L'Essentiel

Le candidat Macron s’était engagé à mener une “révolution de la prévention” et à transformer en profondeur le système de santé français au service d’une plus grande qualité et de davantage d’équité. Au terme de la première année du mandat présidentiel d’Emmanuel Macron, la santé ne semble pas vraiment prioritaire et reste à la marge des grandes réformes engagées par le président de la République.

Dans la foulée des engagements du candidat Macron, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, a multiplié plans, stratégies et concertations sur de nombreux fronts : prévention, accès territorial et financier aux soins, maîtrise budgétaire.

Pour autant, les véritables réformes en matière de santé peinent à se concrétiser et il faudra sans doute attendre plusieurs mois avant de voir des changements profonds s’amorcer.

Dates clés

13 octobre 2017

Présentation du plan pour l'égal accès aux soins dans les territoires

octobre 2017

4 decembre 2017

Adoption du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2018

decembre 2017

20 decembre 2017

Adoption de la Stratégie nationale de santé

18 janvier 2018

Lancement des États généraux de la bioéthique

janvier 2018

13 fevrier 2018

Lancement de la Stratégie de transformation du système de santé

fevrier 2018

26 mars 2018

Comité interministériel pour la santé et la prévention

mars 2018

Chiffres

Hausse de la fiscalité du tabac

Descriptif  : Dans le cadre de la loi de finances pour la Sécurité sociale 2018, le gouvernement a fixé une trajectoire d’évolution du prix du paquet de cigarettes devant le conduire à 10 € en 2020. Dans cette perspective la hausse, à compter du 1er mars 2018, est fixée à 1€.
Recettes estimées entre 500 M€ et + 1,3 Md€ pour les finances publiques
Répartition des recettes supplémentaires : 
Recettes supplémentaires pour l’État : 0 %
Recettes supplémentaires pour les collectivités locales : 0 %
Recettes supplémentaires pour la Sécurité sociale : 100 %

Analyse détaillée de la proposition

Commentaire synthétique

La loi de finances pour la Sécurité sociale (LFSS) pour 2018 prévoit une hausse moyenne d’un euro du paquet de cigarettes. Le gouvernement attend de cette hausse de près de 13 %, pour l’année 2018, 500 M€ de recettes supplémentaires alors que les taxes sur le tabac ont rapporté en 2016, 11,5 Md€. Pour justifier cette hausse limitée des recettes, le gouvernement insiste sur les mesures de prévention du tabagisme qu’il compte mettre en place. Toutefois, en retenant les effets communément admis, notamment par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), d’une hausse des prix du tabac, le surcroît de recettes pourrait être plus proche du milliard d’euros en 2018. Cette forte divergence réside dans l’appréciation d’une forte élasticité prix de la demande de tabac faite par le gouvernement.

Chiffrage détaillé

La hausse d’un euro du prix du paquet est répercutée de façon différente par les manufacturiers de tabac, la direction générale des droits indirects estime que la hausse aura finalement été en moyenne de 94 centimes pour un prix moyen du paquet désormais à 7,9 €.

Les taxes sur le tabac ont rapporté, en 2016, 11,5 Md€ en baisse d’1,7 % par rapport à 2015 mais la prévision de recettes pour 2017 s’affichait à 11,8 Md€ en augmentation de 2,7 %. En supposant que la consommation n’évolue pas malgré la hausse de prix, le surcroît de recettes serait de 1,5 Md€.

Dans ses prévisions, le gouvernement a retenu l’hypothèse d’une élasticité prix de la demande de – 0,75. Cette forte élasticité retenue par le gouvernement signifie que cette hausse de prix, qui s’établit en moyenne à 13 % par paquet, suscitera un changement de comportement des consommateurs qui reviendra à faire baisser la consommation de 8 à 10 %. Cette forte baisse de la demande est justifiée par le gouvernement, par le déploiement d’actions importantes de prévention du tabagisme qui permettraient de renforcer l’effet de la hausse des prix. La baisse de la consommation limiterait ainsi le surcroît de recettes fiscales à 500 M€ pour l’année 2018.

