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30/01/2024

Médiateur : soigner l'accès à la santé

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Médiateur : soigner l'accès à la santé
 Émilie Henry
Auteur
Personne qualifiée de la mission interministérielle sur la médiation en santé

Système saturé, enjeux d’accès, populations laissées à l’écart, médecins désemparés face à des situations précaires qui excèdent leur mission :  les mondes de la santé et du social sont intrinsèquement liés mais dialoguent parfois mal, faute d’intermédiaires. C’est le rôle, crucial mais au potentiel insuffisamment valorisé, du médiateur en santé. Dans cette interview pour l’Institut Montaigne, Émilie Henry, personne qualifiée de la mission interministérielle sur la médiation en santé, revient sur le rapport de l’IGAS, auquel elle a contribué. Quels sont les enjeux, les freins et les leviers de la médiation en santé ?

Qu’est-ce que la médiation en santé ?

En juillet 2023, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a publié un rapport autour de la médiation en santé. Il caractérise la médiation en santé par sa "fonction d’interface entre publics vulnérables et acteurs de santé", qui doit contribuer à la lutte contre les inégalités sociales de santé. Officiellement reconnue par la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, cette fonction souffre toutefois d’un manque de reconnaissance et mériterait d’être (re)valorisée dans le sens d’un effort de facilitation de l’accès au système de santé.

Il caractérise la médiation en santé par sa "fonction d’interface entre publics vulnérables et acteurs de santé", qui doit  contribuer à la lutte contre les inégalités sociales de santé.

Le médiateur en santé fait donc le lien entre l’usager du système de santé et le système de santé lui-même, représenté par ses professionnels. Il intervient tout au long du parcours de santé en participant à des actions de promotion de la santé, de prévention, de dépistage et diagnostic, d’intermédiation linguistique et culturelle (relation soignant/soigné) ainsi que d’accompagnement administratif et physique.

Selon une étude réalisée par ELABE au début de l’année 2023, 51 % des Français déclarent avoir un accès "compliqué, long ou partiel" aux services de soin, une proportion en forte hausse depuis octobre 2021, et 12 % déclarent n’avoir "aucun accès du tout". Les raisons de ce difficile accès aux soins sont multiples, allant de l’éloignement géographique aux difficultés de compréhension du système de santé, de la barrière de la langue et des conditions de vie. En quelque sorte, le médiateur en santé agit donc comme un "pont" entre le système de santé et les populations qui en sont éloignées. Point important, il permet également au système de santé de se questionner sur les causes de ces difficultés d’accès. Grâce aux nombreux témoignages qu’il recueille (auprès des personnes qu’il accompagne), il peut éclairer les professionnels de santé quant aux difficultés des usagers et idéalement permettre son ajustement.

Les premiers programmes de médiation en santé en France sont apparus à la fin des années 1990 pour faire face à des problèmes de santé publique touchant des populations spécifiques, tels que les personnes en situation de précarité (Point Précarité Santé à Grenoble, 1994) ou le VIH chez les populations migrantes (COREVIH, 2005). La médiation en santé s’est développée sur le terrain pour répondre de manière pragmatique aux problématiques de recours aux soins et d’accès à la santé de manière plus large des personnes. Entre 2000 et 2005, le ministère de la Santé a mis en place un programme expérimental en partenariat avec l’Institut de médecine et d'épidémiologie appliquée (IMEA) avec pour objectif de former 150 médiateurs en santé. Malheureusement, ce programme n’a pas été pérennisé.

Quelles sont les missions du médiateur en santé et en quoi joue-t-il un rôle de prévention envers les publics vulnérables ?

S’il est important d’établir un cadre déontologique d’exercice de la médiation en santé, il est nécessaire de conserver la diversité et flexibilité qui caractérisent aujourd’hui les fonctions du médiateur. En effet, ses fonctions dépendent notamment des publics et structures auprès desquels il intervient. Ce dernier peut ainsi couvrir un large panel de missions qui ont trait à la facilitation du parcours de santé et à la prévention.

