La communauté internationale prenait acte l'année dernière, lors de la COP21, de la nécessité de lutter collectivement contre le changement climatique. Avant le début de la COP22 organisée à Marrakech du 7 au 18 novembre, 100 pays avaient déjà ratifié l’Accord de Paris.
Ces négociations climatiques ont fait apparaître un défi encore plus complexe et ambitieux que la seule réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) : proposer un nouveau modèle de croissance compatible avec les équilibres naturels de notre environnement, le développement économique et la responsabilisation des citoyens et des consommateurs. Pour atteindre l’objectif fixé par l'Accord de Paris - une réduction de 40 à 70 % de nos émissions de GES d’ici 2050 - atténuer l’impact de l’homme ne sera pas suffisant. Il faudra également adapter les modèles de production, de transformation et de consommation afin de les rendre conciliables avec une croissance soutenue sur le long terme.
L’économie circulaire permet de répondre à cet enjeu. Nous appelons donc l’ensemble des acteurs concernés - pouvoirs publics, entreprises et société civile - à collaborer pour passer d’un modèle de société linéaire, fondé sur une logique "extraire, produire, consommer, jeter", à un modèle circulaire où les déchets et les rejets deviennent des ressources.
Présidents
• Jean-Louis Chaussade, directeur général, Suez
• Jean-Dominique Senard, président, Michelin
Membres du groupe
• Eudoxe Denis, responsable des affaires publiques, Plastic Omnium
• Diane Galbe, directrice de cabinet de la présidence, Suez
• Christine Le Bihan-Graf, avocate associée, De Pardieu Brocas Maffei
• Patrick Oliva, directeur relations extérieures - mobilité durable & transition énergétique, Michelin
• Laëtitia Puyfaucher, fondatrice et présidente, Pelham Media
• Frédérique Raoult, directeur du développement durable et de la
communication groupe, Suez
• Hélène Valade, directeur du développement durable, Suez
Rapporteurs
• Sébastien Léger, directeur associé, McKinsey&Company – rapporteur général
• Aloïs Kirchner, ingénieur, haut fonctionnaire
• Clarisse Magnin, directrice associée senior, McKinsey&Company
• Helga Vanthournout, experte senior, McKinsey&Company
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’économie circulaire
Vous vous demandez ce qui se cache vraiment derrière ce concept ? Rassurez-vous, vous êtes loin d’être le seul ! Aussi répandu qu’il puisse paraître, il existe plusieurs définitions.
"Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme."
Lavoisier, 1789
Nous avons construit notre travail autour de la définition suivante : la transition vers une économie circulaire, c’est l’ensemble des transformations qui permettent de poursuivre la création de valeur pour les différents acteurs économiques (dont les consommateurs finaux), en préservant le capital naturel et en utilisant de moins en moins de ressources existant en quantité limitée.

L’économie circulaire promeut une approche novatrice et durable de la croissance. Afin que cette révolution économique s’opère efficacement, tous les acteurs sont appelés à se mobiliser et à prendre part à cette transition. Elle actionne ainsi trois moteurs qui s'imbriquent : la croissance, l’innovation, la collaboration.
Depuis la révolution industrielle, nos modèles économiques se sont fondés sur des chaînes linéaires de production et de consommation qui ne sont plus soutenables sur le long terme : ni la finitude des ressources exploitées en amont du processus, ni la gestion des déchets produits en aval du processus ne sont suffisamment pris en compte.
Ainsi, au cours du XXe siècle :
- le prix des principales ressources naturelles a été quasiment divisé par deux en monnaie constante,
- la population mondiale a quadruplé,
- la production économique mondiale a été multipliée par 20, provoquant une hausse de la demande de l’ordre de 600 % à 2 000 % selon les ressources.
La prise de conscience et le respect des logiques environnementales par les acteurs économiques constitue le point de pivot sur lequel doit s’opérer ce changement de paradigme. L’économie circulaire apporte ainsi des réponses concrètes à deux défis majeurs auxquels notre société fait aujourd’hui face :
satisfaire des besoins de consommation croissants malgré des ressources finies de matières primaires ;
réduire les externalités négatives, c’est-à-dire les dommages causés à la collectivité par certains acteurs économiques (comme la pollution ou le rejet de déchets), en les intégrant directement aux modèles économiques.
L’économie circulaire : à quoi ça sert ?
Les bénéfices associés au développement de l’économie circulaire sont nombreux, tant en matière environnementale qu’en termes de croissance économique.

Vous êtes un citoyen
Adopter un comportement plus responsable, c'est tout d'abord s'interroger sur l'impact de sa consommation : comment le produit est-il fabriqué et que devient-il une fois hors d'usage ? Ce changement d'attitude peut s'accompagner d'un retour sur investissement. Deux exemples concrets illustrent ces opportunités pour les citoyens :
En achetant des appareils électroménagers éco conçus, vous acceptez certes de le payer plus cher, mais vous obtenez en contre-partie la garantie de pouvoir le (faire) réparer sur une période plus longue, et donc d’en prolonger l’usage, et donc de repousser le remplacement par un bien neuf. Sur la période complète d’usage, vous êtes donc gagnant.
En favorisant la consommation en circuits courts, vous réduisez le nombre d’intermédiaires et cela peut concrètement se traduire par une diminution du prix d’achat à qualité égale. Sans prendre en compte, bien sûr, ni la réduction des émissions liées à la diminution des trajets de distribution, ni le plaisir de participer à l’économie locale !
Le développement de l’économie circulaire se veut source de valeur supplémentaire pour le client, soit parce qu’il lui offre un bien identique à un coût inférieur, soit parce qu’il lui permet de disposer de fonctionnalités supérieures.
Vous êtes une entreprise
La transition vers une économie circulaire peut permettre :
de réduire vos coûts. La réutilisation et le remanufacturing sont des leviers importants de l’économie circulaire. À titre d’exemple, une entreprise spécialisée dans la production de cartouches d’encre a développé un service de recyclage de cartouches et de toners usagés à destination de professionnels. La société reconditionne ou recycle ces cartouches et parvient à les vendre de manière rentable à ses clients à des tarifs 20 à 30 % inférieurs à ceux de cartouches neuves. Cette démarche permet de développer des logiques de production plus durable tout en proposant des produits et services compétitifs ;
de bénéficier d’un approvisionnement durable. En effet, le passage vers une économie circulaire peut permettre de réduire l’impact de l’approvisionnement en matière première en vous offrant la possibilité de les remplacer par des matières premières renouvelables ;
de générer de la valeur. Le passage de la possession à l’usage est également une opportunité. Elle vous offre la possibilité de renforcer votre relation avec les clients et de les fidéliser. Ainsi, par exemple, au lieu de vendre des bulbes d’éclairage, l’entreprise s’engage à fournir une certaine quantité de lumière pendant une durée définie, pour un coût fixe. Elle demeure donc propriétaire des bulbes lumineux qu’elle installe chez ses clients et demeure responsable de leur maintenance. Elle fait ainsi bénéficier ses clients de son expertise pour optimiser leur éclairage et minimiser le coût global du service fourni et bénéficie en retour d’un engagement à long terme et sécurise par ce biais des sources de revenus ;
d’anticiper des contraintes réglementaires ou économiques futures. La Fondation Ellen MacArthur a ainsi calculé, s’agissant du marché européen, que si les téléphones portables étaient éco-conçus pour simplifier leur reconditionnement, la réutilisation de leurs composants les plus coûteux (caméra, écran, batterie, chargeur) d’une part, et le recyclage en fin de vie des matériaux précieux qu’ils contiennent (or, argent, terres rares) d’autre part, amélioreraient la balance commerciale européenne de 1 à 2 Md$. Un tel enjeu, à la fois économique et écologique, ne manquera pas d’attirer l’attention du régulateur, ce que les entreprises ont intérêt à anticiper ;
de symboliser l’excellence environnementale. Les risques d’images sont suffisamment importants pour le justifier.
L’impression 3D permet de fabriquer, sans assemblages, des objets en trois dimensions à partir d’une modélisation informatique. Les perspectives qu’offre cette innovation touchent à de nombreux pans de l’économie. Elles s’accordent très largement avec les caractéristiques d’une économie circulaire, car l’impression 3D crée des opportunités pour :
- optimiser l’utilisation de la matière et limiter les pertes tout au long du processus ;
- relocaliser le centre de production au plus près de l’utilisation finale du produit ;
- limiter la consommation d’énergie par le raccourcissement des circuits d’assemblage, d’approvisionnement et de distribution ;
- de fabriquer des composants correspondant exactement aux besoins de réparation ;
- favoriser la collaboration entre les consommateurs et les producteurs.
Vous êtes un représentant des pouvoirs publics
Les activités liées à la "circularisation" des processus économiques constituent de nouvelles opportunités pour vous : création d’emplois, relocalisation de certaines productions, raccourcissement des circuits d’approvisionnement, dynamisation des marchés intérieurs, amélioration des balances commerciales, etc.
Ainsi, que ce soit au niveau européen, national ou régional, le développement de l’économie circulaire sur les territoires permettrait de :
réduire le poids des externalités négatives (notamment la production de déchets et la pollution) sur les populations ;
stimuler les marchés intérieurs en préservant les ressources et en en créant de nouvelles ;
créer des synergies par la consommation de ressources secondaires.
Mesurer pour objectiver
Le développement de l’économie circulaire a pour préalable la mesure de la circularité, que ce soit au niveau macroéconomique ou microéconomique. Or, aujourd’hui, il n’existe pas d’indicateur de mesure objective permettant d’apprécier le niveau de circularité d’un territoire ou d’un secteur d’activité donné.
