Le candidat Macron a souhaité dès la campagne présidentielle accorder une place particulière à l’Afrique, avec laquelle il souhaite nouer un “grand partenariat”. Celui-ci se concrétisera par une approche nouvelle, notamment à travers une relation de continent à continent entre l’Afrique et l’Europe, tournant la page de la “françafrique”, et centrée sur plusieurs axes prioritaires dont la sécurité, la lutte contre le changement climatique, les droits des femmes, l’éducation et la formation, les infrastructures, et le développement du secteur privé africain.
Depuis son élection, Emmanuel Macron a révélé un certain nombre de mesures lors de ses déplacements sur le continent, portant principalement sur la sécurité, la politique de développement, l’éducation et l’économie , accompagnées d’annonces symboliques, sur le franc CFA et le rapatriement du patrimoine culturel et artistique africain.
Si ces nombreuses annonces se placent dans la droite lignée des engagements du candidat Macron et constituent des signaux dans l’ensemble positifs, il est difficile à ce stade de juger l’action du président Macron, qui est encore dans le temps des promesses.
La question est désormais de savoir si Emmanuel Macron mettra réellement en œuvre sa volonté affichée de développer une relation forte entre l’Afrique et l’Europe, et de passer d’une approche traditionnellement centrée sur l’aide à un véritable partenariat économique entre les continents. Cela devra se faire notamment dans le cadre de la négociation d’accords post-Cotonou, qui devrait débuter en août 2018 au plus tard, et à laquelle les entreprises européennes devront être largement associées.
Dans son programme présidentiel, Emmanuel Macron accordait une place particulière à l’Afrique, avec laquelle il souhaite nouer un “grand partenariat” :
En mai 2017, Emmanuel Macron consacre son premier déplacement à l’étranger à la force Barkhane, le plus important déploiement militaire français avec plus de 4 000 hommes positionnés au Mali, au Tchad, au Niger et au Burkina-Faso. S’inscrivant dans la continuité de François Hollande, il n’envisage pas de sortie française de l’opération, tout en cherchant à rallier davantage de soutiens européens, comme l’Allemagne.
En juillet 2017, le nouveau président français participe au Sommet extraordinaire du G5 Sahel – composé du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad -, pendant politique régional à l’opération française Barkhane. Après avoir pesé de tout son poids diplomatique pour obtenir les résolutions 2359 et 2391 du Conseil de Sécurité de l’ONU en faveur du G5 Sahel, le président Macron s’engage à soutenir la force conjointe sahélienne qui peine à mobiliser du financement international. C’est ainsi qu’à l’issue de la conférence internationale sur le Sahel, qui s’est tenue à Bruxelles le 23 février 2018, l’UE augmente sa contribution de 50 à 100 M€, l’Arabie Saoudite s’engage à hauteur similaire, ainsi que le Qatar pour 30 millions. La totalité des fonds récoltés lors de cette conférence a dépassé les 300 millions prévus pour atteindre 414 millions d’euros sur les 500 espérés.
Lors du sommet Europe-Afrique d’Abidjan de novembre 2017, en plus de sanctions individuelles, financières et pénales sous l’égide du Conseil de sécurité, il annonce une initiative euro-africaine pour lutter contre les réseaux de passeurs et les organisations criminelles impliquées dans la vente de migrants comme esclaves en Libye.
Sous le leadership conjoint d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel lors du G20 de 2017, la France, l’Allemagne, l’UE, la Banque africaine de Développement (BAD), le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), la Banque mondiale, ainsi que l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni créent en juillet 2017 l’Alliance pour le Sahel. Dotée de plus de 6 milliards d’euros, cette Alliance a vocation à agir comme un mécanisme de renforcement de la coordination des partenaires du G5 Sahel, afin d’assurer une aide plus rapide, plus efficace et mieux ciblée autour de cinq secteurs : l’employabilité des jeunes ; l’agriculture, le développement rural et la sécurité alimentaire ; l’énergie et le climat ; la gouvernance ; la décentralisation et l’appui au déploiement des services de base. Elle soutiendra plus de 500 projets de développement local sur la période 2018-2022.
A l’issue du comité interministériel sur la coopération internationale pour le développement (Cicid) du 8 février 2018, l’aide bilatérale française sous forme de dons et d’appui aux ONGs prendra le pas sur l’aide multilatérale et se concentrera sur l’Afrique et 17 pays africains en particulier. Il est, en outre, à noter une diversification des cibles hors des anciennes colonies françaises avec l’inclusion du Libéria, de la Gambie, du Burundi ou de l’Éthiopie dans les pays prioritaires.
Dans son discours de Ouagadougou de novembre 2017, préfigurant sa vision pour l’Afrique, Emmanuel Macron prônait la mise en place d’un visa flexible pour les étudiants qualifiés cherchant à effectuer des aller-retours entre l’Afrique et l’Europe. Précisant sa vision, trois mois plus tard à Dakar, il annonce la mise en place de visas de circulation avec le pays le 4 février 2018 permettant “aux étudiants, aux académiques, aux politiques, aux hommes et femmes d’affaires de circuler beaucoup plus librement et sans autres procédures”.
Lorsqu’il s’exprimait à la communauté française de Ouagadougou le 28 novembre dernier, le président Macron annonçait la création d’un fonds d’un milliard d’euros financé par l’Agence française de développement (AFD) et Bpifrance – banque publique française d’investissement – dédié au financement des PME africaines.
En Août 2017, Emmanuel Macron crée un organe paritaire consultatif indépendant, le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), constitué d’une dizaine de personnalités françaises et/ou binationales ayant un lien fort avec l’Afrique. Majoritairement jeunes et issues de la société civile, leur mission est de nourrir la politique africaine du président et de formuler des propositions d’action en Afrique, en étant un lien permanent avec la jeunesse, la société civile, les entrepreneurs et les femmes du continent.
Le 28 novembre 2017, lors de sa visite à Ouagadougou, le président Macron a qualifié le franc CFA de “non-sujet pour la France”, tout en se déclarant “favorable” à un changement du “nom” ou de “périmètre” de la monnaie voire prêt à considérer sa disparition, si tel était le souhait des États africains. Il n’a pas manqué, toutefois, de saluer la stabilité apportée par cette monnaie tout en réfutant les approches post-coloniales ou anti-impérialistes que le sujet soulève en Afrique.
Par ailleurs, en mars 2018, le président français confie à l’écrivain et intellectuel sénégalais Felwine Sarr ainsi qu’à l’historienne de l’art française Bénédicte Savoy la mission d’étudier les conditions de rapatriement du patrimoine culturel et artistique africain actuellement en France dans leurs pays d’origine et de leur protection sur place.
Il est impossible à ce stade de juger l’action d’Emmanuel Macron et surtout ses conséquences de moyen/long terme. Beaucoup d’annonces ont été faites, qui constituent des signaux dans l’ensemble positifs, mais tout dépendra des mesures concrètes qui seront finalement adoptées et de la qualité dans le temps de leur mise en œuvre.
A travers ses quelques déplacements sur le continent, le président Macron a démontré toute l’importance qu’il porte à l’Afrique, région qu’il considère comme stratégique. Il est indéniable que le président français a engagé une action diplomatique intensive en faveur de l’Afrique, majeure notamment sur les plans sécuritaire et du renforcement du dispositif de l’aide au développement, qui semblent constituer les deux piliers de sa politique africaine. Il s’agit désormais de les convertir en actions.
Le terrorisme et l’immigration restent des priorités du gouvernement français et deux préoccupations majeures des Européens :
L’aide au développement bénéficie, pour sa part, d’un changement de paradigme notable et intéressant, dans le discours tout du moins. Plutôt que de se cantonner à la seule relation d’État à État et aux canaux institutionnels traditionnels – qui continuent néanmoins d’exister -, sa vision d’une relation partenariale avec l’Afrique se manifeste par une volonté d’alliance par le bas avec la jeunesse, la société civile, le tissu entrepreneurial. Cette stratégie a le mérite de contourner, au moins, deux écueils historiques :
La composition du Conseil présidentiel pour l’Afrique est une illustration de cet infléchissement. En effet, d’une moyenne d’âge de 30 à 40 ans, les entrepreneurs y sont majoritairement représentés, les femmes pour moitié et l’Afrique anglophone n’est pas en reste avec deux représentants du Nigéria et du Kenya, comme pour illustrer le souhait de sortir du pré-carré français.
