AccueilExpressions par Montaigne[Trump II] - Cent jours pour un chaosLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne États-Unis et amériques30/04/2025ImprimerPARTAGER[Trump II] - Cent jours pour un chaosAuteur Amy Greene Experte Associée - États-Unis Découvreznotre série Présidentielle américaine : Trump IILa tradition de tirer un bilan des cent premiers jours du mandat d’un président s'inscrit dans une tradition ancienne qui remonte à Franklin D. Roosevelt. En quoi son interprétation par Donald Trump est-elle inédite ? Que montre la liste, allongée ad libitum, des décrets présidentiels ? À défaut de parler de stratégie, que retenir du "style" Trump et comment est-il reçu des électeurs ? Dans son analyse, Amy Greene revient aussi sur le parti démocrate, à la fois l'angle mort de ces premiers cent jours et au point mort stratégique.Donald Trump a passé les quatre dernières années de son exil politique à préparer son retour au pouvoir. Il est revenu avec un parti républicain et des intellectuels conservateurs mobilisés à ses côtés qui ont conçu un projet politique et la stratégie de sa mise en œuvre. Bien que Trump ait été élu principalement pour améliorer la situation économique du pays - perçue par l'Américain moyen comme mauvaise et source de souffrances individuelles - il agit, dès à présent, bien au-delà de cet objectif pour tenter une véritable transformation du pouvoir présidentiel, des équilibres politiques intérieurs et internationaux ainsi que de la société américaine. Ces 100 premiers jours ont été particulièrement marqués par un déluge de décrets exécutifs (139) lui permettant d’agir rapidement et sur tous les fronts en même temps, et ce, à la grande stupéfaction de ses adversaires politiques comme du peuple américain.Les 100 jours : un prisme pertinent pour une présidence hors norme ?Ce premier rendez-vous présidentiel, 3 mois après le début du mandat, trouve ses origines en 1933. Franklin Roosevelt avait alors pris date avec le peuple américain pour dresser un premier bilan de son ambitieux New Deal qui promettait de sortir le pays de la Grande Dépression. Depuis, les présidents successifs des deux partis ont perpétué cette tradition, devenue un temps fort destiné à montrer aux citoyens qui ont la capacité de mettre en jeu leur capital politique pour faire voter les dossiers prioritaires de leur programme (généralement les promesses principales issues de la campagne présidentielle). L’enjeu est double : démontrer son aptitude à rassembler le parti victorieux pour le mettre au service de cet agenda mais aussi chercher des coalitions lorsqu’elles sont nécessaires afin de dépasser les divisions politiques au nom de l’intérêt supérieur de la nation. Même quand un nouveau président réussit uniquement par l’unité de son parti et en dépit de la résistance farouche de son opposition, il utilise les cent jours comme preuve de l’efficacité de son leadership et de sa capacité à apporter des solutions rapidement. Ce modèle traditionnel suppose que le président priorise le travail avec le Congrès, dont une des fonctions est d’ancrer la politique à l’échelle locale, et la recherche de coalitions à cette fin.Rien de cela ne s’applique à Donald Trump. Depuis cent jours, il opère une stratégie de blitzkrieg exécutif.Rien de cela ne s’applique à Donald Trump. Depuis cent jours, il opère une stratégie de blitzkrieg exécutif, lançant plus d’une centaine de décrets sur tous les fronts : supprimer le droit du sol, pourtant constitutionnel, geler les aides humanitaires internationales, déclarer une urgence nationale migratoire pour impliquer l’Armée américaine dans la mise en œuvre de sa politique à la frontière mexicaine, fermer le ministère de l’Éducation, éliminer les politiques de diversité et d’inclusion au sein des agences fédérales, déclarer une urgence énergétique nationale afin, notamment, d’augmenter le forage offshore, requalifier des milliers de postes de fonctionnaires pour pouvoir les remplacer