AccueilExpressions par MontaigneÉlection présidentielle en Pologne, un séisme prévisible ? La plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Coopérations internationales03/06/2025ImprimerPARTAGERÉlection présidentielle en Pologne, un séisme prévisible ? Auteur Pierre Buhler Ancien ambassadeur en Pologne Quelles perspectives ouvre l’élection de l’ultraconservateur Karol Nawrocki, soutenu par le PiS à la présidentielle polonaise ? À l’heure où la Pologne apparaît comme le bouclier oriental de l’UE, que retenir de la victoire des forces populistes et de la polarisation grandissante en Pologne ? Comment comprendre la défaite du libéral Rafal Trzaskowski, alors que la Plateforme civique de Donald Tusk était sortie victorieuse des législatives d'octobre 2023 ? Un entretien avec l’ancien ambassadeur français en Pologne, Pierre Buhler.Après la victoire de Karol Nawrocki, quelles sont les conséquences pour la Pologne ?Le séisme est brutal, mais n’était pas inattendu : la victoire de Karol Nawrocki, soutenu par le PiS, s’est jouée dans un vote serré - moins de 2 % d’écart avec le candidat libéral Rafal Trzaskowski, écart le plus faible dans l’histoire des élections présidentielles polonaises. Karol Nawrocki remplacera en août l’ancien président Andrzej Duda, au pouvoir depuis 2015, également issu des rangs du PiS. Un candidat PiS succède à un autre candidat PiS, et le président de la République en Pologne n’a que peu de pouvoir. Il ne faudrait néanmoins pas en conclure que l’incidence de cette élection est nulle, loin de là.La divergence à la tête du pouvoir en Pologne, depuis la cohabitation issue des élections législatives de 2023, ira croissant, non seulement sur le fond mais aussi sur le style.Le rapport du président Duda avec le Premier ministre Tusk était conflictuel mais policé. Karol Nawrocki, lui, est un ancien boxeur amateur quil assume l'opposition frontale, voire brutale, avec Donald Tusk.Le rapport du président Duda avec le Premier ministre Tusk était conflictuel mais policé.Karol Nawrocki, lui, est un ancien boxeur amateur dont les antécédents de hooliganisme au cours de matchs de foot sont bien connus - ils ont été rappelés durant la campagne, ce qui a d’ailleurs plutôt joué en sa faveur. Il assume l'opposition frontale, voire brutale, avec Donald Tusk. Sans avoir le pouvoir de dissoudre la Diète (chambre basse polonaise), sa capacité de nuisance est considérable : le chef du gouvernement ne dispose pas de la majorité des ⅗ nécessaire pour passer outre au veto présidentiel. Le PiS reste le premier parti de la chambre basse. Donald Tusk s’appuie lui-même sur la Coalition civique, une coalition de coalitions qui comprend trois partis : la Plateforme civique (parti libéral de centre droit), la droite conservatrice et Lewica, une formation de gauche. Des opérations de débauchage sont à prévoir envers la droite conservatrice. La coalition de Donald Tusk est donc fortement fragilisée, et son échec lors de cette élection réduit encore ses chances de mettre en œuvre son programme de restauration de l’État de droit et ses lois de libéralisation sociétale (avortement, droit des minorités etc.). L’essai marqué lors de la victoire obtenue de haute lutte en 2023 n’est pas transformé et toute réforme politique restera en suspens. Si la chambre ne s'auto-dissout pas, la vie politique polonaise restera dominée par cet antagonisme jusqu’aux élections législatives d’octobre 2027.Quel est le rôle du président de la République en Pologne ?C’est le président de la République qui promulgue les lois, ou, le cas échéant, les bloque si elles ne lui conviennent pas. La grande partie du programme électoral de Donald Tusk n’avait d’ailleurs pas pu aboutir, malgré sa victoire aux élections législatives de l’automne 2023 : Andrzej Duda avait systématiquement bloqué les propositions de loi en ne les promulguant pas ou en les renvoyant au Tribunal constitutionnel, dominé par le PiS, afin de les soumettre à un contrôle de constitutionnalité.C'est aussi entre les mains du président que repose la nomination des