Selon la base initiale retenue (prévisions ou réalisé 2017), l’hypothèse de 500 M€ du gouvernement est conforme à ses estimations d’évolution de la consommation.

L’élasticité prix de la demande de tabac a cependant été évaluée différemment par l’OFCE, qui l’estime à –0,3 ce qui signifie que la hausse moyenne de 13 % se traduirait par une baisse de moins de 4 % de la consommation de tabac. Le surplus de ressources pour les comptes sociaux serait ainsi de 1,3 Md€ soit 160 % de plus que l’estimation du gouvernement pour l’année 2018.

Cette hypothèse est plus proche de celle retenue par l’OMS qui fixe l’élasticité prix de la demande de tabac à – 0,4, une augmentation de 10 % des prix se traduisant par une baisse de 4 % de la consommation de tabac dans les pays développés. Dans cette hypothèse, l’impact 2018 de la hausse du prix du tabac serait plus proche d’1 Md€.

Sources utilisées

Difficultés éventuelles pour le chiffrage / aléas et incertitudes

L’évolution des comportements des usagers de tabac est la principale incertitude de ce chiffrage. Ces comportements peuvent en outre être influencés par les décisions prises par les manufacturiers, certains ayant annoncé que la hausse ne serait pas entièrement répercutée sur le prix du paquet.

Ajoutons également que de nouvelles mesures ont été récemment annoncées par la ministre de la Santé en matière de réduction de la consommation de tabac. A l’occasion du comité interministériel pour la santé et la prévention du 26 mars 2018, le Premier ministre a annoncé le remboursement des traitements antitabac, mesure qui devrait multiplier l’usage de ces traitements au sein de la population et donc diminuer la consommation.

Enfin, chaque hausse de prix provoque une hausse des achats en zone frontalière ou à l’étranger et une augmentation des ventes illégales. Ces variables pourraient peser dans le sens des hypothèses faites par le gouvernement d’un point de vue budgétaire mais pas de celui de la santé publique.

Le chiffre exact se situe vraisemblablement entre les deux hypothèses évoquées ci-dessus.

Engagements de campagne

En matière de santé, le candidat Macron a concentré son discours autour de trois priorités :

  • La révolution de la prévention. Pour le candidat Macron, notre système de santé est trop tourné vers le curatif, au détriment de la prévention des maladies et de la préservation de la santé, avec une espérance de vie en bonne santé à 65 ans inférieure de six ans à celle des Suédois. Pour incarner ce virage préventif, le renforcement de la lutte contre le tabac : “Je veux fixer comme objectif que la génération française qui naît aujourd’hui soit la première génération sans tabac” (discours de Nevers, janvier 2017), ainsi que la création d’un service sanitaire de 3 mois pour tous les étudiants en santé : “40 000 d’entre eux interviendront dans les écoles, les entreprises, pour des actions de prévention”.
  • L’égalité d’accès aux soins. Avec 13 ans d’écart d’espérance de vie entre les 5 % des hommes les plus aisés et les 5 % les plus pauvres, la France compte parmi les mauvais élèves de l’OCDE en matière d’inégalités de santé. Pour renforcer l’accès financier aux soins, le candidat Macron a proposé le remboursement intégral d’une offre d’optique et de prothèses dentaires et auditives (“reste à charge zéro”) d’ici à 2022 : “Nous mettrons en place la prise en charge à 100 % des lunettes et des prothèses auditives et dentaires d’ici à 2022. Nous réaliserons cet objectif sans augmenter le prix des mutuelles”. Le montant actuellement à la charge des ménages est de 4,5 Md€ sur ces trois secteurs. Autre enjeu : celui de l’accès territorial aux soins avec une répartition très inégale des médecins sur le territoire et des zones de plus en plus délaissées. Pour redonner envie aux professionnels de s’y installer et faciliter l’accès des patients aux services de santé, le candidat s’est engagé à multiplier par deux le nombre de maisons de santé et à développer largement la télémédecine : “Nous déverrouillerons massivement l’accès à la télémédecine, levier de lutte contre les inégalités sociales et territoriales de santé “.
  • Davantage de qualité dans les prises en charge. Le modèle de tarification des hôpitaux, uniquement basé sur le volume des actes (tarification à l’activité ou T2A), n’encourage ni la recherche de la qualité, ni la transformation du système. Le candidat Macron a promis de “plafonner à 50% le recours à la T2A et de développer de nouveaux modes de tarification plus vertueux. De plus, afin d’assurer plus de visibilité et de lisibilité aux acteurs de la santé, il s’est également engagé sur un Objectif de dépenses de l’Assurance maladie (ONDAM) pluriannuel permettant une vision de long terme dans la santé.

