AccueilExpressions par MontaigneTrump II : 100 jours, mot à maux ?La plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne États-Unis et amériques29/04/2025ImprimerPARTAGERTrump II : 100 jours, mot à maux ?Auteur Institut Montaigne Découvreznotre série Présidentielle américaine : Trump IILe 20 janvier 2025, Donald Trump prenait ses fonctions présidentielles dans le Bureau Ovale. Nous avons demandé à nos experts d’isoler, chacun, un îlot de compréhension où venir résister à une actualité qui nous inonde de ses flots erratiques et peu compréhensibles. De la guerre commerciale à la résistance d’Harvard en passant par un exercice de politique fiction aux airs de dystopie, les experts de l’Institut Montaigne parcourent ces 100 premiers jours au rythme accéléré d’une vie politique américaine et internationale passée sous pavillon trumpiste.L’incroyable escalade douanière de Donald Trump contre la Chine a ouvert une crise commerciale de durée inconnue, alors que le président américain annonçait, le 10 avril, une surtaxe de 145 % sur tous les produits chinois. Appliquée à la lettre et dans la durée, ce serait un détricotage massif de la plus intense relation commerciale au monde, avec des répercussions incalculables. Pékin a répliqué en nature, avec des propos officiels remarquables par leur retenue mais une campagne publique qui tourne en dérision le président américain et l’Amérique. C'est la Chine qui est frappée en premier - production et transport maritime, chômage - mais le choc arrivera aux États-Unis fin mai - hausse des prix et pénuries allant de la grande consommation aux composants de produits finis. Quant au reste du monde, il redoute un déluge de produits chinois excédentaires bradés. L’abus des droits douaniers risque de condamner l’usage de ces mêmes droits, alors que le problème de la surproduction chinoise reste entier.Le temps ne se mesure pas de la même façon pour un président versatile et attentif au verdict de l’opinion publique, et un régime dictatorial qui vante l’autosuffisance depuis une décennieMais le temps ne se mesure pas de la même façon pour un président versatile et attentif au verdict de l’opinion publique, et un régime dictatorial qui vante l’autosuffisance depuis une décennie et a fait du nationalisme défensif le principal pilier de sa légitimité.Le premier a moins de crédibilité que le second. Déjà, souffleté par Wall Street, Trump concède l’irréalisme du chiffre de 145 % et proclame qu’il va engager des négociations. C’est sa seconde erreur (la première consistait à avoir attaqué la quasi-totalité des partenaires commerciaux des États-Unis en même temps). Car une fois ce premier recul acquis, Xi Jinping va prendre le temps de donner une leçon aux États-Unis, par consommateurs interposés. Déjà, des "exceptions" sont apparues, à commencer par les smartphones et autres produits digitaux. Durement touchée dans les industries de main d’œuvre et surtout les régions côtières, la société chinoise encaissera les coups au nom des valeurs patriotiques qui lui sont martelées. Et les producteurs chinois chercheront les voies du contournement de ces taxes exorbitantes.La vraie question est de savoir quand Xi Jinping interrompra cette leçon. Irremplaçable à court terme, l’usine mondiale chinoise n’est pas sans concurrents à moyen terme. On parle trop de la nécessité de "garder la face" : le PCC sait parfaitement comment faire des compromis quand il en voit les avantages. Mais est-il impossible de penser que Xi, tout comme il a utilisé le Covid pour isoler la société chinoise, saisisse cette guerre douanière pour diminuer plus avant les liens de dépendance avec les États-Unis ? Assistera-t-on alors, après quelques mois ou quelques années, à un changement de la carte des flux économiques mondiaux ?Franklin D. Roosevelt (FDR) concluait une lettre à Lord Halifax en juin 1941 (six mois avant Pearl Harbor) par une phrase restée célèbre : "Je préfère mourir debout, que vivre à genoux". De manière moins dramatique, en disant "Non" au chantage financier de Donald Trump, le Président d’Harvard, Alan Garber, retrouve l’esprit d’un des plus illustres diplômés de son université. Et celui de l’un de ses prédécesseurs à la tête de l’Université, Nathan Pusey, (1953-1971) qui avait, seul, tenu tête au sénateur McCarthy. Un "Non" qui contraste avec les "petits compromis" d’autres universités (comme Columbia à New-York). Certes, la "dotation" d’Harvard (près de 60 milliards de Dollars) explique pour partie son courage. Mais il ne s’agit pas que d’argent. Une institution - la plus vieille université du continent nord-américain - dont la devise est "Veritas" ne pouvait se soumettre sans combattre aux diktats d’un Président qui n’éprouve que du ressentiment et du mépris à l’égard du monde du savoir. Pour l’auteur de ces lignes, la "Veritas" finira par triompher du mensonge. Et ce d’autant plus que le prétexte avancé par la présidence pour justifier sa volonté de contrôle d’Harvard - l’antisémitisme qui règnerait dans l’université - relève plus de l’invention que de la réalité. Il ne s’agit pas pour autant d’exclure que certains courants "wokes" n’hébergent de véritables antisémites, mais l’immense majorité des professeurs et étudiants qui manifestent