Au niveau macroéconomique, il est pourtant possible d’évaluer le rapport entre la croissance du PIB et celle de la consommation intérieure de matières primaires ou les émissions de gaz à effet de serre. Quelques pays apparaissent ainsi en avance sur ces indicateurs, comme le Danemark par exemple ; d’autres pays affichent une volonté politique de s’améliorer, comme la Chine qui a introduit un indicateur de circularité dans son dernier plan quinquennal.
La mesure est également possible au niveau d‘un secteur économique, voire au sein d’une entreprise. Si ces outils de mesure sont plus variés parce qu’adaptés à la réalité des acteurs économiques, ils témoignent toutefois de l’intérêt grandissant de ces nouvelles logiques de création de valeur. Celles-ci occasionnent des foisonnements d’innovations et permettent l’apparition de nouvelles synergies.
Concrètement, où en est-on aujourd’hui ?
En France, la transition vers l’économie circulaire est encouragée par la mise en place d’une réglementation progressivement plus contraignante d’une part, et par la mise en place d’incitations adaptées d’autre part.
C’est notamment le cas avec les schémas de responsabilité élargie du producteur (REP) qui visent à internaliser la contrainte de retraitement des déchets au niveau du producteur ou du metteur sur le marché initial d’un produit, afin de ne pas faire peser la responsabilité sur le seul consommateur. Les producteurs initiaux portent en effet la responsabilité des déchets générés par l’économie. Ces schémas permettent au consommateur de disposer d’un signal prix plus cohérent en fonction du caractère plus ou moins recyclable ou réutilisable des produits qu’il achète, au moyen notamment d’un mécanisme d’éco-contribution.
Du point de vue de la Commission européenne, l’économie circulaire dépasse largement la politique de l’environnement ; pour elle, il s’agit avant tout d’encourager la croissance et la création d’emplois. La première version du "paquet sur l'économie circulaire", publiée en juillet 2014 par la DG environnement, a été principalement critiquée pour ses objectifs trop ambitieux et pour son manque de propositions visant à stimuler la demande de produits issus de l’économie circulaire, et en particulier de matières premières secondaires.
Une nouvelle proposition a donc été présentée le 2 décembre 2015. Celle-ci contient un plan d’actions se déclinant en une série de mesures devant être discutées et précisées pour déploiement d’ici à 2019, et des propositions législatives sur les déchets et leur recyclage qui pourront faire l’objet d’une adoption plus rapide.
L’architecture de ce plan d’action est relativement ambitieuse, puisque de nombreux secteurs d’activité font l’objet d’un traitement spécifique, mais plusieurs pans restent encore incomplets : les mesures relatives à la stimulation de la demande pour les matières premières recyclées ne sont par exemple pas encore détaillées.
Comment aller plus loin ?
Huit propositions pour réconcilier
croissance et environnement
croissance et environnement
Aux niveaux français et européen, développer un indicateur harmonisé ou un panel restreint d’indicateurs de la transition vers une économie circulaire pour un territoire donné ;
S’assurer que ces indicateurs mesurent la circularité globale des processus (et non à une seule étape, pour éviter les effets pervers), pondèrent de manière adaptée les différentes ressources en fonction de leur rareté, et prennent convenablement en compte les importations, la consommation locale et les exportations ;
Mesurer le niveau actuel sur ces indicateurs et se fixer des objectifs clairs et ambitieux pour 2030 et 2050.
Créer un véritable marché intérieur pour les matières premières recyclables et recyclées ;
Adapter la réglementation encadrant les nouvelles activités de l’économie circulaire ;
Systématiser, aux niveaux français et européen, le recours aux "green deals" ou engagements pour la croissance verte (ECV), notamment pour favoriser les démarches les plus innovantes.
Donner de la visibilité moyen-terme sur le prix du carbone, a minima au niveau européen, idéalement au niveau mondial ;
Étudier la possibilité de valoriser d’autres types d’externalités, positives et négatives, par exemple les impacts sur la biodiversité ;
Harmoniser les tarifs de mise en décharge au niveau européen à un niveau suffisant pour favoriser la réutilisation, le recyclage et la valorisation énergétique.
Définir des secteurs prioritaires et un plan d’action, dans le cadre de la stratégie nationale de transition vers une économie circulaire prévue par la loi ; et y chiffre les bénéfices attendus à moyen (2030) et long termes (2050) ;
Définir un pilotage approprié au niveau interministériel ;
Impliquer et mobiliser les collectivités locales dans cette stratégie.
Encourager la formation aux métiers et compétences de l’économie circulaire ;
Favoriser l’émergence de hubs et d’accélérateurs spécialisés dans les technologies de l’économie circulaire ;
Soutenir financièrement les projets les plus innovants, d’un point de vue social, technologique et organisationnel.
Lancer un programme de sensibilisation des citoyens-consommateurs ;
Sensibiliser les consommateurs industriels ;
Favoriser l’économie circulaire par l’achat public ;
Développer des mesures incitatives au niveau local, notamment en matière de recyclage.