Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
25/04/2017

[Anti-brouillard] Marine Le Pen ou l’art de proposer des mesures inconstitutionnelles

Imprimer
PARTAGER
[Anti-brouillard] Marine Le Pen ou l’art de proposer des mesures inconstitutionnelles
 Institut Montaigne
Auteur
Institut Montaigne


Préférence nationale, restriction de l'immigration et du regroupement familial, suppression de droits sociaux? Autant de mesures qui structurent le projet de Marine Le Pen et qui sont pourtant contraires à notre Constitution et à nos engagements internationaux.

Des principaux candidats à l’élection présidentielle, Marine Le Pen est celle qui présente le plus de propositions allant à l’encontre de la Constitution. Si des candidats comme Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon proposaient dans leur programme de passer outre la norme constitutionnelle, ils le faisaient dans le cadre plus global d’une réforme institutionnelle d’ampleur, assortie d’un passage à une sixième République. Rien d’équivalent dans le projet frontiste.

La faisabilité même du projet est donc interrogée. Longues et laborieuses, les procédures de révision constitutionnelle requièrent, entre autres, une adoption à l’identique par l’Assemblée Nationale et le Sénat. Au-delà des seules difficultés techniques que ces mesures engendreraient, le risque inhérent à celles-ci et l’atteinte aux droits fondamentaux qu’elles générerait sont plus préoccupants encore. Tour d’horizon des principales mesures anticonstitutionnelles du projet du Front national.

Rendre la scolarité payante pour les enfants de parents étrangers

L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïc à tous les degrés est inscrite dans les textes. Le Conseil constitutionnel en a tiré une obligation constitutionnelle à laquelle se heurterait donc la proposition de Marine Le Pen. De plus, l’article 28 de la Convention internationale des droits de l’enfant, que la France a ratifié, dispose que les États signataires doivent rendre l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous, ainsi que l’enseignement secondaire gratuit (ou proposer une aide financière en cas de besoin). Enfin, le code de l’éducation français pose également le principe de gratuité de l’enseignement public dans le primaire et le secondaire. Il est explicitement précisé que la gratuité vaut pour les Français et les étrangers. La proposition de Marine Le Pen contreviendrait donc à trois formes d’engagements de la France pour l’enseignement gratuit et les droits de l’enfant.

Supprimer l’Aide médicale d’État

Marine Le Pen propose de supprimer l’Aide médicale d’État (AME), un dispositif de prise en charge des soins, accordé aux étrangers résidant en France depuis plus de trois mois, même s’ils ne remplissent pas les conditions de régularité de séjour. Par application du principe général d’égalité, le Conseil d’État a jugé, dans un arrêt du 30 juin 1989, que les étrangers ne pouvaient du seul fait de leur nationalité être écartés du bénéfice d’une prestation sociale d’assistance. Un an après le jugement du Conseil d’État, le Conseil constitutionnel a consacré cette jurisprudence au niveau constitutionnel dans une décision du 22 janvier 1990. La suppression de l’Aide médicale d’État n’est donc pas conforme à la Constitution.

Créer un corps d’inspection contre la corruption de la vie politique locale, le clientélisme et les atteintes à la laïcité

Cette proposition se heurte tout d’abord à la limite fixée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 janvier 1993 relative à la création du service central de prévention de la corruption. Celle-ci décrète qu’un organisme administratif ne peut être habilité à opérer lui-même la constatation d’infractions et doit en tout état de cause restreindre son action à des enquêtes de nature administrative. Pour servir l’objectif qu’elle lui attribue, il semble que le corps d’inspection que la candidate du Front national propose de créer doive avoir des pouvoirs étendus (dont des pouvoir d’investigation propres), ce qui irait donc à l’encontre de la décision du Conseil Constitutionnel.

Qui plus est, le principe de valeur constitutionnelle de libre-administration des collectivités exclut l’exercice d’une tutelle ou d’un contrôle a priori sur l’action des collectivités. Les collectivités sont soumises a posteriori à des contrôles de nature juridictionnelle. Cette proposition est donc doublement inconstitutionnelle.

Supprimer les régions et les intercommunalités

Dans son programme, Marine Le Pen propose de ne conserver que trois niveaux d’administration : les communes, les départements, et l’État. La suppression de collectivités locales nécessiterait une révision de la Constitution, puisque l’article 72 dispose en effet que “Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les  collectivités d’outre-mer”.

Instaurer une taxe additionnelle sur tout nouveau contrat d’employé étranger

La taxe proposée par Marine le Pen est contraire au droit constitutionnel, qui garantit l'égalité devant la loi. Dans sa décision du 22 janvier 1990, le Conseil constitutionnel a déjà censuré une loi jugée discriminatoire pour certaines catégories d’étrangers résidant en France. Il avait alors précisé que les étrangers disposaient des “libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République”. Cette mesure pourrait donc être rejetée pour le même motif.

Réduire l’immigration et mettre fin à l’automaticité du regroupement familial

Le regroupement familial découle du droit à mener une vie familiale normale ainsi que de la liberté de mariage. Ces droits sont protégés tant par la Constitution (ils découlent du dixième alinéa du Préambule de 1946 qui lui est adossé), que par nos engagements européens et internationaux. La convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990, précise par exemple que pour toute décision concernant les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. Ainsi, le droit à une vie familiale normale et la liberté du mariage ne peuvent être niés parce qu’un contingent est saturé en cours d’année.

Contraire à la Constitution par bien des aspects, le programme de Marine Le Pen court le risque de ne jamais être appliqué, faute d’adhésion de la majorité parlementaire. Plus encore, il met en exergue l’antagonisme manifeste entre les valeurs de la candidate et celles de la République. Le Front national, qui se targue d’être le seul “garant de la République”, semble en réalité être le parti le mieux placé pour l’affaiblir.


Pour aller plus loin :

Présidentielle 2017 : le grand décryptage - Marine Le Pen

Les cinq points à retenir du programme de Marine Le Pen

Élection présidentielle : les lignes de fracture révélées par le scrutin

[Anti-brouillard] Dépenses non financées, économies introuvables : ce que disent les chiffres du programme de Marine Le Pen
Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne