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[Trump II] - Nouvelle géographie du pouvoir à Washington DC

[Trump II] - Nouvelle géographie du pouvoir à Washington DC
 Jonathan Guiffard
Auteur
Expert Associé - Défense et Afrique

Le président Trump et sa nouvelle administration ont pris d’assaut la capitale américaine, au sens figuré comme au sens propre. En lutte contre le “marais” que serait Washington DC, les Trumpistes se sont emparés des leviers de pouvoir et s’imposent à la ville. Une nouvelle géographie se met en place sous nos yeux. Comment cette lutte d’influence s’inscrit-elle dans la capitale américaine ? D’où viennent les nouvelles personnes aux affaires ? Une analyse de Jonathan Guiffard, de retour d’un séjour aux États-Unis.

Début mars 2025, la ville de Washington DC a enlevé les mots "Black Lives Matter" qui étaient peints en jaune sur une portion de la rue 16th Street NW, à quelques centaines de mètre au nord de la Maison Blanche. Ce retrait symbolique s’est fait sous la pression des nouveaux législateurs républicains qui ont menacé de retirer plusieurs millions de dollars de subventions fédérales à la ville. Ce geste politique et symbolique fort, humiliant pour les uns, triomphant pour les autres, cristallise la tension qui a saisi la capitale américaine.

Le nouveau mandat du président Trump, revanchard, dominateur et sans retenue, s’impose dans la région de Washington DC, plus que partout ailleurs aux États-Unis.

Le nouveau mandat du président Trump, revanchard, dominateur et sans retenue, s’impose dans la région de Washington DC, plus que partout ailleurs aux États-Unis. La confrontation entre les Trumpistes et les Libéraux domine les rivalités de pouvoir locales, qui s’expriment aussi au sein du nouveau pouvoir.

Les différentes tendances qui ont fait la synthèse trumpiste paradent dans la ville et luttent pour leur influence, d’autant plus facilement qu’elles proviennent de géographies très diverses du territoire américain. Nous proposons ici une analyse spatiale en mesure d’illustrer concrètement les influences socio-culturelles et géographiques du pouvoir trumpien et son enracinement topologique depuis les différentes provinces jusqu’à la capitale.

"Drain the swamp" ou la lutte pour Washington DC

Pour ceux qui ont déjà parcouru la capitale américaine, la désignation trumpiste de "marais" (swamp) prend tout son sens : à partir du mois d’avril et pour de longs mois, la ville d’inspiration européenne, dans son style architectural brutaliste et victorien, a un air de bayou. Soumise à une chaleur et une humidité importante, elle croule sous une végétation luxuriante et se trouve envahie par les insectes. De cette réalité, Donald Trump en a fait un slogan politique pour dénoncer la taille et le rôle du gouvernement fédéral, dans une rhétorique populiste anti-élites et anti-establishment. Il s’agirait de devoir "assécher le marais" (drain the swamp), dépeint comme corrompu, profiteur et internationaliste, pour retrouver souveraineté, pouvoir et respect par la crainte, afin que "les États-Unis soient de nouveau magnifiques" (make america great again).

Au-delà de leurs mécaniques populistes classiques, ces slogans ont fonctionné auprès de l’électorat trumpiste pour plusieurs raisons :

