Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
04/03/2021

Rénovation énergétique des bâtiments : quelles avancées ?

Trois questions à Romain Bordier

Rénovation énergétique des bâtiments : quelles avancées ?
 Romain Bordier
Ingénieur et directeur de la stratégie de WeMaintain

Le secteur du bâtiment représente 43 % de la consommation d’énergie finale en France et près d'un quart des émissions de gaz à effet de serre, en faisant le deuxième secteur le plus émetteur. Il apparaît donc impératif d’agir pour en réduire les émissions tout en luttant contre la précarité énergétique des ménages vivant dans des logements dits "passoires énergétiques". Le plan de relance annoncé en septembre dernier, la Convention Citoyenne pour le Climat et le projet de loi qui en découle ont tous accordé une attention particulière à ce sujet majeur. Où en est-on des mesures adoptées et qu’en déduire concernant l’avenir du secteur du bâtiment ? Romain Bordier, rapporteur du rapport Rénovation énergétique : chantier accessible à tous de l’Institut Montaigne, répond aux questions de Clémence Alméras, chargée d’études sur les questions d’énergie et de développement durable.

Une refonte du diagnostic de performance énergétique (DPE) entrera en vigueur le 1er juillet 2021 pour lutter contre "les passoires énergétiques". Pouvez-vous rappeler à quoi sert cet outil ? En quoi consiste cette refonte du DPE et estimez-vous que cela sera suffisant pour mettre fin au problème des passoires énergétiques ?

Le diagnostic de performance énergétique (DPE) est un document qui permet une évaluation de la performance énergétique et - on en parle beaucoup moins - des émissions de gaz à effet de serre d’un logement ou d’un bâtiment. Si le DPE existe pour les bâtiments non-résidentiels, c’est pour les logements qu’il est le plus connu puisqu’il est exigé lors de la vente ou de la location d’un bien à usage d’habitation aux côtés d’autres diagnostics obligatoires.

On sait moins, en revanche, que le DPE est à l’origine un outil issu de la législation européenne depuis 2010 et qu’il est en fait présent dans tous les pays européens à des degrés divers. La Commission européenne, dans une étude de 2014, a mesuré que le DPE ou ses équivalents ont un effet réel sur la valeur des biens immobiliers, ce que, les notaires en France vérifient chaque année dans une étude nationale sur la valeur verte. Il est toutefois difficile de dire si ce lien entre DPE et valeur du logement est un lien de causalité - un bon DPE augmente la valeur du logement - ou une simple corrélation - les logements les plus performants sont probablement les plus qualitatifs de façon générale.

Avec ses étiquettes A à G, le DPE est un outil populaire d’évaluation de la performance énergétique. Le gouvernement voudrait pouvoir définitivement et sans contestation possible définir les "passoires énergétiques" comme les logements classés F et G, ce qui permettrait ensuite d’appliquer des mesures ciblées sur ces logements. Mais pour cela, encore faut-il fiabiliser le DPE.

Ce dernier a longtemps été décrié pour trois raisons principales. Soit pour sa méthode de calcul jugée peu fiable voire sommaire. Soit parce que le DPE est pour l’instant un outil d’information qui n’impose rien si ce n’est de faire le diagnostic lui-même. Soit, enfin, parce que les diagnostiqueurs immobiliers, profession chargée de réaliser les diagnostics, ont pu par le passé arriver à des résultats très disparates pour un même bien.

Le gouvernement voudrait pouvoir définitivement définir les "passoires énergétiques" comme les logements classés F et G, ce qui permettrait ensuite d’appliquer des mesures ciblées sur ces logements.

Pour les diagnostiqueurs immobiliers, de l’eau a depuis coulé sous les ponts. Ils font maintenant partie des professions réglementées et doivent se soumettre à un processus de certification strict et suivre un référentiel de compétences.

Ensuite, la loi ELAN a rendu opposables les informations contenues dans le DPE. Concrètement, à partir du 1er juillet 2021, si vous trouvez que le bien que vous avez acheté consomme beaucoup plus que ce qui était annoncé dans le DPE, vous pourrez vous retourner contre votre vendeur. Un peu comme lorsqu’on vous vend un logement plus petit qu’il n’est en réalité, vous pouvez obtenir une réduction du prix par la suite.

Reste enfin la méthode de calcul. La performance énergétique du logement est évaluée en énergie dite primaire, c’est-à-dire toute forme d'énergie disponible dans la nature avant transformation (charbon, pétrole…) - comme l’exige malheureusement la directive européenne -, notion qui reste totalement incompréhensible du grand public et n’est pas simple à relier à la consommation réelle d’énergie du logement. Cela peut aussi conduire à des effets pervers. Des logements peu consommateurs en énergie primaire mais assez émetteurs de gaz à effet de serre peuvent être mieux notés que des logements moins émetteurs de gaz à effet de serre.