plus facilement.Autant d’exemples d’un activisme aussi radical que désordonné et foisonnant, dont la liste pourrait être allongée. Sans décret cette fois, l’administration a mobilisé une loi de 1952 pour révoquer les visas des étudiants ayant manifesté pour Gaza en accusant ces derniers de poser un "risque sérieux à la politique étrangère" de la nation. Par ailleurs le président a licencié des membres du haut commandement militaire, des inspecteurs généraux et des agences indépendantes chargées de surveiller le gouvernement ; imposé les droits de douane inédits sur motif de sécurité nationale ; suspendu ou annulé des milliards de dollars de subventions aux universités ; invoqué une loi de 1798 pour justifier l’expulsion de migrants vers le Salvador ; porté plainte contre certains médias ; qualifié Volodymyr Zelenskyi de dictateur ayant commencé la guerre et marqué son dédain pour l’Union Européenne… Grand nombre de ces décrets et décisions font actuellement l’objet de contentieux. Compte tenu de leur masse, il est difficile de suivre l’état actuel des recours dont ils font l’objet : lesquels sont entre les mains des juges fédéraux ? Lesquels iront jusqu’à la Cour suprême ? Comment la Cour suprême s’est-elle exprimée sur les dossiers qu’elle a accepté d’étudier ? Le président en a-t-il tenu compte ? La séquence politique tourne sur elle-même sans fin, et c’est précisément ce mouvement perpétuel cacophonique, cette confusion, qui rendent la compréhension et le suivi - sans parler de l’imputabilité politique - particulièrement difficiles. Au fond, la stratégie, ou plutôt l’hyperactivité qui en tient lieu, permet au président Trump d’imposer non pas des résultats, mais un style présidentiel selon lequel la méthode - épuisante - l’emporte sur la production de résultats transparents, chiffrés, factuels et vérifiables que les électeurs avaient l’habitude d’exiger de leurs dirigeants. Finalement, les États-Unis sont passés sous une gouvernance politique qui n’accorde pas d’importance aux marqueurs symboliques et traditionnels et où les dirigeants s’estiment investis d’une mission : transformer en profondeur la société. Sur les sujets qui importent aux Américains, les résultats aux problèmes attendus ne sont pas objectivés, ce qui permet de bouger continuellement le curseur de réussite et de déclarer la victoire quoi qu’il arrive. Un tel climat, fait de désordre organisé et polarisé, et de divisions, qui ne cherche aucunement l’unité nationale, interdit d'analyser ce début de mandat au prisme des 100 jours. Une question se pose néanmoins dans ce maelstrom : puisque les États-Unis comptent deux grands partis politiques, où est le deuxième ?Les Démocrates désorientésCent jours après l’investiture de Donald Trump, les Démocrates peinent toujours à s’imposer dans un écosystème politico-médiatique complètement dominé par le président. Face à la difficulté à contre-attaquer, ils peinent ne serait-ce qu’à identifier les terrains sur lesquels contre-attaquer, ou quelles visions et quels arguments défendre. Il y a certes des exceptions, comme en témoigne la tournée récente de Bernie Sanders, et certains élus démocrates expriment leur désaccord tous les jours, mais manque en revanche la cohérence d’ensemble.Le parti démocrate est sous le coup de la sidération provoquée par la politique de Trump. Rares étaient ceux qui, au sein de la classe politique, avaient anticipé la précipitation avec laquelle le nouveau président mettrait son agenda en place, de façon aussi systématique. Donc se battre, mais avec quelle approche ? Certains Démocrates pensent qu’il faut faire barrage à Trump et se montrer intransigeant. D’autres considèrent qu’il faut chercher des espaces de compromis dans un souci de dépassement des fractures gauche/droite. Cela est une vraie question idéologique.La gauche n’a pas perdu l’élection de façon écrasante, mais Trump a fait des gains chez les électeurs démocrates.Les réponses à ces questions dépendent en partie