L’Académie nationale des sciences Léopoldina a également proposé des mesures progressives de dé-confinement, marquées par uneutilisation généralisée des masques de protection dans l’espace public et le recours à une application de traçage des personnes infectées, permettant d’alerter de façon anonyme les personnes courant un risque de contamination. Malgré la sensibilité de l’opinion publique allemande à la question de la protection des données, il est désormais probable que cette application, développée par l’Institut Fraunhofer Heinrich-Hertz sur le modèle d’une application utilisée par Singapour, soit l’un des éléments centraux du processus de déconfinement. Un avantage considérable de ce dispositif est que les données personnelles de l’individu ne sont jamais partagées : les informations sur les personnes croisées (chacune avec un identifiant anonyme, changé régulièrement) sont stockées localement (dans le téléphone), et non dans un serveur. Lorsqu’une personne est dépistée positive, elle peut décider, volontairement, de partager cette information, afin que les personnes qu’elle a croisées en soient informées, et qu’elles soient encouragées à se faire tester.
Le 15 avril 2020, lors d’une conférence de presse en présence du Maire de Hambourg et du Ministre-Président de Bavière, la Chancelière Angela Merkel a présenté la première étape de la stratégie allemande de dé-confinement. Elle a tenu à rappeler que la maîtrise de l’épidémie en Allemagne ne représentait qu’un "succès d’étape particulièrement fragile" (ein zerbrechlicher Zwischenerfolg), en rappelant que les règles de distanciation sociale restaient en vigueur jusqu’à la fin du mois d’avril et en recommandant fortement le port du masque dans les transports publics et dans les magasins. La Chancelière a également insisté sur la nécessité de suivre la chaîne des contaminations, en faisant référence à l’application de traçage en cours d’élaboration et à un recours accru aux tests.
Plusieurs mesures ouvrent parallèlement la voix à un dé-confinement progressif, prévoyant notamment la réouverture des commerces de moins de 800 m2, des librairies et des concessionnaires automobiles depuis le 20 avril, alors que les salons de coiffures ne pourront rouvrir que le 4 mai. La Chancelière a également annoncé une reprise progressive de l’enseignement, en commençant par les classes préparant à un examen. A partir du 4 mai, les écoles pourront rouvrir progressivement, à condition de présenter un « concept d’hygiène » propre à chaque établissement. À partir du 15 mai, les hôtels, les bars et les restaurants peuvent rouvrir à condition de respecter la distance d’1,5 mètre entre les clients ; toutes les grandes manifestations sont en revanche suspendues jusqu’au 31 août. Le 21 avril, le Ministre-Président de Bavière et le Maire de Munich annonçaient par ailleurs l’annulation de la fête de la Bière (Oktoberfest), l’un des plus grands rassemblements du pays.
Face au risque d’une "fuite en avant", le virologue Christian Drosten, l’un des scientifiques les plus influents d’Allemagne, a mis en garde contre une réouverture trop rapide, qui pourrait favoriser une nouvelle vague de contamination. Mais dans la mesure où seuls les Länder sont compétents pour décider des mesures de confinement, des différences importantes apparaissent d’une région à l’autre, rendant difficilement tenable les contraintes qui continuent d’être imposées dans les régions les plus strictes. Avec le dé-confinement s’ouvre immanquablement un débat de plus en plus virulent sur la légitimité et l'efficacité des mesures restrictives toujours en vigueur. À partir du 13 mai, des manifestations réunissent dans les grandes villes d’Allemagne des opposants aux mesures de restrictions imposées par le gouvernement, suscitant l’émergence d’un nouveau mouvement de contestation, alors qu’un débat émerge sur la possibilité d’imposer à la population de se faire vacciner une fois le vaccin contre le Covid-19 disponible. Début juin, le sentiment général en Allemagne est celui d’un pays parvenu à gérer une crise qui appartient dorénavant au passé.
Conclusion
Du fédéralisme au respect de la discipline budgétaire en passant par la protection des données personnelles, la crise a remis en cause les fondamentaux de la vie politique allemande. L’Allemagne révèle cependant la capacité de son système de soin et de son économie à absorber ce choc sans précédent.
Cette “résilience” caractérise également le système politique allemand. En montrant qu’elle conservait la maîtrise de la situation et que le pays état relativement bien préparé pour faire face à l’épidémie, la Chancelière retrouve dans cette crise une aura ternie depuis plusieurs années. Renonçant à toute rhétorique martiale, la Chancelière entend démontrer que la préparation de l’Etat et la responsabilité des citoyens sont à même d’apporter à la crise sanitaire une réponse aussi efficace que celle des régimes autoritaires. Comme le montrent les derniers sondages, le parti populiste AfD est la première victime du succès de la Chancelière. Cette crise pourrait contribuer à rebattre les cartes de la lutte pour sa succession. Au milieu de cette crise, le ministre de la Santé Jens Spahn et le Ministre-Président de Bavière Marcus Söder, s’imposent incontestablement comme les nouveaux “hommes forts” du conservatisme allemand.
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