  1. La zone constituée par Washington DC, le Nord de la Virginie (entre l’aéroport de Dulles et la ville d’Arlington) et le Maryland, surnommée la DMV, concentre la quasi-intégralité du pouvoir fédéral et des entreprises contractantes de l’État. Elle est à la fois le siège de la régulation, dans un pays fédéral de culture libérale méfiante des pouvoirs de l’État, et le cœur d’une manne financière très importante qui se déverse dans une multitude de grandes et petites entreprises captives de la région. Aucune autre région des États-Unis ne bénéficie d’une telle manne d’argent public.
  2. Si cette région regroupe la majorité du gouvernement fédéral, elle est aussi (surtout ?) le cœur du gigantesque dispositif de sécurité nationale. Si de nombreuses bases militaires maillent l’ensemble du territoire américain, la DMV concentre le département d’État (diplomatie), le département de la Défense (Pentagone), l’essentiel des 18 agences de renseignement, les centres de recherche publics et privés liés à la défense ou les grands contractors (employés des sociétés de sécurité privées) de défense. Ainsi, cette zone reflète particulièrement la notion "d’État profond" (deep state), chère à l’électorat trumpiste et aux cercles conspirationnistes américains. Ces représentations sont renforcées par la présence d’une vaste communauté diplomatique et d’institutions internationales, comme le FMI ou la Banque Mondiale, qui nourrissent les imaginaires d’une élite "mondialisée et déconnectée".
  3. Washington DC est une ville massivement démocrate, mais aussi habitée majoritairement par des communautés noires et latino-américaines. Depuis 1961, date à laquelle ses habitants ont été autorisés à participer à l’élection présidentielle, elle a toujours voté à plus de 75 % pour le candidat du parti Démocrate. Aujourd’hui, plus de 90 % de ses citoyens se déclarent démocrates. Pour cette raison, le parti républicain bloque les processus qui visent à en faire un État à part entière, ce qui impliquerait ainsi le vote aux élections législatives. En raison de ses populations noires ou immigrées, mais aussi d’une insécurité structurelle liée au narcotrafic et à la pauvreté, la ville jouit d’une réputation très négative dans les cercles républicains et dans les provinces américaines. Dans ce moment populiste anti-système, teinté de racisme et de rejet de l’immigration, elle incarne ainsi la figure progressiste repoussoir pour l’électorat conservateur de Donald Trump.

Washington DC est devenue la forteresse à abattre pour le camp trumpiste.

Ainsi, Washington DC est devenue la forteresse à abattre pour le camp trumpiste, ce qui explique en partie la politique actuelle de destruction systématique du gouvernement fédéral et les stratégies de licenciement des employés fédéraux.

Il y a une volonté claire de briser cette catégorie de citoyens et de les démoraliser durablement. Le problème de cette vision populiste est que la base électorale ne réalise pas qu’elle est elle-même bénéficiaire directe de ces services publics, dont le pilotage a lieu dans la capitale fédérale, et qu’une partie importante des fonctionnaires fédéraux sont aussi républicains, ceux-ci vivant plutôt dans la Virginie ou le Maryland adjacent. Ces incohérences n’arrêtent pas pour autant l’élan des nouveaux maîtres du pouvoir.

S’imposer en terrain conquis

Bien que les réseaux trumpistes rejettent fondamentalement la ville, la conquête de la Maison Blanche et du Congrès leur impose de s’y installer, au moins temporairement, pour gouverner. Les nouveaux ministres, conseillers, représentants, sénateurs et leurs staffers, mais aussi l’ensemble de leurs alliés dans les entreprises ou dans la société civile qui flairent les nouvelles opportunités, débarquent dans la capitale et tentent de s’y adapter. On observe d’ailleurs que Donald Trump a fait de la ville un objet de ses premières annonces politiques, disant vouloir lui redonner sa splendeur d’antan en ciblant les graffitis ou les tentes de sans-abris. Le président a déjà commencé à redécorer le bureau ovale, avec un goût sans pareil pour l’or, reflétant à son échelle son envie de changer l’image de la ville et faire rayonner "l’âge d’or" qu’il annonce relancer.

Lors du premier mandat de Donald Trump, les jeunes troupes républicaines s’étaient notamment installées dans le quartier nouveau et excentré de Navy Yard, tout en fréquentant essentiellement les bars et restaurants proches de la Maison Blanche et du Congrès, dessinant une géographie politique singulière. La jeunesse de Washington DC leur avait réservé un accueil particulièrement glacial, notamment les jeunes célibataires, et les quartiers branchés leur étaient plutôt fermés. Avec ce second mandat, il est encore tôt pour analyser les nouveaux espaces d’installation de la machine MAGA. En revanche, on observe dès à présent une volonté des responsables trumpistes de s’imposer dans la ville, ce qui a d’ailleurs perturbé le marché immobilier, la ville n’ayant pas l’habitude de voir autant de milliardaires et millionnaires se presser pour acheter.

