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27/02/2024

Santé mentale des jeunes : il est temps d’innover !

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Santé mentale des jeunes : il est temps d’innover !
 David Gourion
Auteur
Médecin psychiatre

La détérioration de la santé mentale des jeunes a fait l’objet, durant le Covid, d’une attention particulière. Pourtant, à présent que l’épidémie est passée, le constat reste alarmant. Comment expliquer la vulnérabilité particulière des adolescents et des jeunes adultes ? Comment les institutions de santé et d'éducation peuvent-elles se montrer à la hauteur d’une situation  qui s’aggrave ? État des lieux et propositions par le docteur David Gourion.

Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre Gabriel Attal a érigé la santé mentale des jeunes au rang de grande cause de l’action gouvernementale. Quelques mois plus tôt, interpellé par HugoDécrypte sur les souffrances psychiques des jeunes, Emmanuel Macron avait regretté "un manque de bienveillance dans le système scolaire et estudiantin", laissant espérer que ces signaux d'alerte mèneraient à l'action dans un avenir proche. De son côté, le Sénat a voté mi-janvier à l’unanimité l’inscription de la santé mentale des jeunes comme grande cause nationale.

Hélas, ces déclarations se heurtent à l’inquiétante réalité des chiffres émanant de Santé Publique France, révélant une fragilisation croissante de l'équilibre psychique de nos jeunes. En effet, si nous connaissions les conséquences délétères de l’épidémie de Covid-19 sur l’augmentation massive des passages aux urgences pour des gestes suicidaires, des idées suicidaires, et des troubles de l'humeur chez les jeunes, il est troublant de constater qu’alors même que l’ombre de la pandémie semble s’éloigner, ces chiffres, loin de retomber, se maintiennent
Mais en réalité, qu'entend-on exactement par "santé mentale des jeunes", formule souvent invoquée par nos décideurs ?

Décrypter la santé mentale des jeunes : "l’essentiel est invisible pour les yeux"

Selon l'Organisation Mondiale de la Santé, les troubles de la santé mentale sont désormais la principale cause d'incapacité à l'échelle mondiale. Ces troubles apparaissent principalement entre 15 et 25 ans, une période de vulnérabilité psychique particulière, essentielle pour le développement des capacités de résilience dans la vie adulte.

Cette période de jeunesse est donc une "fenêtre de vulnérabilité" globale, qui implique tout autant l’acquisition de compétences sociales, de régulation émotionnelle et d’estime de soi, que la mise en jeu de processus de plasticité cérébrale, influencés par une variété de facteurs génétiques et environnementaux. C’est tout l’enjeu de la prévention, car justement, l’exposition durant cette période cruciale du développement à différents facteurs de risque environnementaux, qu’ils soient psycho-sociaux (harcèlement scolaire, violences sexuelles et sexistes, discriminations, etc.) ou biologiques (alcool, cannabis), est susceptible de précipiter l’émergence d’un trouble sur un "terrain" fragile.

L’entourage familial, souvent démuni, pourrait alors croire, hélas, qu’il s’agit d’une simple crise d’adolescence, alors que le mal est profond et le danger de conduites suicidaires, bien réel.

Il suffit alors d’une simple goutte d’eau supplémentaire pour faire déborder le vase et qu’émerge une véritable crise psychique, dont l’apparition est parfois brutale, tel un "coup de tonnerre dans un ciel serein" (selon la description initiale que le psychiatre Valentin Magnan donne de la "Bouffée délirante aiguë" en 1866), parfois lente, insidieuse et sournoise… L’entourage familial, souvent démuni, pourrait alors croire, hélas, qu’il s’agit d’une simple crise d’adolescence, alors que le mal est profond et le danger de conduites suicidaires, bien réel.

Silence, stigmatisation et solitude : les nouvelles épidémies

Pour ma part, en tant que psychiatre de terrain et qu’ancien chercheur, parfaitement conscient des enjeux majeurs de santé publique, j’alertais dès 2015 sur la vague à venir dans un ouvrage dévolu aux fragilités psychiques des jeunes adultes, intitulant le chapitre sur la prévention du suicide : "The Sound of Silence"… Car c’est une sombre réalité, mais la santé mentale demeure, encore trop souvent, un tabou, dans un domaine où, précisément, le silence tue. Depuis le début de la pandémie Covid-19 en mars 2020 la situation s’est encore détériorée, en particulier chez les jeunes, avec une augmentation des passages aux urgences pour gestes suicidaires, les premiers résultats de l'étude Confeado de Santé Publique France ayant mis en évidence que la santé mentale était plus impactée chez les adolescents et les filles, et que les fractures sociales accentuaient la détresse psychologique chez les enfants et adolescents dans des conditions de vie précaires.

