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12/08/2011

Aux Etats et aux investisseurs de reprendre la main sur le système financier

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Aux Etats et aux investisseurs de reprendre la main sur le système financier
 Claude Bébéar
Auteur
Président d'honneur, Fondateur

Tribune de Claude Bébéar, président de l'Institut Montaigne, et d'Edouard Tétreau, conseiller de dirigeants d’entreprise, parue dans Le Figaro du 12 août 2011.

La dégradation de la note de la dette américaine par Standard and Poor’s, le 4 août dernier, est un événement historique qui a fait deux principales victimes. La première : les agences de notation elles-mêmes, qui ont bizarrement survécu à leurs erreurs grossières sur les subprimes américains en 2008, à qui elles attribuaient les meilleures notes possibles pour d’évidentes raisons commerciales.

Vendredi dernier, S & P a signé un exploit supérieur : dégrader la dette américaine alors même que le Congrès avait entériné un accord ouvrant la voie à une nécessaire discipline budgétaire (2 500 milliards de dollars de coupes budgétaires sur dix ans, soit l’équivalent, pour la France, d’un plan d’économies de 300 milliards d’euros) ; le faire alors que les marchés financiers mondiaux sont dans l’état de fébrilité que l’on connaît – aggravé par la période estivale ; enfin, et surtout, précipiter une telle décision malgré une erreur de calcul gigantesque de 2000 milliards de dollars, cela fait beaucoup pour d’autoproclamés experts en finance. L’enquête que le Sénat américain a ouvert sur les méthodes de travail de S&P devrait signer l’arrêt de mort de cette profession, ou à tout le moins son strict encadrement. Qui s’en plaindra ?

La deuxième victime est plus préoccupante : c’est nous, les épargnants, les entreprises, les États, qui réalisons à quel point nous avons abandonné trop rapidement notre épargne, nos projets et notre souveraineté à des organismes dont la compétence et la légitimité ont aujourd’hui trouvé leurs limites. Normes comptables européennes confiées à une officine privée londonienne (L’IASB) ; règles prudentielles pour les compagnies d’assurances et les banques, dévolues à des comités Théodule à géométrie variable, et aux identités indéfinissables ; notations des plus grandes entreprises comme des États souverains confiées à des sociétés commerciales…

Nous avons laissé se mettre en place un système dont bénéficie une poignée de profiteurs de crise : les traders, les marchands de volatilité, les spéculateurs. Un système qui, dans le même temps, décourage l’investissement de long terme, industriel et non financier, seul garant de la prospérité durable pour le plus grand nombre. Ce système empêche les banques et les compagnies d’assurances de détenir des actions d’entreprises en grande quantité, et sur le long terme. Avec ces règles, dans un pays comme la France, il n’y aura bientôt plus que la Caisse des dépôts et quelques familles françaises pour investir durablement nos entreprises, et donc créer des emplois chez nous.

Que faire ? Trois choses très simples :

1. Ce n’est pas à un aréopage de lobbys de décider de nos normes comptables et prudentielles, mais aux États se concertant entre eux. L’IASB, l’ISDA (lobby professionnel du marché des dérivés), et les comités Théodule de Bâle et de Solvency 2, ont produit des normes et des réalités de marché trop dangereuses pour nos économies et nos sociétés. Il est temps de les débrancher. À l’inverse, des institutions émanant d’États souverains, tels le Fonds monétaire international (FMI) ou le Conseil de stabilité financière (FSB, sous l’égide du G20), n’ont pas démérité dans la crise précédente, et doivent rapidement récupérer ces prérogatives essentielles.

2. Aujourd’hui, quel gestionnaire d’actifs digne de ce nom mériterait de collecter de l’épargne publique, si l’on découvrait qu’il continue de fonder ses décisions d’investissement selon les humeurs des agences de notation ? Les investisseurs, dont les niveaux de commissions de gestion n’engendrent pas la pitié, doivent réapprendre à faire eux-mêmes leur métier : juger de la pertinence d’un investissement dans une action ou une dette souveraine, sans systématiquement recourir à des notes produites par des agences défaillantes, ou se protéger derrière elles. En attendant, il convient, de façon assez urgente, de neutraliser la nocivité des systèmes de notation des agences, en les découplant des processus et des automatismes de gestion des investisseurs.

3. Enfin, et sans attendre de nouvelles attaques spéculatives, telle celle que vient de subir l’une des plus grandes banques européennes, les États, tout en travaillant à leur nécessaire désendettement, doivent sine die utiliser les moyens dont ils disposent pour désarmer et neutraliser les "profiteurs de crise" évoqués plus haut, qui n’hésitent pas à enfreindre la loi pour accroître leurs profits sur notre dos. Ces moyens s’appellent les sanctions financières, les enquêtes parlementaires, les procédures pénales et les arsenaux juridiques dont disposent les autorités de marché.

Ces sujets d’apparence technique sont essentiels. Si les États, les entreprises et les investisseurs ne reprennent pas la main sur le système financier mondial, alors nous pouvons craindre bien plus qu’un énième krach : un rejet radical et violent du capitalisme, seul système capable de produire des richesses pour le plus grand nombre. Un système capitaliste, condition de notre prospérité collective, mais qui est aujourd’hui détourné et mis en danger par une poignée de financiers court-termistes.

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