Cette fois, il semble que les responsables trumpistes aient jeté leur dévolu sur les quartiers traditionnellement chics du nord-ouest de Washington. Robert F. Kennedy, le secrétaire à la Santé, a acheté une maison à Georgetown, quartier célèbre qui dispose de maisons anciennes de charme. Howard Lutnick, le secrétaire au Commerce, a acheté une maison à 25 millions de dollars en cash, établissant un record pour Washington DC. Inspiré d’un château français, celle-ci est située dans le quartier chic de Foxhall, à l’ouest de Georgetown. Marck Zuckerberg a fait l’acquisition, en avril, d’une demeure gigantesque dans le quartier de Woodland Normanstone, devenant ainsi le voisin de Peter Thiel, et des figures trumpistes comme Kellyanne Conway et Steven Mnuchin. Jeff Bezos avait acheté, en 2016, en vue du premier mandat, une maison à Kalorama, qu’il habite assez peu. Ce quartier, central mais chic, qui abrite par exemple la résidence de France, a aussi vu un pic d’achats de maisons de luxe depuis l’arrivée de Donald Trump. Ainsi, l’entourage de Trump investit désormais des quartiers riches, traditionnellement occupés par les vieilles fortunes locales ou les ambassades. Il y a un changement progressif à l'œuvre.

On observe dès à présent une volonté des responsables trumpistes de s’imposer dans la ville, ce qui a d’ailleurs perturbé le marché immobilier, la ville n’ayant pas l’habitude de voir autant de milliardaires et millionnaires se presser pour acheter.

Pour sa part, Elon Musk cherchait à construire un club personnel, sur le modèle de la maison-club de Donald Trump à Mar-a-Lago. Plusieurs hypothèses avaient été formulées, dont des hôtels particuliers du centre. Une rumeur, finalement démentie, voulait qu’Elon Musk fasse l’acquisition du Line Hotel, un club dans le quartier très jeune, très noir et très démocrate d’Adams Morgan ; ce qui n’aurait pas manqué de constituer une provocation directe à la population de la ville. Aujourd’hui, les rumeurs sur sa prise de distance avec Washington DC pourraient avoir raison d’une installation durable dans la capitale.

En revanche, le fils du président, Donald Trump Jr., a bien réussi à ouvrir un club privé dénommé Executive Branch, là encore dans le quartier de Georgetown. L’adhésion est à 500 000 dollars et permet aux membres de se retrouver régulièrement avec des proches du président et de l’administration. Le vice-président, JD Vance, ou l’ancien candidat, Vivek Ramaswamy, y ont été vus, côtoyant des chefs d’entreprises et financiers de la sphère MAGA. Les propriétaires du club sont Omeed Malik, un grand donateur de Trump et fondateur du fond d’investissement conservateur 1789 Capital, son associé Chris Buskirk, Donald Trump Jr. et Zach et Alex Witkoff, les fils de l'envoyé spécial pour l’Ukraine et le Moyen-Orient, Steve Witkoff. L’exemple même du lobbying décomplexé et de la logique "deep state" pourtant dénoncée par cette administration.

Les Trumpistes assument donc désormais leur prise de contrôle sur la capitale et tentent de la changer à leur image. Dans la fameuse rue des lobbyistes, K Street, les firmes historiques d’avocats et d’affaires publiques font l’objet d’une campagne de vengeance de Donald Trump en raison des affaires judiciaires dans lesquelles elles s’impliquent, alors que les nouveaux alliés s’installent pour mener des actions d’influence avec une administration acquise. Ici aussi, au niveau micro-local, la bataille d’influence fait rage.

Une alliance revancharde en provenance de certains territoires

Dans son ouvrage, Le processus de civilisation américain, le sociologue américain Stephen Mennell explique que ce qui caractérise les États-Unis, à la différence de l’Europe, est la décentralisation de ses élites politiques et économiques. Cet éclatement géographique et culturel a accru la compétition pour le pouvoir, notamment politique, entre des franges d’origine très différentes. La prise de contrôle de Donald Trump illustre bien ce propos. Si durant son premier mandat, Donald Trump avait été entouré par une administration composée de républicains au profil plus traditionnel (J. Bolton, R. Tillerson, M. Pompeo, etc.), force est de constater qu’il a désormais mis en place une administration pleinement MAGA et loyaliste.

La conquête du pouvoir et sa prise en main à Washington a été, cette fois, permise par une coalition d’intérêts assez variés sur le plan géographique et culturel, mais diamétralement opposée à l’establishment politique traditionnel de la capitale et ses environs. Ainsi, Donald Trump fait actuellement la synthèse entre trois grandes composantes : un entourage politique désormais issu des cercles conservateurs de Floride ; des soutiens religieux issus des Églises chrétiennes du Sud profond et du Centre-Midwest ; des cercles techno-libertariens de la Silicon Valley (Californie). Chacun de ces réseaux de pouvoir est en soutien de l’agenda trumpiste et en rivalités avec les autres pour imposer son influence au président.

