Ce sujet en apparence anecdotique ne l’est pourtant pas. À l’échelle de la France, l’enjeu de la transition écologique est largement de nature économique ; on estime le coût de la rénovation de l’ensemble des bâtiments vétustes à environ une centaine de milliards d’euros (soit le milieu d’une fourchette large, de l’ordre de 65 à 140 milliards d’euros), sans parler de l’amélioration mécanique de la balance des échanges dès que le pays réduit ses importations énergétiques. Il est également social, en permettant aux foyers à revenus modestes de réduire leurs dépenses hivernales et ainsi d’améliorer leur niveau de vie. Il est enfin environnemental, la vaste majorité des systèmes de chauffage étant à base d’énergie carbonée, participant à faire de l’habitat la deuxième source des émissions carbone. À l’échelle européenne, on conçoit que ce sujet développe une portée démultipliée sur ces trois points, en faisant un enjeu politique d’importance.
Si Madame von der Leyen souhaite explicitement développer l’économie circulaire, la réussite de ce souhait devra nécessairement passer par l’émergence d’une nouvelle génération de systèmes d’information, intégrés à une échelle et à un niveau de détails jamais encore observée. Cela passera par des systèmes de traçabilité de chacune des composantes agri-agro, domaine dans lequel la France - et dans une certaine mesure l’Europe - a déjà pris une avance certaine. Cette avance peut être amplifiée de sorte à s’étendre à l’ensemble des petits producteurs, facilitant ainsi l’émergence d’une consommation de proximité compétitive. Ceci passe par la sensibilisation et la formation des acteurs, notamment de petite taille, par une normalisation des données échangées, et par un recours progressif à l’usage de plateformes numériques de facture moderne.
Un modèle économique plus inclusif
À l’égard du modèle économique européen, les intentions de la Présidente les plus explicites concernent en premier lieu l’accès au capital des petites entreprises, et donc des startups, qu’elle souhaite fortement renforcer. En effet, même si les progrès sont notables à cet égard, particulièrement en France, il reste beaucoup de chemin à parcourir avant de parvenir au niveau des meilleurs (dont les Etats-Unis) en nombre de créations d’entreprises innovantes par habitant. L’accès au capital est essentiel à l’émergence d’un vivier suffisant de startups parmi lesquelles une poignée deviendront grandes et créeront les emplois de demain.
La nouvelle Présidente de la Commission souhaite également réguler les droits sociaux liés aux travailleurs des plateformes, ces petites mains qui viennent par exemple vous livrer votre repas commandé sur Internet. Si ces plateformes ont indéniablement la capacité de créer une première forme d’accès à l’emploi, tout laisse à croire que ce sont également des cul-de-sac en termes de mobilité sociale. Or, la nature même de ces emplois empêche ceux qui en bénéficient de se liguer pour exiger de meilleures conditions de travail et de meilleurs droits. Le fait que ce sujet soit une préoccupation de la Commission est un signal encourageant. Curieusement, la présidente ne semble pas avoir repris à son compte une plus grande portabilité des droits sociaux au travers de l’Europe. À l’heure des API et des plate-formes numériques, on pourrait imaginer qu’il s’agit d’une ambition raisonnable que de rendre ces droits liquides, c’est-à-dire totalement transférables en quelques clics d’un pays, d’un organisme à un autre.
L’émergence numérique : cinq leviers pour une industrie numérique forte dans l’espace européen
En ce qui concerne l’émergence numérique de l’espace européen, nul n’ignore le retard préoccupant qui a été pris. L’agenda de Lisbonne n’a non seulement que trop partiellement été mis en oeuvre, mais les Etats membres ont neutralisé des décennies durant la possibilité qu’apparaissent des politiques industrielles et numériques européennes permettant de répondre aux investissements massifs que les Etats-Unis puis la Chine ont mis en place pour prendre un leadership dans l’économie numérique. De fait, Chinois et Américains récoltent aujourd’hui les fruits d’initiatives lancées des décennies auparavant, en coordonnant tout aussi bien le monde de la recherche, la fiscalité appliquée aux capitaux dédiés à l’innovation, les investissements militaires dans la technologie, le système éducatif, la simplification réglementaire et législative liée à ces domaines ainsi que la défense de standards technologiques leur donnant un avantage industriel.
Pourtant, au risque de froisser nombre d'esprits déclinistes, l’Europe pourrait, en raison de son exceptionnel capital, parfaitement rattraper son retard en mettant en place un agenda en cinq points, dont nombre sont déjà partiellement couverts par les intentions de candidature de Mme von der Leyen.
S’il est impossible de prédire ce que pourrait être la politique du futur Commissaire Breton, ses déclarations antérieures vont généralement dans le sens d’un plus grand activisme industriel à l’échelle de l’Europe.
Des capitaux dédiés à l’innovation numérique (1/5)
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En comptabilisant le Royaume-Uni, les investissements réalisés en capital risque à l’échelle du continent sont de l’ordre de 22 milliards de dollars en 2018, à comparer à 130 milliards pour les USA et 85 milliards pour la Chine. Même si ces investissements sont à prendre avec réserve dans la mesure où des effets de bulles (WeWork, Uber…) ne sont pas à exclure, ils symptomatisent frontalement le retard européen. Il est indispensable de renforcer les capacités du Fonds européen d’investissement, la structure européenne dédiée au capital risque. Ceci d’autant plus qu’il est à présent incontestable que la Banque publique d’investissement française et nombre de ses homologues ont désormais démontré qu’elles pouvaient intervenir, aux côtés des acteurs privés, sans pour autant déstabiliser les marchés ni commettre d’erreurs de jugement au détriment du contribuable.
Une politique de souveraineté industrielle et numérique (2/5)
L’Europe détient encore aujourd’hui 41 % de parts de marché dans les technologies d’infrastructure télécom, c’est-à-dire loin devant Huawei, avec 28 %. Pourtant, cette caractéristique n’est que peu connue et, jusqu’il y a peu, il n’existait presque aucune volonté de défendre ce secteur tant son importance stratégique n’était que faiblement perçue. Les scandales des affaires Snowden (2013), puis Cambridge Analytica (2018), nous ont péniblement sorti d’une forme de léthargie et d’incapacité à passer à l’action. Si le principe de la concurrence est évidemment important et à préserver, il est également important que l’Europe puisse mettre en place des politiques préférentielles pour ses acteurs indigènes, en établissant des clauses d’origine dans certains de ses réseaux d’infrastructures numériques, et en dénonçant des accords de type Cloud Act, qui ne trouvent que difficilement justification auprès des citoyens européens.
Ajouter un commentaire