Aujourd’hui, si l’Etat, et en son sein le Parlement, continue à édicter les règles du jeu permettant de vivre ensemble et la législation dans tous les domaines, la mise en œuvre des politiques publiques non purement régaliennes a été largement déléguée notamment aux collectivités territoriales. Mais la façon dont la décentralisation a été menée pose plusieurs problèmes.
Ainsi l’Etat a conservé, au sein de ses services centraux et déconcentrés, dans les domaines pourtant décentralisés, non seulement des capacités de stratégie, de conception et d’évaluation, ce qui est essentiel, mais aussi des activités opérationnelles qui doublonnent souvent celles des collectivités territoriales. Autre problème : les différents niveaux de collectivités territoriales exercent des compétences enchevêtrées et parfois identiques, alors qu’en principe, les départements et les régions n’ont plus de compétences générales.
Comme l’a rappelé la Cour des comptes encore récemment, il en résulte d’importants gaspillages de temps et d’argent pour prendre les décisions et ensuite les mettre en œuvre. Enfin, en 40 ans, on a multiplié les échelons de collectivités territoriales (communes, divers types d’intercommunalités, départements, régions). Il en est résulté une inflation des effectifs qui, même en déduisant les transferts d’emplois entre l’Etat et les collectivités, ont augmenté d’environ 40 % en 20 ans alors que la population française n’a augmenté que de 10 %. Les réformes législatives conduites ces dernières années ont tenté de remédier à cette complexité et à cette lourdeur, notamment en généralisant les intercommunalités, mais avec des résultats pour l’instant limités. Quant à la création des 13 grandes régions, la Cour des comptes en a dressé un bilan mitigé. An total, tout le monde s’accorde pour estimer qu’en matière de décentralisation, le maintien du statu quo n’est pas possible.
Les élections municipales de mars 2020 ne peuvent-elles pas être une opportunité pour clarifier les différentes strates de décision et agir avec pédagogie auprès des citoyens ?
Les débats liés aux prochaines élections municipales de 2020 porteront sans doute sur toutes ces questions. Cela permettra de les "mettre sur la table" mais, et c’est bien normal, in fine, les électeurs ne voteront pas pour telle ou telle réforme des collectivités territoriales mais sur les sujets précis concernant leur commune. Je ne pense donc pas que l’on pourra tirer des résultats des élections municipales beaucoup de conclusions sur les réformes à mener. D’autant que, dans la plupart des partis, il existe des jacobins et des girondins.
Les Français, comme les responsables politiques, sont attachés aux communes et à leurs maires mais il existe, à ce sujet, de nombreux paradoxes. En premier lieu, le niveau de participation aux élections municipales n’a cessé de baisser depuis 30 ans, avec un niveau record d’abstention en 2014. Ensuite, alors que la France dispose d’un réseau de démocratie de proximité exceptionnel (35 000 communes et environ 500 000 conseillers municipaux), de très loin le plus dense des pays européens (quelques milliers d’autorités locales seulement au Royaume-Uni et en Allemagne), c’est en France et pas dans ces deux autres pays que s’est développé le mouvement des gilets jaunes dont un des messages forts était une demande de plus grande proximité dans la prise des décisions publiques. Or, les 35 000 mairies, petites ou grandes, constitue un réseau de services publics de proximité unique en Europe. Enfin, chacun proclame la nécessité d'accroître les compétences des collectivités territoriales, mais en ajoutant juste après qu’il faut renforcer l’Etat. De même, une majorité de Français demandent le maximum de services publics et le minimum d’impôts, alors qu’ils savent bien sûr que ce sont ces impôts qui financent ces services publics qui prennent la forme de prestations matérielles ( écoles, hôpitaux, commissariats, tribunaux..) ou de transferts financiers à finalité sociale pour l’essentiel.
Il nous faut vivre avec ces contradictions et tenter de surmonter. À cet égard, la responsabilité des "sachants" (responsables politiques, experts..) est grande : ils doivent d’abord mettre sur la table, de façon objective, les données disponibles, afin qu’ensuite chaque citoyen puisse se faire une opinion et voter en toute connaissance de cause.
Que faut-il attendre de la prochaine loi dite "3D" (décentralisation, différenciation, déconcentration) qui doit être présentée au printemps 2020 ?
L’idée de rassembler dans un même projet de loi ces trois sujets (décentralisation, déconcentration, différenciation), est intéressante car elle va obliger les décideurs finaux — les parlementaires —, comme les acteurs opérationnels — l’exécutif et les organisations d’élus locaux — d’abord à dresser un bilan global de 40 ans de décentralisation, ensuite à faire des choix cohérents, par exemple entre les politiques publiques qui seront décentralisées, c’est-à-dire transférées de l’Etat aux collectivités territoriales, et celles qui seront déconcentrées, c’est-à-dire qui resteront entre les mains de l’Etat mais seront transférées des ministres aux préfets.
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