État des lieux

Les promesses du candidat Macron vont indéniablement dans le bon sens, de même que les déclarations de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, qui a multiplié plans, stratégies et concertations sur de nombreux fronts. Pour autant, les véritables réformes en matière de santé n’ont pas encore commencé.
Quelques moments font date : l’adoption du PLFSS en décembre 2017, avec des articles très remarqués comme celui permettant le développement de la télémédecine ou encore l’article 51, qui prévoit un financement des expérimentations organisationnelles innovantes et suscite de nombreux espoirs.
Dans le domaine de la prévention, plusieurs mesures importantes ont été prises, qui devraient avoir des conséquences très positives pour la santé publique, parmi lesquelles : 
  • l’élargissement de l’obligation vaccinale des jeunes enfants à 11 vaccins ;
  • l’augmentation progressive du prix du paquet de tabac pour atteindre 10 € en 2020 ;
  • le doublement du nombre de femmes dépistées du cancer du col de l’utérus.
Le service sanitaire des étudiants en santé devrait débuter à la rentrée 2018 et impliquer près de 50 000 jeunes. A ce jour, on ne dispose pas vraiment d’informations sur les indicateurs de réussite d’un tel projet.
En octobre 2017, un plan pour l’égal accès aux soins dans les territoires a été présenté par le gouvernement, renforçant les mesures existantes sans qu’un véritable changement puisse être constaté. Le système français se caractérise par un recours excessif à l’hôpital et une médecine ambulatoire à l’organisation archaïque. On peut donc s’interroger sur l’ambition du gouvernement à véritablement remettre la médecine ambulatoire au cœur du système. 
La Stratégie nationale de santé présentée en décembre 2017 pour la période 2018-2022 a été définie à la suite d’une concertation de quelques mois. Elle s’articule autour de quatre chantiers : la prévention, les inégalités, la qualité et la pertinence et, enfin, l’innovation. En mars 2018, le Premier ministre Édouard Philippe, a détaillé le volet prévention de cette stratégie composé de 25 mesures. Sur la question des inégalités, la mesure la plus emblématique est celle du “reste à charge zéro” avec l’annonce de la ministre de la Santé d’une concertation de quatre mois qui devrait aboutir en juin 2018.
En février 2018, une Stratégie de transformation du système de santé a été annoncée, qui reprend les mêmes éléments, en y ajoutant la dimension des ressources humaines et du bien-être au travail des professionnels de santé et l’annonce… d’une nouvelle concertation qui devra aboutir avant l’été sur une feuille de route. Un groupe de travail sur les modalités de financement des hôpitaux a été mis en place à cette occasion, qui rendra ses conclusions fin 2019. Côté numérique, le Dossier Médical Personnalisé (DMP) sera déployé sur l’ensemble du territoire après des années de tâtonnements.
Parmi les différents plans sectoriels présentés depuis le début du quinquennat, mentionnons celui pour la psychiatrie (janvier 2018). La psychiatrie, premier poste de dépenses par pathologie de l’Assurance maladie, représente un défi considérable pour la France avec 
12 millions de Français concernés et une qualité des soins extrêmement mauvaise. Ce plan comporte l’installation d’un comité stratégique de la santé mentale présidé par la ministre, un investissement en pédopsychiatrie ou encore la réévaluation des métiers.