Le gouvernement corrige le tir avec, d’une part, une importante refonte de la méthode de calcul et, d’autre part, l’introduction de la mesure des émissions de gaz à effet de serre directement dans la note du logement.

Il y aura de moins en moins de contestation possible sur ce qu’est une passoire énergétique et il va être beaucoup plus facile de s’y attaquer au travers de mesures plus spécifiques.

Le projet de loi "climat et résilience", présenté en Conseil des Ministres le 10 février dernier et qui sera débattu au Parlement au mois de mars, consacre un volet à la rénovation énergétique des bâtiments afin de réduire l'empreinte carbone du secteur. Le plan de relance, annoncé en septembre 2020, lui faisait également la part belle. Certains estiment pourtant que le gouvernement n'est pas suffisamment ambitieux dans ses objectifs ; qu'en pensez-vous ?

Il ne fait pas bon être propriétaire d’une passoire énergétique avec ce nouveau projet de loi : obligation de réaliser un audit énergétique pour les propriétaires de logement en mono-propriété, interdiction d’augmenter les loyers à partir de 2023, interdiction même de les louer à partir de 2028 et dès 2023 pour les logements classés G.

Le projet de loi "climat et résilience" issu des travaux de la Convention Citoyenne pour le Climat n’y va pas avec le dos de la cuillère : 5 millions de logements seront potentiellement concernés par les restrictions décrites plus haut. Et c’est presque 20 % du parc locatif privé qui pourrait sortir du marché de la location du fait des interdictions, si les propriétaires bailleurs ne réalisent pas de travaux.

Pour conserver la valeur de leurs biens, certains propriétaires - que ce soit pour vendre ou pour louer - vont être obligés de réaliser des travaux très importants. On ne sait pas, pour l’instant, évaluer l’impact de ces contraintes sur la hausse des prix de l'immobilier ou sur les loyers mais ceux qui auront engagé des travaux voudront évidemment retrouver leur mise. Il faudra impérativement surveiller ces prix très attentivement pour ne pas encore accroître le déséquilibre entre offre et demande de logement.

Certaines parties prenantes, notamment la Convention citoyenne elle-même, jugent que le calendrier n’est pas assez ambitieux. Je pense que c’est une première marche, déjà très importante

Le projet de loi "climat et résilience" issu des travaux de la Convention Citoyenne pour le Climat n’y va pas avec le dos de la cuillère : 5 millions de logements seront potentiellement concernés par les restrictions décrites plus haut.

Surtout, avec ce projet de loi, les pouvoirs publics mettent le pied dans la porte de l’interdiction des passoires et ils auront par la suite tout le loisir de renforcer les exigences. Qui nous dit que dans quelques années les logements classés E puis D, C … ne seront pas également concernés ?

Le rapport de l'Institut Montaigne de juillet 2019 intitulé Rénovation énergétique : chantier accessible à tous identifiait les obstacles organisationnels existants comme un frein à l'augmentation de la demande de rénovations. Pouvez-vous nous en dire plus et nous expliquer comment réduire ces obstacles ?

Après le rapport de l’Institut Montaigne en juillet 2019, on peut regretter que le gouvernement ait finalement choisi la voie de la contrainte pour avancer sur le sujet, même s’il paraissait politiquement difficilement envisageable de faire autrement.

Je me réjouis en revanche, depuis la publication du rapport, de la mise en œuvre de certaines de ses propositions et notamment la mise en open data des DPE ou la transmission des données entre certains services publics.

D’autres propositions restent à concrétiser pour encore simplifier les parcours clients et en particulier :

  1. faciliter les travaux en copropriété,
  2. simplifier ce qui est vécu comme un parcours du combattant pour obtenir les aides à la rénovation,
  3. libéraliser le secteur de la rénovation en autorisant les offres groupées rénovation énergétique / fourniture d’énergie.

Toutes ces évolutions réglementaires se déploient en parallèle d’évolutions sociétales majeures : tout le monde s’accorde à dire que nous allons passer plus de temps dans nos logements qu’avant-crise. Ce qui ne peut que dynamiser le secteur de la rénovation.

Je reste par ailleurs convaincu que c’est d’abord aux entreprises de s’emparer de ces changements. Il ne faut pas oublier qu’à la fin, il faut une entreprise pour faire les travaux de rénovation. En surfant sur ce marché extraordinaire qui s’ouvre encore un peu plus, ce seront elles qui feront le succès de la politique de rénovation.

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne