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22/06/2021

E-santé : qu’en pensent vraiment les Français ? 

E-santé : qu’en pensent vraiment les Français ? 
 Angèle Malâtre-Lansac
Auteur
Ancienne directrice déléguée à la Santé
 Laure Millet
Auteur
Experte Associée - Santé

Après un an d’usage massif de la e-santé, comment les Français perçoivent-ils réellement ces nouveaux outils ? Comment se les approprient-ils ? Les jugent-ils accessibles et facilitateurs pour le suivi de leur propre santé ? La Fondation Roche vient de rendre public un rapport dans le cadre de son Observatoire de l’accès au numérique en santé, dont les résultats sont très encourageants et en ligne avec le rapport consacré par l’Institut Montaigne à la e-santé. En effet, plus de 70 % des Français ont utilisé les plateformes de prise de rendez-vous en ligne et 86 % voient positivement le développement de la e-santé.

Explosion des usages du numérique en santé et forte satisfaction 

L’exemple le plus emblématique de l’explosion des usages du numérique en santé est la télémédecine et plus particulièrement la téléconsultation. D’après les chiffres de l’Assurance maladie, en avril 2020, on enregistrait un pic de 4,52 millions de téléconsultations effectuées, contre 25 000 au mois de décembre 2019. Mais la téléconsultation n’est pas la seule pratique d’e-santé à s’être démocratisée à la faveur de la crise. Les plateformes de rendez-vous médicaux en ligne se sont totalement installées dans la pratique des Français. D’après le sondage mené par la Fondation Roche, ils sont 71 % à déclarer avoir déjà eu recours à des plateformes comme Doctolib ou Maiia. L’utilisation de ces plateformes pour réserver des créneaux de vaccination va contribuer à augmenter leur nombre d’utilisateurs dans les mois à venir. 

Par ailleurs, les sites et applications de santé mises en place par le gouvernement, comme l’application TousAntiCovid mais aussi des outils plus anciens comme le compte Ameli de l’Assurance maladie, n’échappent pas à cette tendance : plus de deux Français sur trois y ont ainsi déjà eu recours. Plusieurs plateformes développées par des citoyens, comme CovidTracker, ont quant à elles mis en place des outils de visualisation des données françaises et internationales liées à l’épidémie de Covid-19 : évolution du nombre de cas positifs en France et à l’étranger, nombre de personnes en réanimation, taux d’incidence dans les différents départements, etc... à partir de données publiques. La plateforme a aussi mis en place il y a quelques mois un outil nommé VaccinTracker dont l’objectif est de visualiser l’avancement de la campagne vaccinale. 

Ainsi, à l’heure de la mise en œuvre du passe sanitaire, les Français sont 77 % à estimer que le développement des technologies numériques est utile pour mieux prévenir les épidémies et aider à mieux les gérer. Cette accélération inédite des usages a impacté positivement la façon dont les Français perçoivent le bien-fondé du développement des outils numériques dans le domaine de la santé : 86 % d’entre eux estiment que ce développement est une bonne chose. En conséquence, lorsqu’ils se projettent vers l’avenir, les Français affichent très clairement leur optimisme quant à l’intérêt du développement des outils numériques : 74 % pensent que l’utilisation de ces outils permettra d’améliorer leur suivi médical dans le futur. Ils sont également prêts, pour 69 % d’entre eux, à partager leurs données de santé pour faire progresser la recherche, au service du bien commun.

Déserts médicaux : la grande inquiétude 

Les Français sont 77 % à estimer que le développement des technologies numériques est utile pour mieux prévenir les épidémies et aider à mieux les gérer. 

L’engouement affiché des Français pour certains services existants d’e-santé est à nuancer. Pour une partie importante de la population française (47 %), le développement des outils numériques risque d’éloigner les usagers du système de santé plutôt que de les en rapprocher, et un Français sur deux a peur d’être moins bien soigné à l’avenir s’il ne maîtrise pas suffisamment les outils numériques. Pour mieux comprendre cette ambivalence des Français vis-à-vis des outils numériques en santé, il faut analyser leurs difficultés d’accès à la santé et au numérique.

En effet, l’étude menée par la Fondation Roche révèle que plus d’un tiers des Français (37 %) déclare avoir le sentiment de vivre dans un désert médical. 

