La révolution numérique représente, pour bien des secteurs, une opportunité de se transformer, de se réinventer et d’innover. Pour l’enseignement supérieur, elle est un moyen pour répondre aux nombreux enjeux auxquels il fait face : nombre croissant d’étudiants, défaillance de l’orientation, stagnation de nos établissements dans les classements internationaux, décrochage universitaire, etc.
Nos universités, écoles, centres de recherche doivent proposer des modèles de formations qui, ancrés dans leur époque, ne se focalisent plus tant sur la maîtrise de compétences propres à un emploi que sur la capacité à anticiper les mutations de la société, à développer un esprit critique et créatif. Les étudiants ne doivent plus tant apprendre "qu’apprendre à apprendre" et être prêts à compléter leur formation tout au long de leur cursus professionnel et de leur vie.
Relever le défi numérique appelle donc des réformes structurelles de l’éducation et de la formation, initiale et continue. Elles ne pourront s’entreprendre sans un parachèvement préalable de l’autonomisation de nos universités, indispensable à la mutation et à la modernisation des établissements.
Groupe de travail
Gilles Babinet, Entrepreneur dans le digital, co-président du groupe de travail
Edouard Husson, professeur des universités, vice-président, Université Paris Sciences et Lettres (PSL), co-président du groupe de travail
Jean Deydier, Directeur général, Emmaüs Connect
Josiane Gain, Directrice des Relations universitaires, IBM France
Anne Jourdain, Fondatrice de France Asia Boost, ex Responsable Stratégie et transformation numériques d’Engie
Jérôme Miara, Président directeur général, Obea
Loredana Oliva, Journaliste spécialisée en business education, Responsable, CoderDojoRoma
Bernard Ourghanlian, Directeur technique et sécurité, Microsoft France
Hélène Sancerres, Director change management, coaching & CSR, Cisco Systems France
Alban Schmutz, VP strategic development & public affairs, OVH
Anne Vanet, enseignant-chercheur en bio-informatique, Université Paris Diderot
Jérôme Mourroux, Senior Manager, EY, rapporteur général
Les personnes auditionnées ou rencontrées dans l’élaboration de ce travail
Alain Abécassis, Chef du Service de la coordination des stratégies de l'enseignement supérieur et de la recherche, Ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation
Stéphane Amiard, Vice-président numérique et patrimoine, Université d’Angers, Président, Association VP NUM
Yaël Azoulay, Senior advisor, Digital Transformation, Air Liquide
Pascal Barbier, Responsable des enseignements en e-Learning, Ecole Nationale des Sciences Géographiques
Frédéric Bardeau, Président, Simplon.co
Fabrice Bardèche, Vice-président exécutif, IONIS Education Group
Jean-Michel Blanquer, alors Directeur général, groupe ESSEC
Professeur Pierre Collet, Université de Strasbourg, Coordinateur du CS-DC UNESCO UniTwin, UNESCO
Olivier Coone, Délégué à la formation, Syntec Numérique
Stéphane Dessirier, Directeur général, Groupe MACSF
Laurent Fiard, Président, Visiativ, Président, MEDEF Lyon-Rhône
Alain Fiocco, Senior Director CTO, Head of Paris Innovation & Research Lab, Cisco France
Paul-François Fournier, Directeur de l’innovation, Bpifrance
Alexandre Frochaux, Directeur, Ecoles Nemesis
François Garçon, Maître de conférence, Université Paris I
François Germinet, Président, Université de Cergy-Pontoise
Pierre Giorgini, Président Recteur, Université catholique de Lille
Francis Jouanjean, Délégué général, Conférence des Grandes écoles (CGE)
Stefano Lariccia, Agrégé de WebScience, Université La Sapienza Rome
Agnès Le Guern, HR Director Innovation, Digital, Sciences & Technology Air Liquide
Philippine Lefèvre, Déléguée aux relations institutionnelles, Syntec Numérique
Edith Lemieux, Directrice de l'Université Air Liquide et des projets transformations RH, Air Liquide
Mounir Mahjoubi, alors Président, Conseil National du Numérique
Jean-Jacques Martin, Directeur Général, Ecoles Nemesis
Flavia Marzano, adjointe ville, numérique et smart cities, Mairie de Rome
Gilles Mezari, Président, Saaswedo, administrateur, Syntec Numérique