Mar-a-Lago s’est avéré un catalyseur efficace pour Donald Trump. Ainsi, nombre de son entourage à Washington est issu des cercles politiques de Floride : Marco Rubio (secrétaire d’État), Pam Bondi (procureure générale), Steve Witkoff (envoyé spécial), Dan Bongino (directeur adjoint du FBI) et de nombreux conseillers à la Maison Blanche, tels que Susie Wiles (chef de cabinet), James Blair et Taylor Budowich (chefs de cabinet adjoints), Mike Waltz (conseiller à la sécurité nationale), Brian Hughes (conseiller national à la sécurité adjoint en charge de la communication stratégique), Trent Morse (directeur du personnel). D’autres responsables politiques et lobbyistes désormais installés à Washington sont aussi issus de ces cercles. L’influence des "Floridiens" est aujourd’hui égale à celle des "Texans" sous l’administration Bush Jr. Les allers-retours du président en Floride et ces réseaux interétatiques de pouvoir doivent donc être caractérisés pour comprendre les influences qui s’exercent actuellement à Washington DC.

Ce qui caractérise les États-Unis, à la différence de l’Europe, est la décentralisation de ses élites politiques et économiques. Cet éclatement géographique et culturel a accru la compétition pour le pouvoir.

Une bataille idéologique étant portée par Donald Trump et son entourage pour promouvoir la foi chrétienne, deux courants de pouvoir viennent appuyer cet effort : les évangélistes du sud profond et du centre, alliés traditionnels de Trump, et les catholiques fondamentalistes, notamment du Midwest, incarnés par le vice-président JD Vance.

Les premiers se trouvent régulièrement à la Maison Blanche, où ils organisent de nombreux évènements religieux et messes. Après avoir entamé son mandat par une messe, célébré la Semaine Sainte à la Maison Blanche et fait une annonce remarquée de Pâques, Donald Trump a permis à sa pasteure, Paula White-Cain, d'organiser une messe avec cent responsables religieux pour célébrer les 100 premiers jours. Cette dernière est une proche historique du président et dirige le nouveau Bureau de la Foi de la Maison Blanche. Désormais, nombreuses figures religieuses du Mississipi, du Texas, du Colorado, de l’Alabama ou de l'Oklahoma se rendent régulièrement à la Maison Blanche et travaillent à influencer l’agenda de Donald Trump. À titre d’illustration, ce courant évangélique du centre des États-Unis s’illustre par la figure de Kristi Noem, élu Républicaine et chrétienne fondamentaliste du Dakota du Sud, aujourd’hui secrétaire à la sécurité intérieure et fervente soutien de Donald Trump.

Ces réseaux protestants convergent avec des réseaux catholiques, eux aussi soutiens expansifs de Donald Trump. L’église catholique américaine, faible en nombre et dont la pratique s’étiole, est en effet traversée par un courant dit "intégraliste" qui cherche à renouer avec une pratique liturgique et idéologique très conservatrice et était en opposition avec la ligne du pape François. Donald Trump avait d’ailleurs nommé un opposant au pape ambassadeur au Vatican et le pape, nommé en retour un archevêque très libéral à Washington DC. Ces courants sont très présents dans les États centraux, notamment au Colorado, au Kansas, dans l’Ohio et au Wisconsin. Ainsi, si ceux-ci ne sont pas en mesure, à ce stade, d’influencer la capitale américaine, ils sont en revanche connectés directement à la Maison Blanche et aux cercles trumpistes. En mouvement régulier entre leurs territoires d’origine et la capitale, ils incarnent une influence topologique réelle, bien que sous les radars.

Enfin, si les réseaux californiens des "Tech Bros" et autres milliardaires du secteur de l’informatique sont particulièrement visibles dans cet écosystème, ils ne viennent pas du tout du même environnement idéologique que les réseaux cités ci-dessus. Ces derniers ne font pas partie du substrat culturel, religieux et conservateur du sud profond américain, dont l’origine remonte à l’installation d’une aristocratie de planteurs britanniques et monarchistes ("cavaliers") issus en grande partie de l’île de la Barbade ; ni du centre américain, dont les communautés chrétiennes prennent leurs origines dans les églises protestantes et catholiques des premiers immigrés européens (allemand, hollandais, puritains anglais, irlandais, écossais…). Les Tech Bros sont les héritiers du boom technologique singulier de la Silicon Valley et représentent une déviation conservatrice de l’idéologie libertarienne californienne. Ils se font désormais les hérauts d’un capitalisme totalement affranchi de régulations et de la souveraineté politique, d’un transhumanisme cynique et eugéniste qui permettrait à des "élus" de survivre au déclin supposé de la race humaine, et d’un solutionnisme technologique sans borne pour répondre à ces défis.