leur opposition à la politique menée par le gouvernement israélien dans la bande de Gaza n’expriment aucun sentiment antisémite. Ils traduisent simplement leur solidarité avec la population civile de Gaza.Une institution - la plus vieille université du continent nord-américain - dont la devise est "Veritas" ne pouvait se soumettre sans combattre aux diktats d’un Président.En attaquant Harvard comme il le fait, sous le prétexte d’antisémitisme, Donald Trump prend délibérément le risque de susciter, par un phénomène de "retour du bâton", un antisémitisme qui, celui-là, soit véritable.60 % des Américains considèrent avec inquiétude la situation économique de leur pays, selon le dernier sondage de l’Institut Gallup sorti fin Mars, chiffre en rapide progression. Ils sont 59 % à être inquiets pour leur accès à la santé et 56 % du fait de la hausse des prix. Il faut se rappeler que Trump est arrivé au pouvoir en grande partie grâce au vote des électeurs non affiliés qui ne voyaient pas de retombées bénéfiques des politiques de Joe Biden, malgré une croissance de plus de 3 % de l’économie. Ce chiffre de 60 %, après 100 jours de gouvernement, a de quoi inquiéter sérieusement le parti Républicain.Une politique chaotique inspirée par la fameuse phrase attribuée à Steve Bannon, personnalité clef du mouvement MAGA : "you flood the zone".Il résulte d’une politique chaotique inspirée par la fameuse phrase attribuée à Steve Bannon, personnalité clef du mouvement MAGA : "you flood the zone". Cette stratégie consiste à prendre des mesures le plus vite possible dans tous les domaines sans trop penser ni à leur cohérence ni à leur logique, afin de déstabiliser ses adversaires.Cependant, les 100 premiers jours de Trump II se sont surtout traduits par l’incohérence des décisions prises dans le domaine de l’économie, qui est précisément celui où ses électeurs attendaient des résultats rapides. En augmentant les droits de douanes de façon chaotique et irréfléchie, le Président a contribué à l’effondrement de la bourse et a fait baisser la valeur des bons du trésor à des niveaux inédits, ce qui s’est traduit immédiatement par une augmentation du coût de la dette américaine. Trump joue avec le feu et le pays est actuellement au bord d’une récession et d’une hausse de l’inflation. Au milieu de la guerre des tarifs, le sénateur Républicain très conservateurs Ted Cruz a lancé un cri d’alarme indiquant que les prochaines élections risquent d'être un bain de sang pour les républicains. Il ne faut cependant pas sous-estimer l’incroyable capacité de Trump à renaître de ses cendres et à rassembler une base d’électeurs fanatisés par la guerre qu’il mène contre les migrants et les valeurs des élites libéralesLes débuts de cette présidence Trump ont été marqués par un climat de peur avec, en toile de fond, la question de l’argent. Fin janvier, le géant de la tech, Meta, choisit de verser 25 millions de dollars de dédommagements à Donald Trump, pour mettre fin aux poursuites qu’il avait engagées, s’estimant victime d’une censure injustifiée après la suspension de ses comptes Facebook et Instagram en 2021.La grande chaîne médiatique, ABC News, décide de contribuer à hauteur de 15 millions de dollars à la future bibliothèque présidentielle pour éviter une plainte pour diffamation lancée par le président. une autre chaîne majeure, CBS News, réfléchit actuellement à une solution à l’amiable (c’est-à-dire, monétaire) pour clore une plainte de Trump réclamant 20 milliards de dollars pour la diffusion d’une interview de Kamala Harris qu’il a qualifiée de "malhonnête"(N.B.: la société mère de CBS News souhaite réaliser une fusion nécessitant la validation du président). De grands cabinets d’avocats acceptent de fournir des heures pro bono, pour un total de plus d’un demi-milliard de dollars, au service des causes soutenues par le président, et ce pour éviter un décret exécutif punitif visant à scruter leurs pratiques de recrutement, soupçonnées d’embauches "DEI". Des universités sous investigation fédérale acquiescent aux exigences diverses (et changeantes) de l’administration, y compris sur les questions curriculaires, pour restaurer des subventions fédérales valant des milliards de dollars, gelées ou annulées par le président. Des élus républicains hésitent à s’opposer au président par peur de voir mises en péril des aides fédérales à destination de leur État fédéré, ou encore par crainte de faire face à un compétiteur trumpiste financé par la fortune illimitée d’Elon Musk lors des midterms. Comme le disait Lisa Murkowski, sénatrice républicaine ayant déjà défié Trump publiquement : "Nous avons tous peur. […] j’éprouve de l’angoisse en prenant la parole car les représailles sont une réalité."D’autres composantes de la société américaine ressentent également une peur liée aux questions économiques, mais pour des raisons différentes. Les Américains, dont ceux qui ont voté pour Trump, s’attendent précisément à une amélioration concrète de leur situation économique personnelle. La turbulence générée par les annonces sur les frais de douane a provoqué des pertes importantes pour les fonds de retraites par capitalisation. Les Américains des classes moyennes ou populaires attendent avec impatience la baisse des prix, l’augmentation de leur pouvoir d’achat et une diminution de la précarisation incessante de la vie.Pour un président qui n’entend que le rapport de force, est-ce là le début d’une contestation impossible à ignorer ?Ils appréhendent dorénavant une récession qui semble de plus en plus probable. Six Américains sur 10 qualifient le début de la présidence Trump d’"effrayant", et deux fois plus d’Américains disent que l’économie se porte mal depuis son investiture que le contraire. Pour un président qui n’entend que le rapport de force, est-ce là le début d’une contestation impossible à ignorer ?Le 9 avril 2025 mérite d’entrer dans l’histoire des marchés financiers et de la politique économique américaine. Ce jour-là, les "tarifs réciproques" annoncés par le Président Trump une semaine plus tôt, lors du "jour de la libération", devaient entrer en vigueur. Les marchés d’actions avaient déjà sérieusement dévissé, ne suscitant qu’une réaction cynique du Secrétaire d’État au Trésor Scott Bessent : "Nous agissons pour défendre les travailleurs américains, pas les milliardaires". Mais le 9 avril, ce sont les obligations de l’État fédéral américain qui prirent le bouillon, de grands investisseurs institutionnels ayant décidé de réduire leur exposition à un émetteur que ses décisions chaotiques rendaient risqué. En quelques heures, la chute des obligations fédérales, ces Treasuries que les banques centrales, les fonds souverains et les grands fonds de pension du monde entier, considéraient comme l’actif sur et liquide de référence, fit monter le taux d’intérêt à 10 ans d’un demi-point de pourcentage, pour dépasser 4,5 %. Quelques heures plus tard, Donald Trump annonçait que les tarifs douaniers dont il était si fier seraient reportés de 90 jours.Les investisseurs, plus que l’opposition politique ou les partenaires commerciaux des États-Unis, ont forcé le nouvel homme fort des États-Unis à battre retraite.Les investisseurs, plus que l’opposition politique ou les partenaires commerciaux des États-Unis, ont forcé le nouvel homme fort des États-Unis à battre retraite. C’est une bonne nouvelle, mais, pour l’économie mondiale et l’économie américaine, une partie du mal est déjà faite : l’incertitude économique et financière créée par les annonces et contre-annonces de la nouvelle administration poussent les entreprises à repousser leurs investissements et les consommateurs à attendre d’y voir plus clair sur leur niveau de vie pour leurs achats importants.Le ralentissement, voire la récession, guette. De plus, le nouveau président semble incorrigible : ses propos menaçants vis-à-vis du président de la Réserve Fédérale ont fait à nouveau chuter le marché obligataire, entraînant une nouvelle volte-face de la Maison-Blanche.Qui aurait imaginé que les 100 premiers jours d’exercice du 47e Président verraient une débâcle des marchés financiers, entièrement due à ses décisions ? Bien peu. C’est pourtant ce qui s’est passé. Il faut espérer que la sanction des marchés ramènera un peu de raison à la Maison Blanche, mais rien n’est moins sûr.Les derniers mois de ce second mandat de Donald Trump ont été particulièrement houleux : poussée chinoise en direction de Taiwan, attaques de la Russie dans les pays baltes, reprise à un plus haut niveau d’une offensive contre l’Ukraine jamais vraiment interrompue depuis le cessez-le-feu de l’été 2025.Quatre ans de MAGA ont considérablement affaibli l’Amérique. Son économie a connu des hauts et des bas. Les attaques contre la recherche fondamentale, la xénophobie, la politique inflationniste, ont grippé la croissance. Sur le plan géopolitique, un comportement erratique sur différents théâtres (sauf au Proche-Orient) ont terni le prestige de Washington tandis que sa politique commerciale lui a aliéné des alliés, en Asie et ailleurs. La Chine en ressort renforcée.En amont de ces anticipations, plusieurs variantes possibles. Par exemple, après une période de "100 jours" (ou un peu plus) de Trump II moins désorganisée que ne l’avait été l’administration Trump I, le chaos qui avait caractérisé cette dernière est revenu. Les seigneurs de la tech ont fait défection. Les Républicains ont perdu les mid-terms elections dans les grandes largeurs. Tout cela, paradoxalement, a conduit à une limitation des dégâts. Autre exemple : le vice-président Vance paraît bien placépour la succession, ayant dissuadé Trump de rempiler. Cela peut inciter les États révisionnistes à patienter puisque c’est l’assurance que les beaux jours vont continuer pour eux.Et l’Europe ? C’est un autre paradoxe : elle ne s’en tire pas trop mal, car la Chine a compris que ce n’était pas son intérêt de l’enfoncer.Et l’Europe ? C’est un autre paradoxe : elle ne s’en tire pas trop mal, car la Chine a compris que ce n’était pas son intérêt de l’enfoncer. Le maintien d’une menace russe couplé au désengagement américain l’a forcée à se prendre (un peu) en main ; le Royaume-Uni s’est (en partie) détaché de Washington ; la France a fini par comprendre la nécessité de se recentrer sur le Vieux Continent.Copyright image : CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP Donald Trump le 23 avril 2025, dans le Bureau Ovale de la Maison-Blanche.ImprimerPARTAGER