Imen Missaoui, Chargée de mission formation et entreprise, Conférence des grandes écoles (CGE)
Catherine Mongenet, Directrice, France Université Numérique
Simon Nelson, CEO, FutureLearn
Antoine Petit, Président directeur général, INRIA
Françoise Profit, Responsable du Secrétariat général du processus de Bologne, Ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation
Anne-Catherine Rota, Responsable Relations Académiques, Research Intelligence, Elsevier
Stéphane Rouquette, Associate - CMO/CSO Marketing & Sales, Brain Core
Nicolas Sadirac, Directeur général, École 42
Vincent Simonet, Engineering Manager, Google France
François Stephan, Directeur Général Adjoint en charge du Développement et de l’international, Institut de recherche technologique System X
Peter Todd, Directeur Général, HEC Paris
Nicolas Vaillant, Directeur de recherche, Directeur de ETHICS - EA 7446, Vice-Président vice-Recteur, Université Catholique de Lille
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L’enseignement supérieur dans un contexte bouleversé par la révolution numérique
Former par le numérique
Quinze ans d'éducation numérique

Une société apprenante et connectée
Faire de la France une "société apprenante" est la priorité établie dans la stratégie nationale de l'enseignement supérieur (StraNES) de 2013, c’est à dire “une société où tous les potentiels individuels et collectifs se réalisent grâce à une formation de qualité dès la petite enfance et tout au long de la vie”. Cet objectif ne sera atteint qu’à condition d’exploiter pleinement les potentiels de l’ère numérique.
Si la technologie a fait des progrès qui permettent l’accès à un contenu pédagogique très étendu, ces outils et ces pratiques sont encore trop inégalement diffusés. Le taux d’utilisation des cours numériques est, par exemple, faible en France : la part des personnes qui déclarent avoir recours à une formation sur internet stagne depuis 2011 autour de 14 %, alors que, dans le même temps, le nombre de MOOCs est passé, dans le monde, d’une dizaine seulement à près de 5 000. Pourtant, 78 % des utilisateurs se déclarent convaincus qu’internet est un bon outil pour se former.
L’importance de l’innovation pédagogique et de la recherche
Bien qu’ils ne puissent pas remplacer l’accompagnement “présentiel”, les MOOCs, les SPOCs (cours en ligne à accès limité, payants et souvent à destination des entreprises) et autres supports digitaux, les complètent, en mettant en relation chercheurs, professeurs et étudiants - peu importe la distance qui les sépare - et en donnant aux étudiants les outils nécessaires pour comparer les cours aux contenus disponibles en ligne.
L’analyse des données d’apprentissage (learning analytics) a également une importance capitale, puisqu’elle permet à la fois aux professeurs de connaître les attentes de leurs étudiants et leurs difficultés, et aux étudiants d’individualiser leurs parcours, d’identifier leurs faiblesses et de bénéficier d’une pédagogie sur mesure. La généralisation de cette analyse quantitative pourrait notamment être un moyen de lutter efficacement contre le décrochage en licence. Rappelons en effet que près de 60 % des inscrits en première année de licence ne passent pas en deuxième année. Plus globalement, elle constitue un réel levier pour améliorer la performance générale du système éducatif.
L’Université du Michigan a ainsi développé un logiciel permettant aux étudiants de suivre le plan d’un cours depuis leur ordinateur ou tablette, d’en annoter les différentes parties afin de donner un retour d’expérience sur le cours. Les étudiants peuvent également utiliser ce logiciel pour poser des questions anonymes, qui apparaissent à l’écran du professeur. Ce dernier consulte ensuite les statistiques et les données relevées par cet outil pour repérer les améliorations à apporter à son cours ou entrer en contact individuel avec les élèves en difficulté.
Au regard de l’évolution rapide des innovations pédagogiques, et des enjeux significatifs autour de la réussite des étudiants, la France doit se doter d’une recherche performante et affirmer un rôle de leader sur ce terrain.
