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06/11/2023

Déterminants sociaux de santé : mieux les comprendre pour mieux soigner

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Déterminants sociaux de santé : mieux les comprendre pour mieux soigner
 Laure Millet
Auteur
Experte Associée - Santé

Comme l’expliquait l'Institut Montaigne dans une récente note, la prévention en santé est encore trop souvent pensée et construite autour du soin et des professionnels de santé. Elle désigne pourtant l’ensemble des actions qui permettent d’éviter la survenue d’une maladie et son retentissement sur la vie d’un individu : en vue de cet objectif, l’analyse des déterminants sociaux de la santé est clé et permet de mieux comprendre l’environnement de vie du patient et ses facteurs de risque pour personnaliser son suivi. Les déterminants sociaux de santé désignent tous les facteurs non médicaux qui ont un impact sur l’état de santé d’une personne. Ils prennent en compte les conditions dans lesquelles une personne est née, grandit, vit, travaille, ainsi que son quotidien, son mode de vie, ses habitudes alimentaires ou encore son âge. Améliorer l’accès aux soins et les politiques de prévention en France impliquent d’inclure les déterminants sociaux et de repenser l’action publique en santé à l’aune des politiques publiques relatives au logement, à l’école, à l’environnement, au changement climatique, au travail, etc. 

L'état de santé des Français est marqué par de nombreuses inégalités socio-économiques

Malgré un système de santé universel et théoriquement accessible à tous, les indicateurs de santé publique français illustrent de profondes inégalités. Dans son rapport sur l’état de santé de la population en France, la Drees analyse les principaux indicateurs de santé à l’épreuve des inégalités. Dans l’édition de 2022, les auteurs insistent sur le fait que "les déterminants sociaux de santé se cumulent et interagissent tout au long de la vie, ce qui rend les politiques de promotion de la santé et de prévention complexes". L’état de santé d’un individu est ainsi fortement lié à ses pratiques sociales et culturelles, avec notamment des différences entre les hommes et les femmes ou entre groupes sociaux, dans les comportements de santé et le recours au système de soins. Les inégalités de santé s’observent ainsi à plusieurs niveaux, qui souvent s’additionnent et se renforcent. 

"Les déterminants sociaux de santé se cumulent et interagissent tout au long de la vie."

On l’observe tout d’abord sur les comportements à risque : même si la consommation d’alcool diminue globalement en France, les alcoolisations ponctuelles importantes augmentent et ne concernent pas de la même manière les hommes et les femmes. En France métropolitaine, 26,5 % des femmes sont concernés, contre 50,1 % des hommes.

Les habitudes de vie, notamment l’alimentation et la pratique physique et sportive sont aussi un fort vecteur d’inégalités de santé : si en France métropolitaine plus de 3 habitants sur 4 consomment tous les jours des fruits et légumes, c’est moins de 50 % dans les DROM. De même, 20 % des habitants de France métropolitaine et 30 % des habitants des DROM ne font aucun trajet à pied d’au moins 10 minutes par semaine. Le taux d’obésité est également très lié au niveau de vie en France métropolitaine et dans la majorité des DROM : elle est près de deux fois plus répandue au sein des catégories les plus modestes (18 % chez les ouvriers et les employés) que chez les catégories plus aisées (10 % chez les cadres supérieurs). En revanche, l’augmentation de la fréquence de l’obésité ces dernières années semble autant toucher les femmes que les hommes et concerne toutes les tranches d’âge. 

S’agissant de la prévention, on observe des différences importantes de recours aux dépistages selon les milieux sociaux. Dans la prévention du cancer, la participation aux dépistages suit un gradient social très net et les inégalités persistent malgré les campagnes de dépistage généralisé, notamment contre le cancer du sein. La prévalence des maladies chroniques illustre elle aussi des variations selon les caractéristiques sociales. Dans une publication de 2022, la Drees montrait qu’entre 2016 et 2017, le risque - standardisé sur l’âge et le sexe - d’être atteint dans l’année par une maladie chronique, était plus élevé chez les personnes les plus modestes que chez les plus aisées. 

