalité réelle” articulé sur des plans de convergences, et le “droit d’adopter un modèle propre de développement”.  Qu’en adviendra-t-il ?

Le défi pour Emmanuel Macron reste d’insuffler des contenus concrets à sa vision d’une “responsabilité partagée” pour un développement adaptée sans rompre des équilibres fragiles. Un grand rendez-vous semble pris avec la traduction législative des Assises de l’Outre-mer destinée à porter toutes les adaptations nécessaires pour de nouvelles délégations et spécificités réglementaires.

La révision générale des dispositifs d’aides aux entreprises pour passer d’une défiscalisation globale à des dispositifs ciblés est tout autant nécessaire que délicate. Quant à l’ambition de créer Outre-mer des structures des filières économiques d’excellence, elle se heurte à la réalité de défis sociaux et de finances publiques contraintes : où trouver les sources de financement de projets innovants ? Et comment faire du devenir des Outre-mer une cause commune par-delà leurs singularités et leur éloignement ?

Par-delà l’activation des mobilités individuelles, une action publique innovante reste à inventer en faveur des jeunesses ultramarines, en matière de scolarisation et formation, d’accès à la vie économique et à la culture, d’engagements pour le renouveau des territoires…

Toutefois le problème des politiques publiques ultramarines étant davantage celui de leur mise en œuvre effective que des intentions gouvernementales, le temps viendra, à mi-mandat, pour l’exécutif, d’évaluer et de stabiliser dans la durée ses propres impulsions.