Malgré son retard en termes de volume, la qualité et l’impact de la recherche française dans le domaine des sciences de l’éducation et du numérique est appréciable. La France se place en effet, pour cet indicateur, devant l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume Uni. Elle doit donc poursuivre son effort de recherche dans le digital et l’éducation, afin de favoriser l’émergence d’outils et de formats innovants, et s’affirmer comme un leader mondial et européen de l’innovation pédagogique par le numérique.
Former au numérique

Un système éducatif décorrélé des besoins induits par la révolution numérique
Les cycles d’innovation se resserrent et de nouvelles compétences émergent, à un rythme toujours plus soutenu, sans qu’une offre de formation adaptée ne puisse les accompagner. L’informatisation toujours plus poussée de l’économie conduit à faire de la maîtrise des technologies de l’information et de la communication (TIC) une composante indispensable de tous les cursus. L’acculturation aux outils numériques et informatiques devrait donc irriguer l’ensemble des formations de l’enseignement supérieur.
La Commission européenne alerte sur le risque élevé de ne pas répondre aux besoins futurs en compétences. Il en est ainsi par exemple concernant la profession de data-scientists, ces ingénieurs situés à la croisée de l'algorithmie, du code, du design et de l'architecture des systèmes d'information. Les promotions annuelles de data-scientists, toutes écoles confondues devraient "produire" environ 1 500 spécialistes en France ; or différentes études évoquent un besoin du marché situé plutôt vers les 5 000 personnes a minima pour 2017. L’interpellation de la communauté universitaire sur ce sujet est d’autant plus forte que cette différence entre offre et demande croît de façon significative d'année en année.
Apprendre à apprendre, tout au long de la vie
Les bouleversements induits par la révolution numérique nous poussent à écarter définitivement toute logique “adéquationniste”, qui verrait une correspondances exacte entre la carte de formations et la carte des métiers.
La formation au numérique, bien qu’essentielle au sein des formations universitaires, doit être renouvelable et accessible tout au long de la vie. En effet, dans l’économie de la créativité qui émerge, ce sont des diplômés qui ont “appris à apprendre”et qui seront prêts à compléter leur formation tout au long de leur cursus professionnel dont nous avons besoin. Une répartition efficace devrait ainsi se mettre en place, dans les années et les décennies qui viennent, entre la formation au sein des entreprises, directement en adéquation avec les besoins de celles-ci, et la formation (initiale ou continue) au sein de l’enseignement tertiaire, permettant une mise à jour régulière des fondamentaux.
Encourager les relations entre l’enseignement supérieur et le monde économique
Portés par une tendance croissante pour l’entrepreneuriat, de nombreux incubateurs et accélérateurs d’entreprises ont vu le jour ces dernières années. Financés par des organismes privés, par des collectivités territoriales ou par l’Etat (notamment à travers le réseau French Tech), ils sont très orientés vers l’économie numérique et les nouvelles technologies. Dans cette mouvance, 23 universités ont développé leur incubateur "de la recherche publique", issus de la loi Allègre de 1999, ainsi que la plupart des Grandes Ecoles. Sont ainsi mis à disposition des étudiants et chercheurs des outils technologiques de pointe : logiciels sous licence, espaces de co-working, FabLabs ou UserLabs. Cette dynamique, qui met en relation étudiants, chercheurs, entreprises mais aussi pouvoirs publics, universitaires, entrepreneurs, etc. est particulièrement positive pour l’enseignement supérieur. Elle crée un écosystème favorable à l’innovation tout en créant des passerelles entre le monde académique et le monde économique. Le développement de ces tiers lieux est donc une priorité.
Renforcer l’autonomie des universités
par le numérique
par le numérique
Les réformes dessinées dans ce rapport ne pourront s’entreprendre sans une autonomisation accrue des universités. Faire entrer l’université française dans l’ère digitale est la meilleure incitation pour aller au bout de l’autonomie. Dans bien d’autres établissements à travers le monde, la digitalisation de l’université et de son système de pilotage est une évolution naturelle, déjà largement enclenchée.
Une maîtrise accrue des données propres à chaque université, le développement des bons outils de pilotage mais aussi le basculement dans l’innovation ouverte contribueront à parachever l’autonomie déjà engagée des établissements de l’enseignements supérieur. Cette évolution requiert un investissement non négligeable dans les systèmes d’information et leur interconnexion. Une véritable simplification du pilotage et des économies sont attendues de ces évolutions.