L’analyse spatiale permet ainsi de cartographier les influences multiples qui s’activent près du nouveau pouvoir et leurs racines géographiques et idéologiques.

Une atmosphère sous pression

Face à cette offensive assumée, les citoyens et travailleurs de Washington DC se retrouvent sidérés et ciblés. Tout comme lors du premier mandat, la ville massivement démocrate grimace à l’idée de vivre quatre ans avec la nouvelle élite trumpiste. S’il ne s’agissait que de cela, ce serait, après tout, les règles du jeu démocratique. Le problème, cette fois, vient du fait qu’à la différence du premier mandat, les premières politiques de Donald Trump ont déjà des conséquences dramatiques et structurelles pour la population.

Les premières politiques de Donald Trump ont déjà des conséquences dramatiques et structurelles pour la population.

En effet, la politique de réduction drastique et rapide des personnels du gouvernement fédéral, menée de manière tonitruante par les équipes du DOGE, a déjà mis sur le marché de l’emploi plusieurs dizaines de milliers de personnes dans la DMV.

Tous les gens de Washington DC ont désormais des proches qui ont subitement perdu leur emploi. Dans un espace géographique resserré où la plupart envisageait des carrières publiques longues et dans un pays où il n’existe pas de filets de sécurité comme le chômage, c’est toute la structure sociale qui est atteinte. Comme ces licenciements s’accompagnent d’une coupe drastique des contrats fédéraux avec les entreprises, celles-ci préparent aussi des licenciements massifs (et ne peuvent donc servir de vases communicants en recrutant des personnels publics, comme annoncés par Elon Musk et Donald Trump).

Au-delà de l’opposition idéologique très forte, dans un pays aujourd’hui fortement polarisé, il est important de rappeler que l’économie américaine, très endettée, fonctionne entièrement sur la stabilité et la prévisibilité. La plupart des personnes licenciées dans la DMV ont, par exemple, des prêts immobiliers qu’il devient difficile de soutenir sans emploi et qui freine une éventuelle mobilité ailleurs sur le territoire. Ainsi, pour toutes ces raisons, la recherche d’emploi est devenue ultra-compétitive, sans parler des secteurs ciblés entièrement (lutte contre la désinformation par exemple). Le choc est réel et la politique vexatoire. Il cherche à humilier cette population de fonctionnaires fédéraux, pour faire écho à l’esprit revanchard de l’électorat trumpiste qui s’était exprimé lors des manifestations contre le capitole, le 6 janvier 2021.

Ainsi, en plus du choc économique, cette politique de vengeance contre les individus ou institutions ayant défié Donald Trump ces dernières années impose un climat d’humiliation, mais aussi, pour la première fois, de peur. Les fonctionnaires, les chercheurs et experts rechignent désormais à s’exprimer publiquement par crainte pour leur institution ou pour eux-mêmes. Des chasses aux sorcières ont démarré, qu’il s’agisse de vouloir soumettre les responsables du Pentagone au polygraphe, de reporter les "biais anti-chrétiens" au département d’État ou de cibler spécifiquement des catégories de la population. Le gouvernement fédéral revit une période similaire au maccarthysme des débuts de la Guerre froide. Pourtant connue comme un espace particulièrement dynamique sur le plan des idées, avec un nombre très important de centres de recherche, de think-tanks et de médias, Washington DC et son débat public subissent aujourd’hui les conséquences de cet assaut. Les institutions bi-partisanes ou démocrates (comme Carnegie, Brookings, CSIS, etc.) ou traditionnellement républicaines (comme American Enterprise Institute) sont isolées du pouvoir et des débats, lorsqu’elles ne sont pas directement ciblées (comme le Wilson Center). Seules les institutions trumpistes, comme la Heritage Foundation, se sentent désormais soutenues et protégées.

Après seulement trois mois, la géographie du pouvoir a déjà beaucoup changé. Qu’en sera-t-il après 4 années ?

Copyright image : Jim WATSON / AFP

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