Les inégalités de santé apparaissent souvent avant la naissance, avec de nombreux facteurs de risques pour la santé de la femme enceinte et de l’enfant à la naissance (consommation d’alcool, de tabac, de cannabis, entre autres) plus fréquemment présents dans les milieux plus défavorisés et moins stables économiquement. On note ensuite des différences dans la santé des jeunes enfants et des adolescents ; par exemple, la proportion de ceux qui ont des dents non cariées s’élève à 59 % pour les ouvriers, contre 77 % chez les cadres. 

Non seulement ces inégalités de santé peuvent être créées et entretenues du fait des conditions de vie et de travail des individus, de leur éducation à la santé ou de l’accès aux soins, mais certaines maladies (notamment psychiatriques et neurologiques selon la Drees) peuvent avoir un impact à long terme sur les individus, leur trajectoire éducative et sociale, les maintenant ou les faisant basculer dans des catégories sociales plus défavorisées. 

Certaines maladies peuvent avoir un impact à long terme sur les individus, les maintenant ou les faisant basculer dans des catégories sociales plus défavorisées. 
 

Mieux identifier et suivre l’évolution des déterminants socio-économiques de la santé

Afin de lutter contre les inégalités de santé, nos politiques publiques doivent se doter d’outils permettant de mieux identifier les éventuelles fragilités socio-économiques des individus, pour développer des programmes de santé et de prévention adaptés. Aux États-Unis, Healthy People 2030, une initiative lancée par le US Department of Health and Human Services (HHS), part du constat que de nombreuses personnes sont confrontées à des situations qu'elles ne peuvent pas toujours contrôler, pouvant mettre leur santé en danger (la vie dans des quartiers peu sûrs, la discrimination au quotidien, etc.) et avoir un impact négatif sur leur santé, tout au long de la vie. Selon Healthy People 2030, les déterminants sociaux de la santé sont au nombre de cinq : l’accès à une éducation de qualité, la stabilité économique, le contexte social et communautaire, l’environnement de vie et l’accès à des soins de qualité. La dimension sanitaire ne représente ainsi qu’une partie d’un tout, permettant d'inclure d’autres actions que seulement sanitaires. 

Déterminants sociaux de santé : mieux les comprendre pour mieux les soigner

L’initiative a défini un certain nombre d’indicateurs, suivis dans le temps, notamment pour apprécier l’amélioration de l’accès aux soins préventifs. Ces indicateurs sont classifiés à la fois par tranche d’âge et par pathologie. Pour les adolescents, quelques uns des objectifs fixés sont l’augmentation de la proportion de ces derniers qui parlent en privé avec un professionnels de santé lors d’une visite médicale préventive afin d’améliorer la confidentialité des échanges, l’augmentation de la proportion d’adolescents ayant bénéficié d’une visite de soins préventifs au cours de l’année écoulée ou encore l’augmentation de la proportion d’adolescentes et de jeunes femmes qui bénéficient d’un dépistage de la chlamydia. 

Chacun des indicateurs est assorti d’un niveau d’avancement, qui permet de mesurer son évolution dans le temps : "Baseline only", base de référence : l’indicateur a été fixé mais n’a pas encore été réévalué dans le temps, il n’est donc pas encore possible de savoir si des progrès ont été réalisés ; "Target made or exceeded", objectif atteint ou dépassé : l’objectif fixé il y a X années est réalisé ; "Improving", amélioration en cours : la progression vers l’atteinte de l’objectif est en cours. "Little or no detectable change", peu ou pas de changement détectable : l’objectif est complexe à mesurer et il n’est pas possible d’évaluer l’évolution ; "Getting worse", dégradation : l’atteinte de l’objectif est plus éloigné qu’il y a X année, l’indicateur s’est donc dégradé. Chaque indicateur peut se retrouver dans plusieurs dimensions des déterminants sociaux de la santé : par exemple, l’indicateurs "Augmenter la proportion d’élèves handicapés qui suivent des programmes d’enseignement classiques" se retrouvent à la fois dans les politiques d’action concernant les enfants, les adolescents, l’accès à l’école et l’adaptation de l’environnement de vie. 

La France pourrait fixer ses propres indicateurs et suivre dans le temps l’évolution de l’impact des déterminants sociaux de la santé sur l’état de santé des Français.

Cette catégorisation permet de dresser un bilan des actions de prévention et de mesurer les évolutions (amélioration ou détérioration) pour mieux définir l’action publique et associative. Sur le même modèle, la France pourrait fixer ses propres indicateurs et suivre dans le temps l’évolution de l’impact des déterminants sociaux de la santé sur l’état de santé des Français. Cette mission devra impliquer les acteurs associatifs et du médico-social. 

Permettre une meilleure intégration des soins de santé avec les actions du médico-social

La prise en compte globale des besoins sociaux et médicaux des patients, notamment ceux ayant des besoins et des coûts élevés ("high needs, high cost"), peut améliorer leur état de santé et réduire les coûts de santé. Plusieurs études américaines montrent que lorsque les établissements de soins et le secteur du médico-social collaborent pour veiller à ce que les besoins sociaux des patients les plus complexes soient satisfaits (logement, alimentation, transport, etc.), leur recours à des services de santé coûteux diminue (visites aux urgences, hospitalisations, etc.) et leur utilisation des soins préventifs et primaires peut s'améliorer.

Cette collaboration repose sur une meilleure coordination des acteurs en définissant des périmètres d’intervention précis. Le Commonwealth Fund a analysé plusieurs domaines d’interventions où les besoins sociaux sont directement liés à la santé : 

  • le logement : l’accès à un logement stable pour les personnes sans abri, souvent touchés par des maladies chroniques et des troubles de santé mentale ;
  • l’adaptation du domicile : visant à prévenir les chutes chez les personnes âgées et à réduire l’exposition aux déclencheurs environnementaux des maladies respiratoires ; 
  • l’alimentation et la nutrition : l’accès à une alimentation saine et de façon régulière, accompagné d’un suivi nutritionnel et de service de livraison de repas ; 
  • le transport médical non urgent : visant à aider les patients dans leur déplacement ;
  • la gestion globale des soins, notamment dans le cadre des maladies chroniques, par la coordination entre équipes de soin et travailleurs sociaux et communautaires ;
  • l’isolement social et la solitude : en France métropolitaine, 13 % des habitants considèrent bénéficier d’un soutien social faible, ce qui a des incidences sur leur santé, notamment les personnes âgées. 

Chacune des catégories recouvrent des individus dont les besoins sociaux et de santé sont élevés. La France a initié de nombreuses réflexions et expérimentations autour de la gestion des soins par l’intermédiaire d'équipes multidisciplinaires en santé (infirmièr(e)s, médecins, autres personnels soignants) qui coordonnent les soins des patients ayant des besoins complexes. Mais le lien avec les travailleurs sociaux, les structures associatives ou communautaires est à ce jour encore peu développé. Les travailleurs sociaux peuvent pourtant être un relais pertinent pour les équipes de soins, permettant de mieux identifier le contexte socio-économique des patients afin d’améliorer leur accompagnement. 

Comme l’écrit la Haute Autorité de Santé dans une note sur l’intégration territoriale des services sanitaires, médico-sociaux et sociaux : "l’intégration est définie comme un ensemble de techniques et de modèles organisationnels destinés à créer du lien et de la collaboration à l’intérieur et entre les secteurs sanitaires, médico-sociaux et sociaux". Elle n’améliore pas à elle seule les résultats des soins mais y contribue à travers des actions de suivi personnalisé et de coordination, reposant sur des case manager pour les patients complexes et qui ont plus souvent que la moyenne recours aux services et prestations sanitaires, du secteur médico-social et du social. C’est également le sens del’expérimentation en santé mentale Sésame, menée par le pôle Santé de l’Institut Montaigne, qui promeut une approche globale des patients et veille à mobiliser toutes les ressources sociales, médico-sociales, associatives et sanitaires, selon les besoins et les ressources disponibles sur un territoire. 

Afin de promouvoir une approche plus globale de la santé mentale et physique et améliorer la pertinence des soins, la compréhension des déterminants sociaux de la santé, de la stabilité économique au contexte social en passant par l’accès à l’éducation et aux soins, est indispensable dans la définition des parcours de santé. 

Copyright image : THEO ROUBY / AFP

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