Analyse

La multiplication des annonces, stratégies et concertations risque d’alimenter certaines frustrations parmi les acteurs de la santé, alors même que la situation sociale et managériale au sein des établissements hospitaliers se crispe chaque jour davantage.

De plus, la situation budgétaire du système de santé français, dont les dépenses représentent chaque année près de 12% du PIB, constitue un enjeu majeur. Si le déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale est passé de 8,6 Md€ en 2011 à 4,8 Md€ en 2016, cette baisse est le résultat d’une politique de rabot de court terme qui va rapidement trouver ses limites. Le gouvernement actuel a montré à l’occasion du dernier PLFSS qu’il ne semble pas prêt à engager des réformes structurelles en la matière. Pourtant, il existe des marges d’efficience réelles pour assurer la soutenabilité de long terme du système et pour pouvoir répondre ambitieusement aux défis que posent le vieillissement de la population et l’arrivée massive d’innovations technologiques.

Si la santé a été davantage évoquée à l’occasion de la campagne pour la présidentielle 2017 qu’elle ne l’avait été par le passé, elle semble encore peu prioritaire et à la marge des grandes réformes engagées par le président de la République. La santé est un secteur extrêmement complexe à réformer où corporatismes, intérêts contradictoires et résistances fortes inhibent trop souvent l’action. D’autant que, si le sentiment d’une dégradation du système de santé va croissant au sein de la population française, il n’y a pour l’instant pas de véritable conscience de l’urgence à réformer.

Et maintenant ?

Il faudra encore attendre quelques mois pour voir si les différents plans et annonces gouvernementales en matière de santé, qui ciblent les sujets prioritaires, sont suivis d’actions concrètes.
Au-delà des chantiers annoncés, quatre leviers de transformation du système doivent être impérativement mobilisés :
  • L’urgence est de retrouver des marges de manœuvre budgétaires en luttant contre le “gaspillage” qui pourrait représenter entre 20 et 30% de nos dépenses de santé. Pour lutter contre ces dépenses inutiles, un investissement massif doit être fait dans les systèmes d’information, le développement de bases de données partagées, la publication d’indicateurs sur la pertinence des actes comme leur qualité, l’information et l’incitation pour responsabiliser patients et professionnels de santé.
  • Les soins doivent être réorganisés autour des besoins des malades ayant le plus d’interactions avec le système de santé : les personnes souffrant d’affections longue durée (ALD) qui représentent 17% de la population du régime général, et celles souffrant de polypathologies. Le cloisonnement qui existe aujourd’hui entre médecine de ville, hôpital et médico-social nuit à la qualité des soins et entraîne des ruptures de prises en charge inadmissibles. Malgré les annonces répétées depuis de nombreuses années autour d’un nécessaire « virage ambulatoire », la véritable structuration de l’offre de soins de ville n’a toujours pas fait l’objet de politiques ambitieuses.
  • L’innovation biomédicale : souvent perçue comme un poste de coût, la santé est un secteur économique puissant. Les industries de santé représentent 65 Md€ de chiffre d’affaires et plus de 200 000 emplois directs. La France dispose de l’ensemble des atouts nécessaires pour être un leader de l’innovation en santé, mais elle perd du terrain dans la course internationale pour la diffusion et le développement des innovations, au détriment du système, des industries comme des patients.
  • Le numérique : malgré les avancées à venir dans le champ de la télémédecine et le déploiement du DMP, on peut déplorer l’absence d’une action massive de numérisation de notre système de santé à l’appui de la restructuration de l’offre de soins et de la constitution de bases de données notamment cliniques. Sur le sujet des données de santé, la France dispose d’une des bases médico-administratives parmi les plus importantes au monde et si les conditions d’accès à ces données se sont améliorées récemment, il reste encore beaucoup à faire pour en faciliter et multiplier les usages.