Nos 10 propositions pour connecter enseignement supérieur et numérique
- Proposition 1 Grâce à des données fiabilisées et à des outils d’aide au pilotage, rénover les prochaines vagues de contractualisation des universités et des Communautés d’universités et d’établissements (ComUE) pour aboutir à une simplification administrative de la tutelle des établissements d’enseignement supérieur et de recherche et à un parachèvement de leur autonomie.
- Proposition 2 Permettre un accès libres aux données issues de la recherche et aux espaces d’innovation ouverte, notamment par la poursuite de la modernisation et de la numérisation des bibliothèques.
- Proposition 3 Consacrer un nouveau financement de type PIA (programme d’investissements d’avenir) au développement systématique d’une "souveraineté numérique" française enracinée dans un effort de recherche de grande ampleur. Ces financements permettront l’épanouissement de la créativité française et européenne, tout en entraînant des retombées économiques positives.
- Proposition 4 Grâce à une concertation nationale sur les modalités et usages du numérique dans l’enseignement supérieur, renouveler le modèle économique des universités et des écoles, en suivant trois priorités :
- renforcer l’offre et l’organisation des formations : développer la pédagogie numérique, y compris pour la formation continue, créer des contenus dynamiques, évolutifs et collaboratifs,
- accroître l’investissement national pour la rénovation pédagogique : développer de façon très significative le dispositif des Congés pour Recherche ou Conversion Thématique,
- amorcer une grande transformation de la vie étudiante : investir dans de nouveaux équipements et infrastructures.
- Proposition 5 Développer l’activité de laboratoires de recherche et de lieux d’expérimentation en sciences de l’éducation et numérique, pour l’enseignement supérieur et la recherche.
- Proposition 6 Former aux enjeux juridiques, éthiques et de sécurité, sur l’établissement des normes, la protection des données, le développement de la recherche sur le blockchain, la mise en place de modules de sensibilisation à l’éthique des données, etc., par le développement de :
- la recherche collaborative,
- l’incubation des entreprises issues des processus de recherche publique,
- la mise en place d’"initiatives early-stage" dans le numérique,
- la simplification des règles de propriété intellectuelle de la recherche.
- Proposition 7 Améliorer l’orientation et préparer aux métiers de l’ère numérique grâce à :
- une prise de conscience du besoin de développement des compétences nouvelles,
- une meilleure orientation des effectifs vers les formations les plus performantes sur le plan économique et social,
- un meilleur accompagnement de l’insertion professionnelle,
- une meilleure gestion des offres et des productions des universités pour faire face à la hausse des effectifs,
- un soutien accru à la collaboration public-privé quant aux enjeux d’orientation.
- Proposition 8 Faire du numérique un levier de développement de l’entrepreneuriat étudiant, grâce à :
- la mise en place de prix de l’innovation numérique à l’échelle académique,
- le développement de campus démonstrateurs,
- la mise en place d’espaces dédiés pour faciliter le développement de projets étudiants,
- l’organisation des "journées portes ouvertes" numériques,
- la mise en place de ressources numériques pour des étudiants devenant acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche,
- le développement des MOOC et autres outils pour mieux gérer l’orientation des étudiants.
- Proposition 9 Afin d’être en phase avec les besoins de la troisième révolution industrielle, de l'iconomie et de l'industrie 4.0, renforcer le partenariat des universités et des écoles avec le secteur privé à travers :
- la mise en place d’Académies du Management et du Digital à un échelon régional,
- le développement de tiers lieux sur les campus tels que des incubateurs ou des laboratoires d’expérimentation numérique.
- Proposition 10 Créer des synergies plus fortes entre les espaces d’enseignement supérieur et de recherche européens grâce à :
- la reconnaissance réciproque des attributions de crédits ECTS autour de formations virtuelles impliquant des étudiants de différentes universités européennes,
- la mise en place d’un supplément au diplôme numérisé,
- la mise en place d’un passeport digital européen,
- la réponse en consortium liant entreprises et académie à des projets H2020 avec accès à des financements européens.