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14/04/2020

Peut-on réussir le déconfinement ?

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Peut-on réussir le déconfinement ?
 Angèle Malâtre-Lansac
Auteur
Ancienne directrice déléguée à la Santé
 Laure Millet
Auteur
Experte Associée - Santé

Face à un virus contre lequel n'existent encore ni vaccin ni traitement avéré, différentes options ont été adoptées, révélant crûment les moyens dont chaque État disposait en matière d'équipements (masques, tests, matériels hospitaliers), mais aussi de capacité à utiliser les données de santé pour contrôler l'avancée de l'épidémie. Des pays comme Taïwan ou la Corée du Sud ont choisi de ne pas confiner l'ensemble de leur population et ont préféré mener une politique de traçage numérique précis des porteurs du virus pour briser les chaînes de transmission tout en généralisant l'usage des masques pour protéger la population.

À l'inverse, l'option retenue par la France consiste à réduire le risque de saturation des services hospitaliers sans véritable traçage des porteurs du virus ni ciblage des populations à risque. Cette stratégie du confinement généralisée, nécessaire en l'absence d'outils technologiques et de capacité de tests, est en quelque sorte la "stratégie du pauvre". Elle aura des conséquences économiques et sanitaires immenses, notamment si les conditions de sortie du confinement étaient mal calibrées. La stratégie de déconfinement doit alors être pensée dès aujourd'hui et s'appuyer sur quatre leviers à actionner de manière simultanée.

Surveiller

Le débat actuel en France sur l'utilisation des applications sur smartphone pour aider à lutter contre le Covid-19 révèle une vraie distorsion dans la perception de ce que nous vivons actuellement. Comment, en effet, parler de risques en matière de libertés publiques alors que presque toute la population est aujourd'hui enfermée et ne dispose plus d'une des libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen de 1948, la liberté de circulation ?

Certaines de ces applications préservent par ailleurs l'anonymat et n'utilisent pas de données de localisation. Elles sont aujourd'hui en développement dans de nombreux pays et fonctionnent avec la technologie Bluetooth pour tracer les contacts récents de l'utilisateur. L'idée est d'informer en temps réel les utilisateurs ayant été en contact avec un utilisateur contaminé, afin de leur demander de s'isoler pour une durée de quatorze jours. Des chambres d'hôtel pourraient à ce titre être mises à disposition pour mettre en quarantaine les personnes ne pouvant s'isoler (logements exigus, personnes sans domicile). Singapour a mis en place ce traçage numérique à travers l'application TraceTogether dont l'utilisation est volontaire. Selon une étude menée début avril par l'université d'Oxford, 80 % des Français se disent favorables à l'utilisation d'une telle application.

Tester

Bien entendu, le traçage numérique n'a d'utilité que s'il s'accompagne d'une stratégie de dépistage massif. Celle-ci se décline de deux manières : les tests moléculaires (PCR) qui permettent de détecter la présence du virus dans le corps et les tests sérologiques qui détectent les anticorps présents dans l'organisme.

La stratégie de déconfinement doit être pensée dès aujourd'hui et s'appuyer sur quatre leviers à actionner de manière simultanée.

De nombreux pays sont allés bien plus vite que la France en matière de tests moléculaires, avec des résultats très prometteurs (Israël, l'Allemagne, la Corée du Sud notamment). Le gouvernement français veut rattraper son retard et s'est engagé à produire quotidiennement 50.000 tests PCR d'ici la fin du mois d'avril. Des populations prioritaires doivent être ciblées : soignants, professionnels de première ligne, personnes en Ehpad, prisonniers, malades chroniques.

Les tests sérologiques, quant à eux, devront également être déployés massivement. On peut imaginer que les personnes séropositives (et donc immunisées) puissent être déconfinées en priorité et n'aient plus besoin d'utiliser l'application de traçage numérique.

Protéger

Le maintien des gestes barrières et de la distanciation physique sont des conditions essentielles au déconfinement. Après plusieurs semaines d'atermoiements autour de l'usage des masques dans l'espace public, jugés au départ non essentiels pour protéger les populations, un consensus semble se dessiner autour de leur utilité pour freiner la propagation du virus.

Dans son avis sur la sortie du confinement, l'Académie nationale de médecine recommande le maintien des gestes barrières, de l'interdiction des rassemblements ainsi que le port obligatoire des masques dans l'espace public. Le déconfinement progressif doit de plus être particulièrement vigilant vis à vis de certaines populations en fonction de leur profil de risque : les personnes âgées et les plus fragiles devront faire l'objet d'une protection particulière.

Soigner

L'Académie nationale de médecine recommande le maintien des gestes barrières [...] ainsi que le port obligatoire des masques dans l'espace public.

Dernier point et pas des moindres, une autre tragédie silencieuse est en train de se dérouler sous nos yeux : celle des dégâts collatéraux pour les malades chroniques non soignés. La déprogrammation de nombreuses interventions chirurgicales pour libérer des lits dans les hôpitaux, les difficultés d'approvisionnement en médicaments, la crainte des patients d'aller consulter de peur de déranger ou de contracter le coronavirus, vont engendrer dans les prochains mois un effet boomerang si rien n'est fait pour inverser cette tendance. La politique de déconfinement doit prendre ce phénomène en compte et permettre le redéploiement de moyens sur ces malades, tout en les incitant massivement à ne pas différer leurs soins.

 

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 09/04/2020)

 

Copyright : Ludovic MARIN / AFP

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