Concernant le franc CFA, au-delà des questions de forme sur lesquelles Macron est à l’aise pour évoluer (changement de nom, de périmètre), certains éléments de fond peuvent difficilement être éludés au vu des interpellations en Afrique : compte d’opération, parité fixe avec l’euro notamment. Il est impératif que sur ce sujet, les pays africains prennent l’initiative. Macron semble le comprendre et même le souhaiter. Tout interventionnisme de la France serait à juste titre mal compris et malvenu.
De même, la question épineuse de la restitution du patrimoine africain, qui risque de rouvrir des querelles en Europe, témoigne de la volonté d’Emmanuel Macron de montrer aux Africains qu’il comprend leur besoin de redevenir leur propre centre de gravité et s’inscrit ainsi dans sa politique qui tente de faire évoluer l’approche franco-centrée que la France a trop souvent adoptée.
À cette nouvelle approche s’opposent cependant un certain nombre de “couacs”, largement reçus au sein du continent africain comme s’inscrivant dans une logique de condescendance néocolonialiste. Ce fut notamment le cas de la remarque du président français sur la fécondité des femmes, qu’il juge trop élevée, en marge du sommet du G20 du 8 juillet ; ou de la remarque émise à l’encontre de son homologue burkinabé, lors d’une séance de questions-réponses avec des étudiants de Ouagadougou.
En outre, un schisme apparaît entre les attentes de la jeunesse africaine qui, sur le continent, souhaite mettre fin aux régimes dictatoriaux, et la persistance d’Emmanuel Macron à les recevoir et à traiter avec eux. Ceci place le président français face à un dilemme cornélien que ses prédécesseurs ont bien connu : l’interventionnisme est autant critiqué que l’est le non-interventionnisme de la France dans les affaires africaines.
La politique africaine d’Emmanuel Macron pourra être jugée à l’aune de deux tests importants : son action politique, symbolique et de sécurité, d’une part, et son action économique, de l’autre.
Sur les questions symboliques, politiques et de sécurité, qui sont tributaires des circonstances et équations personnelles, le président a commencé à donner des indications quant à son niveau de résolution, qui paraît élevé. Les écueils sont nombreux. Le G5 Sahel constitue un des plus importants enjeux stratégiques pour la France en Afrique. Mais il n’est qu’un défi parmi d’autres : quid des évolutions de la Libye et de l’Algérie par exemple ? Sur un autre registre, comme la France va-t-elle négocier le 25e anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda ?
Sur les sujets économiques, la négociation d’accords post-Cotonou – accord signé en 2000 entre l’UE et les 100 pays d’Afrique, Caraïbes et du Pacifique (pays ACP), dont l’objectif est d’instaurer des zones de libre-échange entre ces pays -, qui devrait débuter en août 2018 au plus tard, est l’occasion de mettre en œuvre la volonté énoncée par Emmanuel Macron lors de la campagne d’une relation de continent à continent avec l’Afrique. Mais également de passer d’une approche traditionnellement centrée sur l’aide à un véritable partenariat économique entre les continents. Pour cela, les entreprises européennes – françaises en particulier – devront être associées plus étroitement à ces négociations post-Cotonou, l’accord actuel expirant en février 2020. Ainsi, le fonds d’investissement d’’1Md€, financé par l’AFD et Bpifrance, dont le président Macron a annoncé la création lors de son discours de Ouagadougou devra bénéficier de cette même logique continent à continent, en incluant notamment l’Allemagne, qui souhaite investir davantage en Afrique et dispose pour cela de son bras armé, sa banque de développement, la KfW.
A l’intersection des deux champs d’ambition du nouveau président, se situe une mesure phare : la mise en place d’un visa flexible pour les étudiants qualifiés cherchant à effectuer des allers-retours entre l’Afrique et l’Europe, telle qu’annoncée lors du discours de Ouagadougou en novembre 2017. Cette mesure doit s’étendre à tous les pays africains et européens – au-delà de la France et du Sénégal – et aux travailleurs par le biais de visas économiques, afin de multiplier les opportunités pour les Africains en France et en Europe. Cela doit s’accompagner d’une simplification de l’ensemble des démarches administratives nécessaires au recrutement de salariés africains. Ainsi, la France participera aux efforts de formation et d’éducation du continent, profitables à son développement social et intellectuel.