ambassadeurs, si bien que certains ambassadeurs en poste, proches du PiS, et jugés peu susceptibles de défendre la ligne pro-européenne et libérale de Donald Tusk, ont été rappelés pour consultation, tandis qu’étaient envoyés en poste des chargés d’affaires pour les remplacer, seul stratagème possible pour le gouvernement de la Plateforme civique. Il en va de même pour le président de la Banque centrale, Adam Glapiński - nommé par le président Duda en 2016, et dont la charge est d'autant plus importante que la Pologne n’appartient pas à l’eurozone.Le président de la République représente également la Pologne sur la scène internationale. Même s’il ne siège pas au Conseil européen, au bénéfice du Premier ministre, c'est lui qui représente la Pologne aux sommets de l’Otan (dont le prochain se tiendra à la Haye le 24 juin) et qui est le chef des armées. Deux visions stratégiques divergentes sous-tendront, au cœur des institutions de l’État, la politique extérieure polonaise.Comment caractériser le PiS, qui a soutenu la candidature de Karol Nawrocki ?Le PiS est un parti national-populiste, fondé en 2001 sur les restes du syndicat Solidarność, parti dont les positions anticommunistes se sont durcies sous l'influence des frères Kaczyński, Lech et Jarosław. Lech fut ministre de la Justice, maire de Varsovie puis président de 2005 à sa mort en 2010, dans un accident d’avion ; son frère Jarosław Kaczyński l’a remplacé et a pris la tête du gouvernement de 2006 à 2007. En 2007, la coalition gouvernementale formée par le PiS avec l’extrême droite autour d’un programme souverainiste alliant euroscepticisme et conservatisme social a éclaté. Confronté aux limites que lui imposaient la Constitution ou le Tribunal constitutionnel, le PiS a développé un argumentaire qui l’érige en “parti du peuple” dont la légitimité serait suffisante pour s’épargner le respect de l’État de droit, et a dénoncé, en forgeant le concept d’”impossibilisme juridique”, les contraintes imposées par les institutions.Le PiS a ensuite perdu les élections législatives de 2007 face à Donald Tusk, qui avait rassemblé l’opposition autour de la Plateforme civique, une coalition de centre droit restée au pouvoir jusqu’à sa défaite de 2015 - Donald Tusk avait alors déjà quitté la scène polonaise pour prendre la tête du Conseil européen en 2014.La victoire de l’opposition, en 2023, avait donc suscité beaucoup d’espoir à la fois sur la scène intérieure et au sein de l’Union européenne, espoirs désormais compromis par ces élections.Si le PiS n’avait toujours pas, en 2015, de majorité suffisante pour amender la constitution, il a aussitôt fait main basse sur les deux piliers de la démocratie que sont le système judiciaire (contrôle du Tribunal constitutionnel et de l’équivalent polonais du Conseil supérieur de la magistrature, chargé de la nomination des juges) et l’audiovisuel public, avant de s'attaquer à l’audiovisuel privé. De façon plus sournoise et progressive, le PiS a également entrepris de brider les libertés académiques et l’indépendance des universités. La victoire de l’opposition, en 2023, avait donc suscité beaucoup d’espoir à la fois sur la scène intérieure et au sein de l’Union européenne, espoirs désormais compromis par ces élections.Que retenir des transformations du paysage politique polonais ?Pour autant, le paysage politique polonais ne se réduit plus à l’opposition binaire entre la Plateforme civique de Tusk et le PiS de Kaczynski. Une lassitude vis-à-vis de ce duopole de deux décennies a offert à des formations d’extrême droite radicale, jusque-là relativement marginales, l’occasion d’une percée spectaculaire, permise notamment par une posture anti-système.Le match de 2020 avait déjà opposé Rafal Trzaskowski (30,5 % au 1er tour) au candidat du PiS, Andrzej Duda (43,5 %). En 2025, le candidat Nawrocki a recueilli au premier tour un score légèrement inférieur à celui du PiS aux législatives de 2023 (30 % vs 35,4 %). Le vrai basculement s’est donc opéré sur le front des extrêmes : plusieurs nouveaux entrants ont acquis une place considérable très rapidement.Le premier, Konfederacja, est un parti libertaire et nationaliste, anti-ukrainien, antisémite et eurosceptique (certains de ses cadres militent en faveur d’une sortie de la Pologne de l’UE, même si une telle proposition ne figure pas dans le programme officiel). Il a réuni 14,8 % des suffrages au premier tour, doublant le score qui avait été le sien aux législatives de 2023 (7 % des voix). Son candidat, Slawomir Mentzen, est un jeune entrepreneur richissime qui s’est hissé sur la scène politique via Tik Tok par son rôle de dirigeant et d’influenceur. Il s'adresse prioritairement à la jeune génération.Grzegorz Braun, plus radical encore, a remporté plus de 6 % des voix au premier tour. Royaliste réactionnaire, hostile au soutien à l’Ukraine et antisémite, ce personnage outrancier et extravagant a fait scandale en s’emparant d’un extincteur en pleine assemblée le 12 décembre 2023 pour éteindre une menorah, chandelier allumé à l’occasion des célébrations d’Hanouka - ce qui lui a valu une exclusion de Konfederacja, son parti d’origine.Cette extrême droite radicale totalise près de 21 % des voix exprimées au premier tour… Si l’on s’intéresse au choix des plus jeunes, la tendance est encore plus marquée : 60 % des suffrages des 18-29 ans se sont portés sur des formations d'extrême gauche ou d’extrême droite (36 % ont voté pour Slawomir Mentzen, 5 % pour Grzegorz Braun - proportion comparable à celle du reste de son électorat -, 19 % pour l’extrême gauche représentée par le candidat Adrian Zandberg - contre 5 % tous âges confondus). Cette logique de “dégagisme”, particulièrement sensible auprès des jeunes, a prospéré sur le sentiment de lassitude évoqué : seuls 22 % des jeunes ont voté en faveur de l’un ou l’autre des candidats des partis traditionnels de la Plateforme civique ou du PiS, lequel, après avoir gouverné de 2015 à 2023, n'apparaît plus comme un parti antisystème.Tout l’échiquier politique se déplace vers la droite.Donald Tusk lui-même a fait une place importante aux questions migratoires dans son discours, bien qu’un tel sujet ne soit pas central dans son ADN politique, et a obtenu de la Commission européenne que la Pologne soit exemptée, au nom de la sécurité intérieure, de l’application du Pacte sur la migration et l’asile adopté par l’UE en mai 2024. Le soutien à l’Ukraine, jusqu'alors très bienveillant, s'est de plus en plus étiolé, et Donald Tusk a prononcé un discours remarqué, teinté de nationalisme économique, lors la cérémonie d’ouverture du Forum Européen des Idées Nouvelles (EFNI) en avril 2024, dénonçant la “mondialisation naïve” et appelant à une “repolonisation” de l'économie et à un principe de “préférence nationale”.La Pologne apparaît donc comme un pays fortement polarisé et très divisé entre les zones rurales, où le niveau d'éducation est faible et où l’emprise de l’Église catholique est demeurée importante, et les centres urbains, où l’électorat est plus progressiste. L’écart entre villes et campagne est redoublé par l’écart entre les genres : le vote masculin a beaucoup bénéficié à l’extrême-droite, notamment au sein de l’électorat jeune, qui s'est fortement mobilisé.Comment comprendre la défaite de Donald Tusk ? Le “miracle économique polonais” ou la place gagnée par la Pologne sur la scène européenne ne lui ont pas profité ?Certes, Donald Tusk s’est acquis un important prestige international. Mais la comparaison avec Mikhaïl Gorbatchev peut être un utile rappel : le président russe, adulé en Europe, était honni dans son pays. Le rôle de la politique étrangère ne doit pas être surestimé dans le choix des électeurs.Le PiS continue de considérer que le seul partenaire fiable face au Kremlin demeure les États-Unis : dès lors, l’avenir de la Pologne consiste à développer une relation bilatérale privilégiée avec l’administration Trump, et non à renforcer l’axe européen.Tel est le cas en Pologne mais aussi aux États-Unis ou en France. De plus, la crainte inspirée par l’impérialisme russe n’implique pas un alignement européen. La fondation Geremek, émanation pro-européenne de la société civile, est vouée aux gémonies par le PiS, qui continue de considérer que le seul partenaire fiable face au Kremlin demeure les États-Unis : dès lors, l’avenir de la Pologne consiste à développer une relation bilatérale privilégiée avec l’administration Trump, et non à renforcer l’axe européen. L’idée d’une autonomie européenne suscite la méfiance de toute la droite de l’échiquier polonais, qui affiche sa préférence pour une Union européenne reposant sur des États-nations souverains. De plus, la gestion par le PiS de l'économie polonaise n’a pas été désastreuse et son souvenir n’est pas un repoussoir pour les électeurs. Le PiS a mis en place une politique de prestations sociales et de politique familiale avantageuse, le taux de croissance était de 2 à 3 % et le taux de chômage restait bas. Le principal handicap dont l'économie a souffert était dû aux sanctions imposées par la Commission face aux atteintes à l’État de droit : la mise sous séquestre d’une partie des fonds européens destinées à la Pologne a nui à l’économie, et Donald Tusk avait finalement obtenu qu’ils soient débloqués sur la base de son engagement à rétablir l’État de droit.Le miracle économique polonais est en partie imputable à cette injection massive de fonds européens depuis près de deux décennies. Mais ce succès doit être relativisé : l’économie polonaise est une économie de rattrapage caractérisée par la faiblesse de ses dépenses d'innovation, qui repose sur l’investissement étranger et reste, en termes de PIB par habitant, en-dessous de la moyenne européenne. À certains égards, la Pologne, avec un PIB correspondant au cinquième du PIB allemand et au quart du PIB français, peut-être considérée comme l’hinterland de l’économie allemande.Quelle a été l’influence de l’administration Trump sur ces élections ? Quelles sont les positions du PiS sur la relation transatlantique ? L’extrême-droite polonaise est divisée entre le national-populisme social du PiS, qui ne remet pas en cause le principe de redistribution, et la tendance Konfederacja d’inspiration libertarienne : on pourrait rapprocher ces deux lignes de celles qui partagent le mouvement MAGA, entre les partisans d’Elon Musk et celles, plus traditionalistes, qui ne remettent pas en cause le rôle social de l’État.L’influence de l’idéologie MAGA, voire l’ingérence du trumpisme, doit aussi être soulignée. Karol Nawrocki s’est rendu à Washington le 2 mai dernier pour recevoir l’onction présidentielle de Donald Trump, qui avait déclaré qu’il était le meilleur candidat. La Conservative Political Action Conference, fondée en 1964 aux États-Unis où elle est très active, a des relais en Pologne et dans le reste de l’Europe Le 27 mai, Kristi Noem, la secrétaire américaine à la Sécurité intérieure, s’est rendue en Pologne où elle a déclaré, en plein dans l’entre-deux tours, que l’élection de Karol Nawrocki garantirait à la Pologne le soutien des États-Unis ! On se souvient du soutien ouvert du Vice-Président J.D. Vance à l’AfD à la veille des élections fédérales allemandes. Cette influence ne va pas s’arrêter là : l’échéance des législatives en République tchèque, en octobre prochain, sera peut-être une nouvelle occasion pour la sphère MAGA d’étendre son influence en Europe. Propos recueillis par Hortense MiginiacKarol Nawrocki aux côtés de son épouse Marta au théâtre Mała Warszawa de Varsovie, le 1er juin 2025.copyright Wojtek RADWANSKI / AFP ImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneAvril 2024Union européenne : portée et limites des nationaux-populistesLa montée des partis nationaux-populistes pose un défi pour l'avenir de l'UE. Quelle influence réelle ces partis peuvent-ils exercer sur les politiques européennes et quelles sont leurs visions divergentes de l'avenir de l'UE ?Consultez la Note d'éclairage 24/10/2023 Une transition "normale" ? Retour sur le résultat des législatives polonais... Frédéric Zalewski 09/01/2025 Présidence tournante de l'UE : la Pologne en position de force Karolina Boronska-Hryniewiecka