Dans un premier temps, le médiateur en santé effectue des missions liées à la facilitation du parcours de santé. Il peut contribuer à l’ouverture des droits à la sécurité sociale et proposer un accompagnement  dans les démarches administratives, qui sont l’un des premiers obstacles à l’accès aux soins qui reste difficile pour de nombreuses personnes. Selon un rapport de l’Observatoire de l’accès aux droits et aux soins de Médecins du Monde, en France en 2021, 81,3 % des personnes disposant de droits théoriques à la couverture maladie n’en bénéficiaient pas. Les barrières sont multiples ; âge, barrière de la langue, fracture numérique. Le médiateur joue donc un rôle essentiel dans l’effectivité de l’accès aux droits en santé, soit sous la forme d’un appui direct, soit via l’orientation vers d’autres ressources (écrivain public, espaces services publics et numériques, permanences d’accès aux droits…)

Il aide également les individus dans leur navigation et leur compréhension du système de santé. La multiplicité des acteurs, la complexité de notre système de santé et le fonctionnement en silo rendent encore difficile la construction d’un parcours de soin par le patient. Le médiateur en santé permet de faire le lien entre le patient et ce système de santé complexe. Dans certains cas, toujours avec l’accord de la personne, le médiateur peut même accompagner le patient en consultation afin de s’assurer de la bonne communication entre ce dernier et le médecin.

81,3 % des personnes disposant de droits théoriques à la couverture maladie n’en bénéficiaient pas [...] Le médiateur joue donc un rôle essentiel dans l’effectivité de l’accès aux droits en santé.

Cette relation est l’occasion d’éclairer le médecin quant à l’environnement et aux difficultés que peut rencontrer le patient. Par exemple, le médiateur peut l’informer d’une situation d’habitat insalubre, à partir de laquelle le médecin peut rédiger un courrier pour nourrir une demande de logement social. Il représente donc un moyen de lever des freins qui n’auraient pas été discutés en consultation et d’activer des leviers autres que la seule solution sanitaire.

Par ailleurs, le médiateur en santé joue un rôle important dans le développement d’actions de prévention et de promotion de la santé. Celles-ci sont d’autant plus importantes que le système de santé est pressurisé et que le temps médical est contraint. Au sein de centres de santé, le médiateur peut organiser des ateliers à destination de publics spécifiques, par exemple, des ateliers "marche" à destination des personnes sédentaires, maladies chroniques et/ou isolés. Les médiateurs, en lien avec les médecins, peuvent aussi contribuer à la proposition et à l’animation d’ateliers sur la santé des jeunes enfants, à destination des parents. Ces ateliers ont vocation à mieux outiller les parents sur la santé de leur enfant de manière à optimiser le recours au médecin (et aux urgences). L’intervention du médiateur en santé dans le cadre d’activités de prévention et de promotion de la santé permet donc de donner aux publics visés les outils pour adopter des comportements sains et repérer les situations compliquées afin d’optimiser le temps médical.

La fonction du médiateur en santé peut également comporter une dimension d’aller-vers. Un grand nombre de médiateurs interviennent en amont en réalisant des actions d’aller-vers, à la rencontre des populations les plus éloignées du soin. Le médiateur en santé, en proximité avec les personnes éloignées du système de santé, sait comment établir un lien de confiance en construisant une relation équilibrée. Cette proximité peut être permise de deux manières. Les médiateurs en santé peuvent être des pairs des populations auprès desquelles ils interviennent, par exemple des personnes migrantes ou transgenres. Le fait de partager les mêmes problématiques et d’avoir vécu les mêmes situations favorise un lien de proximité. Quand cela n’est pas le cas, l’expérience de l’accompagnement, la formation et le cadre professionnel permettent aux médiateurs de répondre aux besoins des personnes accompagnées. Dans tous les cas, les médiateurs en santé doivent faire preuve de professionnalisme : ils doivent avoir une bonne connaissance du système de santé comme des publics avec lesquels ils travaillent et avoir la capacité de ramener les personnes vers le système de santé. Le lien se construit dans le temps.