de la manière dont le parti analyse sa défaite de 2024. La gauche n’a pas perdu l’élection de façon écrasante, mais Trump a fait des gains chez les électeurs démocrates : auprès des Noirs et des Hispaniques, dans les villes qui ont voté massivement Biden en 2020 entre autres. Les classes populaires les ont abandonnés.Perçu comme le parti des élites, comment les Démocrates peuvent-ils retrouver en crédibilité face à cette Amérique sans renoncer à leurs valeurs et à leur devoir vis-à-vis de leur base électorale ? Certains Démocrates ont pris à cœur les conseils de Sun Tzu : n’interrompez jamais votre adversaire lorsqu’il est en train de commettre une erreur. Mais cela ne suffira pas pour convaincre un électorat sceptique. Les Américains attendent de pied ferme et il leur faudra plus qu’un silence relatif ou des gestes symboliques. À l’échelle locale, les démocrates ont réussi à faire gagner leurs candidats face aux trumpistes, tout en ayant des politiques de gauche assumées : il y a des enseignements très instructifs à en tirer. Avec un taux de favorabilité qui frôle les 37 % (légèrement inférieur aux 43 % pour Trump), il est grand temps que les démocrates trouvent une voie vers une vision d’ensemble claire, cohérente et lisible.Des Américains qui doutent déjàIl est encore trop tôt pour évaluer le niveau de désenchantement de l’opinion publique vis-à-vis du président et les conséquences électorales qui pourraient en résulter lors des midterms. De nombreux électeurs qui ont choisi le président en novembre dernier lui laissent encore le temps avant de juger certaines des décisions les plus controversées, comme celles sur les frais de douane. Ils admettent une inquiétude et attestent de la difficulté, notamment économique, de la vie quotidienne tout en espérant que les difficultés traversées par le pays ne soient que transitoires.Le président et son parti ne doivent pas pour autant considérer qu’ils ont un blanc-seign : des premiers signes se donnent à lire, qui s’avèrent préoccupants pour la droite. Certains émanent de leur propre camp. Donald Trump lui-même semble le président le plus clivant ("divisive") de l’histoire moderne à ce stade de sa présidence. Avant Trump II, il faut remonter à … Trump I pour trouver un président aussi impopulaire. Le président n’a jamais prétendu vouloir gouverner en coalition ni porté un projet d’unité nationale, mais il n’arrive pas à élargir son niveau de soutien au-delà d’un socle fidèle. Et au sein de l’opinion publique, Démocrates, Indépendants mais aussi Républicains expriment leurs réserves croissantes sur la manière dont Trump exerce le pouvoir, positionne les États-Unis dans le monde, et gère les dossiers prioritaires pour le pays. Près de sept Américains sur dix jugent sa présidence "chaotique" et six sur dix la jugent "effrayante". Plus de la moitié s’oppose à la fois à sa gestion de l’économie et à sa politique des frais de douane. Déjà, à seulement 100 jours de présidence, deux fois plus d’Américains estiment être pénalisés par les politiques de Trump que le contraire.Il est encore trop tôt pour évaluer le niveau de désenchantement de l’opinion publique vis-à-vis du président et les conséquences électorales qui pourraient en résulter lors des midterms.Si le président a su rassembler à la fois sa base et des électeurs mécontents du bilan démocrate, les premiers indicateurs montrent des failles émergentes qui pourraient peser lourd sur les élections dans un an.Et si les électeurs constituent le premier et le dernier frein dans une démocratie, ils semblent indiquer une satisfaction ni avec le président ni avec son opposition.Copyright JEFF KOWALSKY / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 29/04/2025 Trump II : 100 jours, mot à maux ? Institut Montaigne 16/04/2025 L’économie en front de guerre commerciale Eric Chaney François Godement 31/03/2025 États-Unis : les démocrates peuvent-ils reprendre la main ? 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