La Commission européenne a publié le 15 décembre son Digital Markets Act, un nouveau texte visant à réguler l'économie numérique et à limiter le pouvoir de contrôle des grands acteurs du numérique. L'Institut Montaigne lance aujourd'hui une série d'articles pour analyser les enjeux de cette nouvelle réglementation. Dans ce premier article, Gilles Babinet, conseiller sur les questions numériques à l'Institut Montaigne, et Alina Polyakova, présidente et directrice générale du Center for European Policy Analysis (CEPA), partagent leurs visions des nouvelles réglementations numériques, d'un point de vue européen et américain respectivement.
Quelle est l’approche européenne concernant la position dominante des géants numériques ?
Gilles Babinet : C’est une vaste question, à laquelle il faut commencer par répondre en évoquant les différentes sensibilités qui peuvent s’exprimer au sein de la Commission européenne. Il existe plusieurs écoles ; ceux qui pensent que les plateformes comprennent structurellement des biais (concurrence, hate speech, fiscalité…) qu’il convient de traiter en profondeur, mais sans outrepasser l’enjeu de ces distorsions. Il y a une autre école, plus interventionniste, qui pense que le dynamisme des acteurs technologiques européens sera insuffisant pour rattraper l’avance prise par les méta-plateformes et qu’il convient donc de créer les conditions permettant aux acteurs européens de rattraper leur retard. Ces derniers sont très favorables à des politiques industrielles audacieuses et, bien entendu, sont portés par l’esprit du temps. Le changement d’administration américaine crée cependant un moment d’apesanteur, dans lequel il devient difficile de faire un choix entre l’une ou l’autre de ces approches. Si les États-Unis émettent des signaux qui vont dans le sens d’un apaisement des conflits commerciaux et d’une coopération renforcée avec l'Europe, il est probable que les tenants d’une réduction de la concurrence extra-européenne dans le numérique par le biais de la régulation seront mis en minorité. Si c’est le contraire, dans le contexte d’une relance qui s’avère laborieuse, une politique de cantonnement des acteurs technologiques américains est envisageable.
D’une façon générale, les Européens restent réalistes : ils conçoivent qu’ils ne sont pas en position d’imposer une régulation unilatérale sur la technologie, encore moins d’exiger un démantèlement des plateformes américaines. Il en aurait probablement été autrement si l’Europe n’avait pas pris tant de retard sur ces sujets et avait ses propres méta-plateformes.
Ajouter un commentaire