Tous ont leur histoire, leurs raisons, leurs motivations, leurs explications, leurs identités propres. Mais de tous ces chefs populistes, qui ont en commun l’art de vendre des réponses simples et fausses à des questions complexes en désignant des boucs émissaires, l’un d’entre eux incarne, plus que les autres, l’archétype de ce grand retournement : le Hongrois Viktor Orbán. L’ancien jeune dissident libéral, opposant courageux à l’occupation soviétique et à la dictature communiste, formé à Oxford grâce à une bourse de la fondation Soros et fondateur au début des années 1990 d’un petit parti, le Fidesz, où se retrouvaient naturellement les jeunes démocrates européens et cosmopolites, est devenu en trente ans un populiste nationaliste, prônant les valeurs conservatrices et flirtant avec l’antisémitisme, réduisant l’expérience démocratique au seul temps de l’élection pour rogner ensuite sur les contre-pouvoirs et la liberté d’expression, accusant en premier lieu cette Union européenne à laquelle la Hongrie, comme tant d’autres pays, avait si ardemment voulu appartenir – et bien qu’il n’exprime lui-même aucunement le souhait d’en sortir.
Partout en Europe, la rhétorique eurosceptique est politiquement payante, alors que même les plus antieuropéens des dirigeants européens ne peuvent ignorer ce que l’UE a apporté en termes de démocratie, de réduction des inégalités, de protections sociales, de qualité de vie. En trente ans, l’Union européenne n’a pas su enrayer la brutalité de la mondialisation, le bouleversement des sociétés qu’elle a entraîné et avant tout cette passion triste qui se faufile entre la peur et la colère, entre la jalousie, la haine et le mal-être : le ressentiment. Le mur n’est pas tombé entre l’Est et l’Ouest, ni même entre le Nord et le Sud. L’Europe, impuissante dans la crise financière de 2008, arrogante face à la crise grecque de 2011, incapable de s’entendre face à la crise des migrants de 2015, est traversée de fractures. Sans oublier ce détail qui tissait ses premiers fils en 1989, dont personne ne saisissait encore l’enjeu, qui allait propulser de manière fabuleuse l’accès au savoir autant que miner insidieusement le fonctionnement démocratique : internet, prélude aux réseaux sociaux. Il y a trente ans, le compte à rebours commençait.
Copyright : GUNTHER KERN / AFP
Ajouter un commentaire