Parmi les médiateurs en santé, tous ne réalisent pas le même panel de missions. Ils interviennent à divers niveaux. Certains effectuent beaucoup de missions d’aller-vers, tandis que d’autres sont présents dans les lieux physiques de soins ou se concentrent sur les problématiques administratives. La diversité des modèles de médiations en santé est une richesse qui offre une grande capacité d’adaptation aux besoins des différents publics. Malgré la diversité de leurs missions, tous les médiateurs en santé ont une fonction de témoignage. Effectivement, ils sont en première ligne pour observer les situations de rupture dans les parcours de soins et les dysfonctionnements du système de santé et ont la responsabilité de faire remonter ces informations au sein de leurs équipes.

Quel état des lieux la mission sur la médiation en santé en France dresse-t-elle ?

En juillet 2023, l’Inspection générale des affaires sociales a remis un rapport intitulé "La médiation en santé : un levier relationnel de lutte contre les inégalités sociales de santé". La mission a estimé que le nombre de médiateurs en santé en France était compris entre 750 et 1000 professionnels et a identifié un certain nombre de difficultés à lever pour promouvoir l’exercice de médiateur en santé en France. Tout d’abord, le métier souffre d’un manque de reconnaissance statutaire qui entretient l’ambiguïté autour de ce que recouvre la médiation en santé et limite sa pleine appréhension par les acteurs du système de santé. Par ailleurs, la médiation en santé peine à asseoir sa légitimité professionnelle parmi les acteurs sanitaires et à se positionner comme métier d’interface au regard du cloisonnement entre les mondes sanitaire, médico-social et social. Enfin, les financements de la médiation en santé demeurent encore trop éclatés entre plusieurs acteurs (ARS, politique de la ville, Assurance maladie etc.) et non-pérennes (fonctionnements par appels à projet), affectant la capacité des acteurs à construire des actions sur le moyen terme et freine l’attractivité du métier perçu comme précaire.

La mission recommande donc de travailler sur ces trois freins par la proposition, dans un premier temps, d’une reconnaissance statutaire du métier ; à travers une inscription du métier dans le code de la santé publique puis au sein des répertoires métiers idoines ; ainsi que par la formalisation d’un cadre déontologique. Par ailleurs, la mission recommande également de bâtir des voies d’accès et de formation au métier de la médiation en santé. En effet, si certaines formations existent, elles demeurent encore trop peu nombreuses et accessibles. Il apparaît prioritaire de créer :

  • pour  la formation initiale, un diplôme de médiation en santé de niveau licence ;
  • pour la formation continue, une certification professionnelle de médiation en santé.

Pour finir, la mission préconise de rationaliser et pérenniser les financements dévolus par l’État en fonction des différentes structures (centres de santé, établissements de santé, associations etc.).

Le système de santé français est très médico-centré.

Le système de santé français est très médico-centré. La mise en valeur de la médiation en santé constitue un moyen de changer de paradigme et de mettre davantage l’accent sur la prévention et la promotion de la santé, alors que notre système de santé doit se préparer à faire face à l’accroissement (aggravation) des problématiques de maladies chroniques.

Selon les chiffres de l’OMS, les maladies chroniques sont à l’origine de 41 millions de décès chaque année, soit 74 % de l’ensemble des décès dans le monde. Il est donc nécessaire de transformer notre façon de penser le système de santé afin de garantir son efficience et éviter la dégradation des situations. Il s’agit de sortir de la conception du "tout médical" et de réorienter notre système de santé vers la prévention, en s’appuyant sur le médiateur comme un acteur de santé à part entière.

Copyright image : Ludovic Marin / AFP

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