L'Essentiel
Le président Macron a démontré, au cours de sa visite en Inde du 9 au 12 mars 2018, d’une durée comparable à celles de ses deux prédécesseurs, qu’il comptait tenir son engagement de “travailler avec l’Inde”, et d’en faire le “premier partenaire stratégique de la France en Asie”.
Cependant, un certain nombre de freins menacent la relation franco-indienne, notamment le caractère illibéral du parti nationaliste hindou au pouvoir en Inde, contraire au discours sur les valeurs politiques que le président français s’est engagé à défendre.
En accord avec ses ambitions européennes, Emmanuel Macron pourrait à l’avenir inclure davantage l’Europe dans ses relations avec l’Inde, grande absente de la visite présidentielle de mars 2018.
Dates clés
3 juin 2017
Entretien suivi d’un déjeuner de travail avec Narendra Modi à Paris
juin 2017 9 mars 2018 - 12 mars 2018
Déplacement d’Emmanuel Macron en Inde
mars 2018 Engagements de campagne
Pour le candidat Macron, la France, en tant que puissance indépendante, se doit de dialoguer et d’agir avec l’ensemble des pays qui le souhaitent, notamment en Asie, acteur désormais incontournable. Dans ce cadre, la France travaillera avec l’Inde, son “premier partenaire stratégique” sur le continent asiatique.
État des lieux
L’engagement pris pendant la campagne de “travailler avec l’Inde”, le “premier partenaire stratégique de la France en Asie”, a été tenu, comme semblent le démontrer les nombreux contrats signés dans les domaines de l’aéronautique – à lui seul, le groupe Safran remporte un contrat de 12 Md€ – et les annonces sur l’accès réciproque aux bases navales des deux pays.
La visite présidentielle de mars 2018 a permis d’avancer sur plusieurs dossiers, certes de manière inégale :
- la coopération militaire progresse de façon très significative, notamment en termes d’échange d’informations classifiées et dans l’Océan indien, comme en témoigne la décision des deux pays d’offrir un accès réciproque à leurs bases navales – y compris celles de Djibouti et de La Réunion ;
- l’inauguration de l’Alliance Solaire Internationale (en présence de 35 représentants des quelques 80 pays parties prenantes de l’ASI) donne une dimension nouvelle à la relation de la France et l’Inde, ses deux promoteurs ;
- des contrats industriels ont été signés ou ont été évoqués avec des chances d’aboutir plus ou moins grandes. Parmi eux, le projet de construction de six réacteurs nucléaires de type EPR (Réacteur Pressurisé Européen) à Jaitapur par la France lancé en 2010 fait désormais espérer à l’Elysée une “signature définitive de l’accord avant la fin de l’année”. Cependant, l’accueil chaleureux de cette nouvelle par EDF ne saurait faire oublier que sur ce même dossier, François Hollande avait annoncé en 2016 avoir bon espoir “que d’ici un an nous puissions conclure”.
Analyse
Les difficultés rencontrées sont, pour certaines anciennes, pour d’autres inédites.
Au chapitre des premières figurent les lenteurs de l’administration indienne qui risquent de freiner l’ASI et les médiocres disponibilités financières de l’Inde qui pénalisent le dossier EPR, retardé en raison de son coût et de la crainte des populations locales et des associations écologiques concernant son impact environnemental.
Au chapitre des secondes, il faut insister sur le décalage croissant entre la prétention de l’Inde à être “la plus grande démocratie du monde” et le caractère illibéral du parti nationaliste hindou au pouvoir en Inde depuis 2014. Ignorer l’appel des minorités musulmanes en Inde, qui souffrent de nouvelles atteintes aux droits de l’homme depuis quelques année, ferait entrer le président Macron en contradiction avec le discours sur les valeurs démocratiques qu’il s’est engagé à défendre.
Jusqu’à présent, la France et l’Inde apparaissaient pourtant comme des partenaires en termes de démocratie, les rapprochant ainsi face à la Chine. Autre facteur objectif de convergence, les deux pays ont intérêt à coopérer pour le “containment” de l’influence chinoise. Alors que la Chine étend son contrôle sur les voies terrestres et maritimes régionales dans le cadre de sa Nouvelle route de la soie, le président français a ainsi rappelé au cours de sa visite de mars dernier que “l’Inde a peur d’une hégémonie chinoise et a besoin d’une vraie sécurité”.
Dans le contexte du Brexit, Emmanuel Macron cherche également à profiter des difficultés de l’économie britannique pour rapprocher son pays du sous-continent indien, ne dissimulant pas à ses interlocuteurs indiens son souhait que “la France devienne [leur] premier partenaire stratégique en Europe, et plus largement en Occident”. Cette ambition louable devra néanmoins prendre en compte l’intérêt similaire porté par nos voisins allemands, dont les exportations vers l’Inde dépassent très largement les françaises.
Et maintenant ?
Outre la promotion des valeurs démocratiques, ce qui a manqué à la visite présidentielle de mars 2018 tient en un mot : l’Europe. Le président Macron a davantage présenté la France comme un point d’entrée privilégié de l’Inde en Europe que comme un des moteurs de l’Union européenne travaillant à la relance de cette dernière, contrairement aux ambitions qu’il affiche en la matière.
Ce phénomène est d’autant plus visible qu’il contraste avec l’approche retenue par François Hollande lors de sa visite de février 2013 : “Quand l’Europe ralentit, [l’Inde] freine aussi”. François Hollande comme Nicolas Sarkozy avaient chacun effectué deux visites en Inde au cours de leur mandat, si leur successeur perpétue la tradition, peut-être l’Europe sera-t-elle au menu d’une seconde visite.