Pourtant, la géographie et la densité de médecins disponibles par région ne suffisent pas à expliquer à elles seules ce sentiment exprimé par une large proportion de la population française. En effet, lorsqu’on compare la carte de la localisation des Français ayant le sentiment d’habiter dans un désert médical avec une carte de la densité de médecins par région, on remarque qu’il n’existe pas de corrélations directes entre le fait d’avoir le sentiment de vivre dans un désert médical et la réalité de la carte d’implantation des médecins sur le territoire. Malgré ce sentiment d’éloignement perçu, 87 % des Français sont satisfaits de la qualité des soins prodigués. 

L’étude permet en revanche d’observer une corrélation très nette entre éloignement du système de santé et éloignement du numérique : 52 % des Français qui se déclarent défavorisés à l'égard de l'accès aux technologies numériques se déclarent également défavorisés à l'égard de l'accès aux soins. Les explications sont multiples : précarité, manque de compétences, zone blanche, bénéfice direct insuffisamment perçu, manque d’intérêt, manque de confiance, sont autant de causes qui peuvent expliquer les freins et les non usages des personnes vis-à-vis des services numériques en santé mis à leur disposition. À ce titre, la Fondation Roche a dressé quatre types de profils (les exclus, les éloignés, les usagers ordinaires et les experts) afin de mieux comprendre le rapport que les Français entretiennent avec le numérique. 

Pédagogie et confiance : les leviers du déploiement du numérique en santé 

Dans son rapport sur la e-santé, l’Institut Montaigne démontrait comment le développement du numérique en santé est porteur de progrès inédits pour notre système de soins : contribution à la connaissance scientifique, amélioration des parcours de soins, meilleure fluidité des échanges entre professionnels de santé, développement de la télémédecine, accroissement de l’autonomie des patients dans la gestion de leur propre santé, accélération des diagnostics et des prises en charge, émergence d’une médecine plus prédictive, etc. Ces opportunités promettent de transformer durablement le paysage de la santé en France. 

À l’avenir, il est nécessaire de les prendre en compte afin de mener une politique d’inclusion numérique en santé adaptée aux attentes de la population française. 

Mais il est indispensable d’accompagner les citoyens dans la compréhension et l’usage de ces nouveaux outils. À l’avenir, il est nécessaire de les prendre en compte afin de mener une politique d’inclusion numérique en santé adaptée aux attentes de la population française. Plusieurs axes peuvent guider l’action publique en ce sens :

  • Partir d’une vision claire : que veut-on faire avec le numérique en santé ? Quelle est la vision portée à 5 ans ? Sur cet aspect, il est essentiel de bien rappeler que le rôle de l’État doit passer du statut de "gérant" au statut de "garant" des règles du jeu et de la vision, en laissant davantage de marges de manœuvres aux acteurs de terrain pour déployer des solutions innovantes. La proximité et le contact humain sont aujourd’hui indispensables à la réussite de toute politique d’inclusion numérique.
     
  • S’appuyer sur le capital humain : l’enjeu de la formation des acteurs du système de soins aux technologies numériques et de l’acculturation à ces outils est central. Aujourd’hui, les professionnels de santé et les étudiants en médecine sont très peu formés à la e-santé. Ils utilisent rarement la télémédecine pendant leurs études et ne sont pas acculturés à l’importance de l’usage des données, aux enjeux de cybersécurité et d’interopérabilité. Ces connaissances sont essentielles pour favoriser la maîtrise des outils numériques et porter ainsi un discours positif auprès des patients.
     
  • Favoriser l’accès aux données de santé : l’accès aux données de santé est encore trop difficile, y compris à des fins de recherche scientifique et clinique. Il y a une très grande méfiance des acteurs à partager leurs données et des craintes autour de l’anonymisation de celles-ci. L'échelon européen est à privilégier pour construire une voie éthique entre les modèles américains et chinois d’usage des données de santé, avec la création d’un European data space, capable de garantir un usage responsable des données de santé.
     
  • Consolider une culture de la confiance : il reste beaucoup à faire pour éviter les peurs et favoriser l’appropriation de la e-santé par un public large, pas uniquement jeune et connecté. Cela prend du temps mais peut être accéléré grâce à la diffusion et la communication régulière autour de cas d’usages démontrant aux professionnels de santé comme aux patients l’intérêt de la e-santé et du partage de données. La crise a permis cette prise de conscience par les citoyens.
     

 

 

Copyright : DAMIEN MEYER / AFP

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