Malgré cette augmentation massive des problèmes de santé mentale chez les jeunes, l'accès à des services de santé mentale appropriés et spécialisés demeure un long et difficile parcours du combattant, une trop faible proportion de jeunes recevant un traitement approprié suffisamment tôt. Ces déficits d'accès sont encore plus prononcés parmi les populations de jeunes marginalisés et à risque, malgré un niveau de besoins de soins plus élevé. Ainsi, les jeunes en situation de précarité sont trois fois plus susceptibles de signaler des idées suicidaires, au même titre que ceux qui appartiennent à une minorité sexuelle. De surcroît, les jeunes sont aujourd’hui exposés à une autre épidémie, plus silencieuse que le Covid mais tout aussi redoutable : une vaste épidémie de solitude, à laquelle nous pourrions ajouter un nouveau syndrome, celui du sentiment de perte de sens.

Des promesses aux actes : le temps est venu d’innover !

Face à ces constats, l'engagement politique se doit de transcender la rhétorique pour se muer en actions concrètes. L'heure n'est plus aux déclarations d'intention mais à l'implémentation rapide de stratégies robustes, capables de contrer cette tendance inquiétante. Comment, dès lors, passer du verbe à l'acte ?

Premièrement, l'accès aux soins spécialisés doit être fluidifié. Les délais d'attente prohibitifs et la pénurie de spécialistes en santé mentale créent un goulot d'étranglement qui empêche les jeunes en souffrance de recevoir l'aide dont ils ont urgemment besoin. La mise en place de dispositifs tels que les consultations psychologiques remboursées et l'augmentation du nombre de professionnels formés à la prise en charge des troubles mentaux sont des mesures qui doivent être prioritaires.

Deuxièmement, il est impératif de doter nos institutions éducatives des ressources nécessaires à la prévention et à la détection précoce des troubles psychiques. Une formation approfondie des enseignants et du personnel éducatif, axée sur la reconnaissance des signaux de détresse et l'orientation vers les structures de soin adéquates, s'impose comme un premier pas incontournable.

Il est impératif de doter nos institutions éducatives des ressources nécessaires à la prévention et à la détection précoce des troubles psychiques.

En effet, l’École de la République est le lieu privilégié pour la prévention. Plus exactement, c’est l’espace-temps le plus propice pour toutes les préventions : pas seulement la prévention du harcèlement scolaire, pour laquelle j’avais émis des recommandations concrètes, de véritables efforts ayant d’ores et déjà été engagés, mais aussi de la prévention des addictions et des VSS, et ce, de la maternelle jusqu’à l’université.

Troisièmement, il convient de promouvoir une culture de la résilience et de la bienveillance au sein de la société. Les campagnes de sensibilisation et d'éducation à la santé mentale peuvent jouer un rôle crucial dans la déstigmatisation des troubles psychiques et encourager les jeunes à chercher de l'aide sans crainte de jugement. L’École, encore une fois, est le lieu idéal pour induire ce changement. Pourquoi, au-delà du fameux "Choc des savoirs", ne pas inventer une "Fête des savoirs", véritable célébration de tous les savoirs, y compris ceux, essentiels, de l’Égalité et de la Fraternité, si chers à notre République et qui impliquent naturellement l’apprentissage du respect des autres et de soi-même, c’est à dire des bases de la prévention en santé mentale ! Cette fête de début d’année (en lieu et place des fêtes de fin d’année, qui, hormis la dégustation de crêpes, servent rarement des projets d’envergure), réunirait durant deux ou trois jours enseignants, parents, professionnels de santé, mais aussi artistes et sportifs, autour de nos enfants, pour les aider à créer leurs propres projets centrés sur le bien-vivre ensemble, en commençant par exemple par la création de "Safe-places", des lieux dédiés au bien-être et à la gestion du stress au sein de chaque établissement. Nous bénéficions d’une extraordinaire exception culturelle française : innovons et cessons, une fois n’est pas coutume, de (mal) copier ce qui se fait à l’étranger !

Cet article ne prétend pas détenir toutes les réponses, mais aspire à initier un dialogue, à questionner et à pousser à l'action. Les promesses du gouvernement suscitent une attente légitime, mais l'espoir ne saurait suffire. Le temps est venu de transformer les aspirations en réalités tangibles, pour que la santé mentale des jeunes ne soit plus un vœu pieux mais une priorité incarnée dans chaque décision politique. En définitive, la véritable mesure de notre engagement envers la santé mentale des jeunes résidera dans notre capacité à traduire les paroles en politiques effectives, à ériger des ponts entre les besoins criants et les solutions concrètes. Les générations futures nous jugeront sur les actes posés aujourd'hui, sur notre détermination à faire de la santé mentale une pierre angulaire de notre société. Ne décevons pas cette attente.

Copyright : Éric FEFERBERG / AFP

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