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28/05/2021

Course à la chancellerie : les partis politiques allemands face au défi chinois

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Course à la chancellerie : les partis politiques allemands face au défi chinois
 Bernard Chappedelaine
Auteur
Ancien conseiller des Affaires étrangères

Les élections fédérales qui se tiendront en Allemagne le 26 septembre 2021 éliront le 20ème Bundestag, qui choisira le successeur d’Angela Merkel à la chancellerie. Trois partis mènent la course : les conservateurs (CDU-CSU), les sociaux-démocrates (SPD) et les Verts. Dans cette série d’articles, l’Institut Montaigne propose un suivi des élections qui vont se révéler cruciales pour l’Allemagne et l’Europe. 

Chez les conservateurs allemands, au sein d’une CDU assez divisée sur le sujet de la Chine, Armin Laschet incarne la continuité. Les Verts ont développé une réflexion sur les relations avec Pékin, qui dresse un bilan critique de l’action de la chancelière et les conduit à avancer des propositions faisant une plus grande place à la défense des droits de l’Homme en Chine et des intérêts européens. 

L’héritage, substantiel mais contesté, d’Angela Merkel

Le Premier ministre chinois a marqué sa satisfaction du déroulement des sixièmes consultations gouvernementales germano-chinoises, auxquelles ont pris part le 28 avril 2021 pas moins de 25 ministres. Ce séminaire a mis en évidence l’importance des relations bilatérales et leur caractère "pragmatique", a souligné Li Keqiang, qui n'a pas toutefois dissimulé "les divergences existant sur quelques questions". Angela Merkel a mentionné pour sa part les "désaccords" en matière de droits de l’Homme, sans citer les Ouïgours ou les sanctions décrétées par Pékin à l’encontre de certains organismes et responsables allemands. Cela dit, le développement des relations germano-chinoises, économiques en premier lieu, sous les différents gouvernements Merkel, impressionne. Depuis 2005, les exportations allemandes en Chine ont triplé, les importations ont doublé. Pékin est le premier partenaire commercial de Berlin, le marché chinois a puissamment contribué à maintenir l’activité en Allemagne pendant la pandémie de Covid-19. C’est avec regret que les dirigeants chinois voient partir une interlocutrice pragmatique, qu’ils accueillaient régulièrement et qui, récemment encore, s'est engagée pour faire aboutir sous présidence allemande de l'UE l'accord global sur les investissements (CAI), dont l’avenir est désormais incertain. 

Côté chinois, on espère poursuivre ce partenariat privilégié au-delà du scrutin du 26 septembre 2021. En Allemagne, beaucoup sont convaincus de la nécessité d'ouvrir un nouveau chapitre des relations avec la Chine, considérant que la politique répressive de Pékin signe l'échec de la politique de "changement par le commerce" ("Wandel durch Handel"). L'agressivité manifestée par un régime chinois sûr de lui lors de la pandémie de Covid-19, illustrée par les sanctions visant l'institut berlinois MERICS et le député européen Reinhard Bütikofer, a surpris.

En Allemagne, beaucoup sont convaincus de la nécessité d'ouvrir un nouveau chapitre des relations avec la Chine, considérant que la politique répressive de Pékin signe l'échec de la politique de "changement par le commerce"

Les responsables allemands, notamment du secteur automobile, ont conscience de leur dépendance envers le marché chinois, néanmoins Joachim Lang, secrétaire général de la fédération patronale BDI, a récemment haussé le ton envers Pékin, dénonçant les promesses non tenues d’ouverture de son marché et s'inquiétant de "la situation politique au Xinjiang et à Hong Kong qui pèse sur nos relations politiques et économiques". Ces propos illustrent un nouvel état d’esprit, largement répandu, selon une enquête PEW, 73 % des Allemands ont une opinion négative de la Chine. Dans une étude récente, Barbara Pongratz observe une prise de conscience de l'importance prise par le soft power chinois en Allemagne. 

Aussi cette experte de la Chine à l’institut MERICS tout comme Andreas Rinke, commentateur averti de la politique étrangère de la chancelière, s`attendent, avec la prochaine coalition, à des changements dans l'attitude de Berlin.

Au sein de la CDU, Armin Laschet est perçu comme le continuateur d’Angela Merkel

Au sein de la CDU/CSU, deux courants coexistent. La Chine pose un défi systémique et stratégique, affirme Annegret Kramp-Karrenbauer. Pékin nourrit des plans ambitieux pour faire de son armée "la plus forte et la plus moderne du monde" et "imprimer sa marque sur l'ordre international et contraindre les plus faibles à adopter un comportement déterminé". Aussi, selon la ministre fédérale de la Défense, "nous, l’UE et l’Occident, ne devons pas être les plus faibles". Réfutant les critiques du SPD qui y a vu un "changement de paradigme" dans la relation avec la Chine, elle a défendu l'envoi d`une frégate en mer de Chine, afin de manifester l'importance que Berlin attache au respect de la liberté de circulation maritime et un soutien aux États démocratiques de la région. Président de la commission des Affaires étrangères du Bundestag, Norbert Röttgen, prône également la fermeté à l`égard de Pékin, qu'il accuse de mettre en œuvre à l'égard de l'Allemagne une stratégie "subtile et souterraine de soft power", afin de promouvoir son influence et créer des dépendances, jugeant "naïve" l'attitude de l’actuelle coalition. Le député CDU plaide pour une attitude "réaliste", tout en rejetant des sanctions qu'il juge inefficaces, il est favorable à l’exclusion des marchés publics des entreprises étrangères "non fiables politiquement" (Huawei). 

La CDU/CSU n'a pas encore présenté son programme électoral, mais son candidat, Armin Laschet, défend des positions proches de celles de la chancelière, ce qui lui vaut d'être considéré à Pékin comme le continuateur de sa politique chinoise. Dans un entretien accordé à la revue Internationale Politik, le président de la CDU se décrit comme un "Realpolitiker", soucieux de concilier "valeurs et intérêts", de faire en sorte que "les intérêts allemands et européens soient protégés". En politique extérieure, une "boussole morale claire est nécessaire", souligne le président de la CDU, mais la moralisation et les slogans ("feel-good moralisation and domestic slogans") ne font pas une politique étrangère ("nous devons prendre le monde tel qu'il est pour le rendre meilleur"). "Nous avons une relation ambivalente envers la Chine, explique Armin Laschet, d'un côté, nous devons la considérer comme un adversaire géostratégique [...] critiquer les violations des droits de l’Homme, commises par exemple contre sa population ouïgoure, ce que je fais régulièrement. Mais, dans le même temps, nous commerçons avec la Chine et nous avons des échanges scientifiques et universitaires très denses". Le port de Duisbourg, rappelle-t-il, est une plate-forme importante pour les "nouvelles routes de la soie" (BRI), le marché chinois est essentiel, en particulier pour les Länder où l'industrie automobile est fortement implantée (Basse-Saxe, Bavière, Bade-Wurtemberg).

Le candidat CDU/CSU à la chancellerie entend cependant interdire aux États étrangers l'accès aux infrastructures critiques, à l’exemple de la 5G, où les considérations de sécurité doivent prévaloir, ce qui correspond, dit-il, à l'attitude du gouvernement fédéral. Pour faire pièce au projet BRI, Armin Laschet veut promouvoir, en partenariat avec les États riverains de la Méditerranée, les technologies propres ("initiative ‘clean tech’ européenne"), notamment l'hydrogène vert. 

Les Verts ont dénoncé la précipitation avec laquelle, selon eux, le traité CAI a été finalisé, alors même que la répression bat son plein en Chine.

Les Verts entendent adopter une attitude plus ferme envers Pékin

En décembre dernier, lors d'une discussion au Bundestag, les Verts ont dénoncé la précipitation avec laquelle, selon eux, le traité CAI a été finalisé, alors même que la répression bat son plein en Chine. Ils voient dans le commerce "un puissant levier pour défendre et renforcer les droits de l`homme et les valeurs fondamentales. Malheureusement, l'accord UE-Chine sur les investissements, conclu à la hâte par le gouvernement à la fin de l`an dernier, contredit cet objectif". Député des Grünen au Parlement européen et président de la délégation en charge des relations avec la Chine, Reinhard Bütikofer est déçu du manque de soutien de la Chancelière quand il a été sanctionné - son "porte-parole n'a pas eu un mot de solidarité" - et elle a "refusé de défendre ses compatriotes, à la différence des gouvernements français et britannique". L'ancien président des Verts pointe les lacunes du CAI : concurrence déséquilibrée, absence de progrès sur les marchés publics et sur la protection des investissements. Reinhard Bütikofer reproche aussi à Berlin, Paris et Bruxelles d'avoir voulu affirmer l'autonomie stratégique européenne vis-à-vis de Washington plutôt que de chercher à revitaliser le lien transatlantique, "grossière erreur", selon lui. Il ne s'agit pas de "demander l'autorisation à Joe Biden", mais de "voir avec les États-Unis à quoi pourrait ressembler un concept commun" à l’égard de la Chine, attitude qui, note-t-il, se distingue de "l’opinion d’Emmanuel Macron qui ne veut pas former un bloc avec les États-Unis".

Dressant le bilan de la politique chinoise "patiente et passionnée" de Merkel, Reinhard Bütikofer admet qu’elle a donné des résultats, notamment commerciaux, du fait de la complémentarité entre les économies, l'Allemagne fournissant hightech et voitures de luxe et la Chine livrant des produits de consommation, modèle désormais "caduc", selon lui. Berlin a obtenu certaines concessions sur le plan des droits de l'homme (accueil en 2017 de la veuve de Liu Xiaobo, mort en prison), mais d'après Reinhard Bütikofer, les conséquences de l'arrivée au pouvoir en 2012 de Xi Jinping sont toujours sous-estimées, alors qu'il s'agit presque d'un "changement de régime". Premier parti en 2012 à élaborer une stratégie ("pour une politique plus cohérente à l`égard de la Chine"), les Verts souhaitent une approche européenne, ils appellent à développer les liens avec les pays asiatiques démocratiques (Japon, Corée du sud, etc...), cette idée de connectivité UE/Asie a été conceptualisée par Reinhard Bütikofer dans un rapport remis au Parlement européen fin 2020.

Candidate à la succession de Merkel, Annalena Baerbock se déclare favorable envers Pékin à une attitude combinant "dialogue et fermeté". 

Candidate à la succession de Merkel, Annalena Baerbock se déclare favorable envers Pékin à une attitude combinant "dialogue et fermeté". Dans un entretien à la FAZ, la co-présidente des Verts souligne que la Chine est une "grande puissance économique montante dont nous ne pouvons pas nous isoler complètement", mais elle rappelle que "l'UE est forte parce qu'elle est une Union de valeurs". 

Cette conviction conduit Annalena Baerbock à se montrer critique du CAI - le principe de réciprocité n'est pas respecté, une meilleure protection du marché intérieur est nécessaire, de même qu'une meilleure prise en compte de la question du travail forcé des Ouïghours.

L'UE, elle aussi, est souveraine, rappelle la candidate des Verts, elle peut choisir les produits qu'elle importe et refuser ceux issus du travail forcé comme ceux utilisés dans des infrastructures critiques (Huawei). "L’attitude à adopter envers les régimes autoritaires sera une question clé pour le prochain gouvernement fédéral, qui concerne notre sécurité et nos valeurs. Nous sommes actuellement dans une compétition des systèmes - forces autoritaires opposées aux démocraties libérales", souligne Annalena Baerbock, qui prend l'exemple des "nouvelles routes de la soie", symbole d'une "politique de puissance pure et dure" ("knallharte Machtpolitik"). 

Le SPD se tient en retrait 

L'affirmation de la Chine fait qu'une réponse globale aux défis actuels n'est pratiquement pas possible sans qu'elle y soit associée, souligne le SPD dans sa plateforme électorale. Simultanément, "les conflits d'intérêt et de valeurs avec la Chine augmentent", aussi l'UE doit-elle "poursuivre un dialogue constructif et critique sur la coopération et la concurrence", écrivent les sociaux-démocrates, qui "condamnent les graves violations des droits de l'homme dont sont victimes les minorités, en particulier les musulmans ouïghours". Le SPD souligne que le principe "un pays, deux systèmes" doit rester en vigueur à Hong-Kong, il marque aussi sa "profonde inquiétude à propos des pressions croissantes sur Taiwan". Dans une interview à la FAS, Olaf Scholz développe une approche nuancée, "dans le monde multipolaire qui va caractériser les décennies à venir, l'objectif sera d’organiser la sécurité commune, on ne peut s'attendre à ce que tous les pays partagent nos conceptions de la démocratie et de l'État de droit". Le candidat du SPD à la chancellerie suggère, comme à l'époque de la guerre froide, de rechercher une sécurité commune "sans mettre en question nos valeurs".

Au vu des intentions de vote actuelles, la CDU/CSU et les Verts sont en mesure de conduire la prochaine coalition. La politique à adopter envers la Chine figurera en bonne place dans la négociation du nouveau contrat de coalition. Diverses hypothèses sont envisageables, d`ores et déjà il apparaît qu'un gouvernement fédéral auquel participeront les Verts modifiera la ligne vis-à-vis de Pékin, inflexion plus sensible encore si Annalena Baerbock succédait à Angela Merkel.

 

 

Copyright : Odd ANDERSEN / AFP

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