AccueilExpressions par Montaigne[Le Monde de Trump] - Europe : "La guerre commerciale américaine sert un nationalisme civilisationnel"La plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne États-Unis et amériques10/09/2025ImprimerPARTAGER[Le Monde de Trump] - Europe : "La guerre commerciale américaine sert un nationalisme civilisationnel"Auteur Michel Duclos Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie Auteur Soli Özel Expert Associé - Relations Internationales et Turquie Découvreznotre série Le Monde de TrumpLes négociations de juillet entre Bruxelles et la Maison-Blanche, et l’accord commercial officiellement publié le 21 août, ont mis l’accent sur la logique transactionnelle de l'administration Trump. Or, cet accord ne doit pas faire oublier Munich (les déclarations du Vice-Président Vance lors de la conférence sur la sécurité) et le projet MAGA de rebâtir l’Occident. Quel est l’impact de ce cahier des charges idéologique sur la politique européenne, les relations entre États-membres et celles de l’UE avec les puissances moyennes ? Pour la série [Le monde de Trump], le politologue bulgare Ivan Krastev propose avec un certain pessimisme son analyse, dans un entretien mené par Michel Duclos avec Soli Özel. INSTITUT MONTAIGNE - On dit généralement que la logique de Donald Trump est purement transactionnelle : pourtant, les objectifs de son administration sont très idéologiques, en particulier en Europe. La sphère MAGA soutient les partis d’extrême-droite, le vice-président J.D. Vance l’a démontré assez clairement lors du discours à Munich de février dernier. Qu’en est-il selon vous ?IVAN KRASTEV - Donald Trump est peut-être un génie, mais si c’est le cas, il est le génie de l’incohérence : c’est là toute la difficulté, et on ne sait jamais s’il bluffe, pour la simple et bonne raison qu’il l’ignore lui-même. Sa logique transactionnelle est donc moins systématique qu’on ne le dit - ce sont bien des enjeux idéologiques qui déterminent aussi ses relations avec, par exemple, l’Afrique du Sud, l’Europe ou le Brésil. Pour expliquer malgré tout sa politique, il faut observer les deux tendances qui sont à l'œuvre.D’une part, une politique étrangère "dés-idéologisée". L’obsession pour le déficit commercial nourrit une conception des relations internationales selon laquelle les alliances traditionnelles des États-Unis - jadis considérées comme un des piliers de leur puissance - semblent désormais accessoires, voire nuisibles. Le président considère que les alliances risquent d’entraîner son pays dans la guerre, qu’il exècre et craint. L’attaque sur l’Iran, par exemple, a consisté en une opération ponctuelle. D’autre part, un nationalisme civilisationnel. Il se définit par la volonté de rebâtir l’Occident sur le christianisme et la "blanchité". Il s’agit d’un nationalisme anhistorique, ou "sans l’Histoire", au sens où il n’est lié ni à un peuple ni à une terre en particulier. Cette deuxième approche se regroupe principalement autour du vice-président J.D. Vance. C’est elle qui guide les choix de politique étrangère en Europe et en Amérique latine, régions géographiques perçues comme nécessaires à l’objectif de reconstruire l'Occident. C'est ainsi que les États-Unis pays ont frappé le Brésil d’une surtaxe punitive de 50 % en représaille aux poursuites engagées contre l’ex-président Jair Bolsonaro, accusé de tentative de coup d’État, alors même que la balance commerciale avec le pays est excédentaire d’environ 200 millions de dollars. IM - Le Brésil est en effet un cas d’étude parfait. Il montre les limites de la grille d’analyse transactionnelle pour décrypter les ressorts des décisions de Donald Trump : le commerce brésilien est tourné vers la Chine (premier client du pays, 24 % de ses importations et 41 % de ses exportations), les États-Unis auraient tout intérêt à faciliter les liens avec Brasilia. IK - C’est bien la preuve que la guerre commerciale sert aussi à reconstruire un certain type d’ordre international aux normes de ce nationalisme civilisationnel, notamment promu par le "groupe de Miami". C’est dans cet État de Floride qu’on trouve des personnalités influentes ayant fui les régimes de gauche autoritaire d’Amérique latine tels que le Nicaragua, la Colombie, le Venezuela ou Cuba. Miami joue ainsi, dans la structuration de l’arc d’extrême-droite américaine, un rôle semblable à celui joué par New-York dans les années 40 et 50, quand la ville, creuset du libéralisme durant la Guerre Froide, accueillait les exilés d’Europe de l’Est chassés par les régimes communistes. Ce groupe de Miami est assez influent chez les Républicains et leur poids explique certaines mesures incompréhensibles au seul prisme de l’agenda America First, qui n’ont rien à voir avec l’économie, et tout à voir avec l’idéologie. Alors que Donald Trump est assez opportuniste, ce groupe de Miami est beaucoup plus intransigeant sur certains principes et défend le projet d’un Grand Occident : ces divergences susciteront sans nul doute des tensions. En Europe, où l'"effet Trump" se fait sentir, on trouve aussi ces partisans du nationalisme civilisationnel, notamment au sein des partis d’extrême-droite alignés sur la ligne MAGA. Le vieux continent a un cycle électoral de retard par rapport aux États-Unis : les effets de cet alignement pourraient donc être plus visibles d’ici quelques temps, mais la poussée de l’extrême-droite recompose d’ores et déjà les équilibres politiques du continent. Dès lors que l’extrême-droite européenne, naguère souverainiste et ancrée dans la défense de l’État-Nation, devient transnationale, la défense de la souveraineté nationale anti-américaine revient aux partis centristes plus traditionnels.Cela n’est pas sans poser de difficultés pour Donald Trump : dès lors que l’extrême-droite européenne, naguère souverainiste et ancrée dans la défense de l’État-Nation, devient transnationale, la défense de la souveraineté nationale anti-américaine revient aux partis centristes plus traditionnels. C’est d’ailleurs aussi ce qui se passe en dehors de l’Union européenne : au Canada, le libéral Mark Carney a été investi le 14 mars sur un discours de rupture avec les États-Unis, dont les élections législatives du 28 avril ont montré qu’il était en phase avec les attentes des Canadiens.L’"effet Trump" est donc à double-tranchant : d’un côté, le soutien et l’alignement de partis européens ou occidentaux avec le projet de l’administration américaine apporte des voix aux partis d’extrême-droite, contribue à leur normalisation et étend ce que le président français Emmanuel Macron appelait, lors de la trentième conférence des ambassadeurs de janvier 2025, l'"internationale réactionnaire". De l’autre, cet alignement pro-américain peut avoir un effet repoussoir pour les électeurs traditionnellement acquis à l’extrême droite, qui se tournent vers les partis centristes. L’extrême-droite, mais aussi les partis traditionnels, sont redéfinis par cet "effet Trump". IM - Les partis de droite radicale sont bien conscients de ces ambivalences en Europe et le Rassemblement national, ou Giorgia Meloni, prennent garde à ne pas sembler trop proche des États -Unis…IK - Si l’on se place du côté de l’extrême-droite, toute la difficulté est qu’elle est traditionnellement plutôt antiaméricaine mais que le soutien que lui apporte J.D. Vance la contraint à revoir ses positions pour envoyer un message qui soit davantage "pro-Trump". Il sera extrêmement difficile à l’extrême droite de se maintenir sur cette ligne en cas de lâchage de l’Ukraine par Donald Trump, surtout en Europe de l’Est. Au-delà des difficultés de positionnement partisan et de stratégie électorale, c’est toute l’Union européenne qui est aux prises avec l'incertitude. Une nouvelle ligne de démarcation se dessine entre l’Europe de l’Ouest, où le sentiment anti-Trump est plutôt majoritaire, notamment en France ou en Allemagne, et l’Europe de l’Est, où c’est beaucoup moins le cas. L’UE a déjà traversé ce genre de divergences liées aux relations transatlantiques, comme lors de la guerre en Irak de 2003. Pourtant, les deux contextes ne sont pas substituables : à l’époque, quelles qu’aient pu être les positions sur le déclenchement de la guerre américaine, un consensus pro-américain prévalait. Ce n’est plus le cas. Désormais, dans une Europe où l’extrême-droite est beaucoup plus puissante à l’Est qu’à l’Ouest, la divergence d’approche est profonde. En Pologne ou en Hongrie par exemple, les pays qui sont directement sur la ligne de front dépendent beaucoup plus des garanties de sécurité américaine que les autres. Ainsi, juste avant l’invasion de l’Ukraine, le Conseil européen pour les relations internationales (ECFR) avait interrogé par sondage les habitants des différents pays d’Europe. À l’Est on craignait une invasion et une occupation tandis qu’à l’Ouest, on avait peur d’une guerre nucléaire. La perception du risque russe n’est pas du tout la même : cela change bien sûr le rapport aux États-Unis. Il faut donc prendre en compte l’effet Trump dans toutes ses dimensions : tendances partisanes et réalités géographiques, mouvement de fragmentation mais aussi dynamiques de rassemblement. L’évolution des tarifs douaniers sera déterminante : s’ils venaient à augmenter, malgré les négociations de Turnberry en juin, le choc économique aurait un impact politique considérable, mais très variable selon les pays. IM - Face à ces risques, quelle devrait être, selon vous, la stratégie de l’UE ? IK - La question est difficile ; l’UE est confrontée à deux pièges. Le premier serait de monter sur ses grands chevaux, et de prendre des mesures de rétorsion symboliques aux effets mal anticipés. Non seulement certains pays européens ont des positions légèrement différentes de Bruxelles sur l'administration Trump, mais surtout tous ne sont pas exposés de la même façon aux États-Unis, notamment l’Italie et l’Allemagne, et Donald Trump cherchera à traiter différemment les pays européens selon leurs positions : cela générera d'importants défis pour l’unité européenne. Symétriquement, l’autre menace qui pèse sur l’UE serait de vouloir à tout prix se concilier Donald Trump, en minimisant le retournement politique en cours aux États-Unis et au risque de la paralysie politique. S’il fallait donner un conseil à Bruxelles, ce serait de faire preuve d’un peu de "passivité-agressivité" et ce, en agissant sur trois paramètres, qui ne sont pas directement liés aux relations avec les Américains. D’abord, valoriser l’énorme potentiel de l’Union européenne et travailler sur sa compétitivité. Le rapport Draghi montre la voie. Réaliser l’union des capitaux adresserait un signal fort et particulièrement bienvenu en direction d’investisseurs qui, décontenancés par l’incertitude du côté américain, pourraient se rabattre sur l’Europe. L’UE est confrontée à deux pièges. Le premier serait de monter sur ses grands chevaux, et de prendre des mesures de rétorsion symboliques aux effets mal anticipés.Ensuite, consolider nos relations avec les puissances moyennes telles que l’Inde, le Japon ou la Corée du Sud, en offrant une alternative à l’étau constitué par la guerre commerciale avec les États-Unis et l'expansionnisme chinois…Le risque est que les États-Unis ne tolèreront aucune réponse concertée à leur offensive douanière : l'exemple brésilien l’a montré. La vendetta des 50 % de droits de douane s’expliquait par le soutien à Jair Bolsonaro, je l’ai dit, mais il s’agissait aussi de donner une leçon aux BRICS en s’attaquant au plus vulnérables des mastodontes qui les composent (même si des droits de douane de 50 % s'appliquent aussi à l’Inde). Il faut donc que l’UE parvienne à agir sans créer une surréaction américaine.Enfin, il s’agit pour l’UE de revoir certains de ses fondamentaux, rendus obsolètes dans un monde où le libre-échange et le multilatéralisme n’ont plus cours. Il faut bâtir et réinventer une Union fondée sur une politique de défense commune, sur la technologie et sur l’économie en procédant habilement à des arbitrages de politique intérieure et en jonglant avec la diversité des niveaux de développement économiques entre États-membres. Trois acteurs principaux auront un rôle majeur : la Pologne, la France et l’Allemagne. Le décalage des cycles électoraux entre la France et l’Allemagne ne simplifiera pas les choses, non plus que la cohabitation en Pologne entre le président ultraconservateur Karol Nawrocki et le Premier ministre Donald Tusk - l’instabilité politique française complique aussi la donne. IM - L’Union européenne pâtit des positions ambiguës de certains de ses membres, qui s’avèrent à tout le moins peu fiables. Comment les Européens peuvent-ils réagir ? L’existence même de l’UE pourrait-elle être remise en cause ?IK - L’Italie de Giorgia Meloni ou la Hongrie de Viktor Orbán sont conscientes qu'elles n’ont rien à gagner à la désintégration de l’Union. Viktor Orbán a lancé un pari audacieux en misant sur la Chine. Or, la Hongrie (bénéficiaire nette de l’UE) n’est utile à Pékin qu’en tant qu’elle fait partie de l’UE et ouvre ainsi la porte aux flux chinois vers l’Europe. Dès lors que ce ne serait plus le cas, la Hongrie ne serait plus si stratégique. Pour l’instant, Viktor Orbán est gagnant : plus de 40 % des IDE chinois en Europe vont en Hongrie. S'arc-bouter sur l’idée de souveraineté politique ou économique face à Bruxelles serait une absurdité : désormais, l'existence même de certains États-membres dépend directement de celle de l’UE et ceux qui opposent leurs frontières nationales à celles de l’UE doivent comprendre que la survie de leurs communautés linguistiques ou ethniques est conditionnée à celle de l’Union européenne. La rationalité économique ou politique n’étant toutefois pas ce qui guide le monde, ces arguments factuels ne veulent pas dire que les États membres, y compris illibéraux, veilleront à la solidité européenne. Ce qui n’a aucun sens peut parfois emporter l’adhésion des acteurs politiques locaux pris dans les logiques électorales. Quand Emmanuel Macron dit que l’UE est mortelle, il n’a pas tort.IM - La désintégration ne guette-t-elle pas aussi les États-Unis, dont la politique étrangère se saurait être considérée indépendamment de leur politique intérieure, et des dommages que l’administration Trump occasionne aux institutions et à la cohésion sociale ? IK - Les risques sont réels. Paradoxalement, l’extrême-droite et tout le spectre MAGA prospèrent en dénonçant le risque d’une disparition des États-Unis - alors qu’ils représentent eux-mêmes un des facteurs de risque principaux. Pendant toute la période qui a suivi la guerre froide, les comparaisons entre la chute de l’URSS et les crises que les États-Unis ont pu traverser étaient complètement exclues. Cette comparaison est désormais quasiment un cliché et l’extrême-droite y a fréquemment recours. Dans Suicide of a Superpower: Will America Survive to 2025?, paru en 2011, le journaliste Pat Buchanan dresse une comparaison point par point avec l’ouvrage de l’historien dissident Andreï Amalrik, Will the Soviet Union survive until 1984? paru en 1970. Il y a encore deux décennies, personne n’aurait prêté attention à ce genre de livre. Désormais, chercher des similitudes structurelles est à la mode. Il ne s’agit pas de dire qu’on peut déduire de grandes lois historiques en dressant des parallèles, mais les comparaisons font office d’avertissements utiles, comme le disait le journaliste russo-américain Masha Gessen dans son ouvrage The Future Is History: How Totalitarianism Reclaimed Russia (2017). Jadis, le système américain était critiqué au regard des valeurs et des idéaux américains, universalistes, démocratiques et libéraux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’identité et le projet même des États-Unis sont questionnés, pour la première fois depuis la Guerre de Sécession.Le projet de Donald Trump est radical et cette radicalité est trop souvent sous-estimée. Les États-Unis sont beaucoup plus vulnérables qu’ils n’en ont l’air : American Politics: The Promise of Disharmony (1981), de Samuel Huntington, est une lecture instructive à cet égard. Dans son analyse de la crise américaine des années 60 et 70’, le politologue soulève un enjeu essentiel : jadis, le système américain était critiqué au regard des valeurs et des idéaux américains, universalistes, démocratiques et libéraux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’identité et le projet même des États-Unis sont questionnés, pour la première fois depuis la Guerre de Sécession.Bien sûr, les États-Unis, à la différence de l’UE ou de l’URSS, sont un État-nation. Mais ils se définissent, peut-être plus que les autres, par le régime de démocratie qu’ils se sont choisis. Pourraient-ils survivre à un changement de régime ? IM - Selon une étude de la Fondation Körber, la guerre commerciale menée par la Maison-Blanche pourrait offrir une opportunité pour les puissances moyennes ; l’inverse peut aussi être défendu. Dans le contexte que vous avez posé, quelle pourrait être la place des puissances moyennes ? IK - Les puissances moyennes ont un point commun : elles estiment qu’on ne les reconnaît pas à leur juste valeur et qu’on ne leur accorde pas le statut qui leur revient dans l’ordre international. La plupart ne s’oppose pas frontalement à l'ordre libéral mais il ne les intéresse pas. En revanche, si l’ordre libéral leur offrait la place à laquelle elles estiment avoir droit, elles pourraient vouloir le défendre. Ce fut l’erreur principale de Joe Biden : croire qu’il pourrait revenir à une opposition de type autocratie/démocratie, comme du temps de la guerre froide. L’histoire ne s’écrit plus selon ces termes. L'administration Trump a été plutôt bien accueillie par les puissances moyennes mais les mesures américaines auraient pourtant de quoi susciter leur inquiétude. En premier lieu, l’erratisme du président américain génère un haut degré d’incertitude, très dommageable pour l’économie mondiale et a fortiori pour des pays qui, s’ils ont beaucoup de potentiel, présentent aussi de grandes vulnérabilités. De plus, bien qu’elles puissent coopérer dans une certaine mesure, les puissances moyennes sont avant tout en compétition les unes avec les autres et il est impossible de savoir à l’avance de quel côté se placera Trump. Enfin, les moyennes puissances - c'est presque leur caractéristique principale - sont hyperactives. Elles refusent d’être obligées de choisir entre plusieurs camps et veulent garder leur liberté de manœuvre. La guerre commerciale les met au pied du mur économique mais aussi politique.Il n’en demeure pas moins qu’il est difficile de dégager une tendance structurelle : une excellente blague belge raconte comment trois garçonnets discutent de la manière dont on fait les bébés. Le petit Allemand dit qu’ils descendent du ciel, le petit Français qu’ils viennent de la chambre à coucher, et le garçonnet suisse répond qu’il ne faut pas généraliser, et que cela dépend des cantons. Et bien, s’agissant des puissances moyennes, il faut retenir la sage parole de petit Suisse : cela dépend des pays. IM - Tout dépendra de la capacité des pays à gérer leurs vulnérabilités ... IK - Exactement. C’est d’ailleurs un paramètre que Donald Trump devrait prendre davantage en compte. Le président veut réduire sa politique aux relations bilatérales et punira tout pays qui tenterait de former des coalitions d’intérêt en réponse aux choix américains. On comprend cette logique: quel que soit le pays considéré, les États-Unis seront les plus forts. L’erreur de l'administration Trump vient du fait qu’elle considère que la priorité de n’importe quel pays du globe, petit ou gros, est sa relation avec les États-Unis. Or, certains pays ont d’autres priorités. Certaines puissances moyennes sont guidées avant tout par leurs vulnérabilités intérieures, qu’elles soient d’ordre économique, politique ou militaire. Moscou, par exemple, a fait le choix de mener sa guerre à terme plutôt que d’engager de bonnes relations commerciales avec les États-Unis, parce que l’Ukraine est sa priorité. Les puissances moyennes, qui vont se montrer de plus en plus proactives, seront le paramètre structurant des prochaines décennies - bien plus que les États-Unis ou la Chine - dans une situation caractérisée par son haut degré de volatilité et d’incertitude qui s’installera selon toute vraisemblance dans le temps. L’erreur de l'administration Trump vient du fait qu’elle considère que la priorité de n’importe quel pays du globe, petit ou gros, est sa relation avec les États-Unis.À cet égard, le directeur de l’ECFR, Mark Leonard, utilise un mot très parlant : le "Non-ordre", Unorder. Il avait déjà utilisé le concept Unpeace dans un ouvrage de 2021 (The Age of Unpeace: How Connectivity Causes Conflict). Le Non-ordre exprime l’idée selon laquelle nous ne sommes pas dans une période transitionnelle, qui nous ferait passer d’un ordre à l’autre : notre époque est caractérisée par un déficit normatif, face auquel ses acteurs ne chercheurs pas à savoir à quoi devrait ressembler le nouvel ordre du monde, ni à ériger une nouvelle construction normative, mais simplement à survivre et s’adapter.IM - Dans le monde que vous décrivez, quelle place reste-il aux enjeux multilatéraux : gouvernance, changement climatique ? Ces questions deviennent-elles hors sujet ? Si oui, quelles en seront les conséquences ? IK - Il faut s’attendre à ce que les anciennes institutions qui gouvernaient le monde et étaient les gardiennes de l’ordre multilatéral continuent d’exister, mais à l’état fantôme. Un point doit retenir notre attention : le climat. Autrefois prévalait l’idée qu’il fallait coopérer face à des défis globaux comme la prolifération atomique ou le changement climatique. Mais il existe une différence majeure entre la peur de l’arme atomique, par exemple, et la peur du changement climatique : un désastre nucléaire implique la mort instantanée de tout le monde. Le changement climatique nous affectera dans des amplitudes très diverses, et cela prendra du temps. Quand les équipes de Donald Trump affirment qu’il n’y a pas de changement climatique, elles ne réfutent pas l’existence du phénomène, mais la possibilité d’une réponse concertée. Les États-Unis dressent un constat : ils ne pourront pas sauver tout le monde, et en tirent leur parti : ils doivent se sauver eux-mêmes. Musk veut aller sur Mars : métaphore exemplaire. Loin de l’universalisme des élites et du dirigeants du siècle précédent, ceux d’aujourd'hui sont convaincus qu'il n’y a plus d’espoir et développent des réponses individuelles ou communautaires. Propos recueillis par Hortense MiginiacImprimerPARTAGERcontenus associés 23/07/2025 [Le Monde de Trump vu d’Asie centrale] - Michaël Levystone : "Le revers de ... Michel Duclos 23/07/2025 [Le Monde de Trump] - Proche et Moyen-Orient : "Les pays arabes ont la bonn... Michel Duclos 30/07/2025 [Le Monde de Trump] - "C’est en Europe que l’on est désemparé face à Trump... Michel Duclos 31/07/2025 [Le Monde de Trump] - Économie - "L'avantage du dollar n’est pas financier ... Michel Duclos Eric Chaney Hugo Dixon 06/08/2025 [Le Monde de Trump] - Inde : "La théorie du déclin des États-Unis est une p... Michel Duclos François Godement Soli Özel 15/07/2025 [Le Monde de Trump vu d’Indonésie] - Dino Patti Djalal "Le monde n’a pas be... 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