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19/01/2010

Réconcilier excellence et démocratisation

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Réconcilier excellence et démocratisation
 Laurent Bigorgne
Auteur
Ancien directeur


Depuis le début des années 2000, l’égalité des chances a pris une place essentielle au cœur de notre débat public. Ces dix années ont permis une prise de conscience sur le décalage croissant entre notre ambition historique et collective de faire vivre une République où chacun peut construire son parcours individuel sur la base de ses mérites – scolaire et professionnel – et la réalité objective de territoires entiers devenus des zones de relégation laissant peu d’espoir d’ascension sociale à ceux qui y vivent, particulièrement les plus jeunes et cela quels que soient leurs talents et leurs efforts.

Dans plusieurs domaines, des avancées ont eu lieu. Ainsi les entreprises ont-elles compris, souvent avant l’Etat qui est pourtant le plus gros employeur de notre pays, la nécessité de recruter, de former et de promouvoir en leur sein des collaboratrices et des collaborateurs incarnant la France dans sa diversité. Si beaucoup reste à faire, on peut affirmer objectivement que les discriminations sont de plus en plus combattues et qu’elles reculent. Les grandes écoles ne sont pas restées à l’écart de ce mouvement et beaucoup ont agi : implication dans des lycées sensibles, actions de sensibilisation pour lutter contre les phénomènes d’autocensure, mobilisation des anciens pour financer des bourses, Conventions Education prioritaire sur le modèle Sciences Po, etc.

A leur mesure, les grandes écoles ont joué le jeu et il paraît injuste et inefficace de vouloir leur attribuer l’échec de notre système éducatif tout entier à faire vivre l’égalité des chances. Par exemple, ce ne sont pas les grandes écoles qui ont organisé la pénurie d’hébergements collectifs pour les étudiantes en classes préparatoires à Paris. Ce ne sont pas les grandes écoles non plus qui organisent la ghettoïsation de notre territoire. Pas plus qu’elles ne sont comptables des résultats médiocres qu’obtient la France dans les enquêtes internationales PISA de l’OCDE sur le niveau des élèves. Dit-on suffisamment et tire-t-on toutes les conséquences de ce qu’en France il y a moins d’excellents élèves – en part relative – qu’en Finlande ou en Corée ? Pourquoi accepter un tel gâchis humain préjudiciable à l’émergence de talents dans toutes les couches de la société ? Il y a beaucoup à faire, et ce dès l’école primaire comme l’a remarquablement montré le premier rapport du Haut Conseil de l’Education en 2007.

Il faut dépasser les invectives et faire de ce débat un moment utile pour la France, permettant à chacun de prendre sa part dans la lutte contre les inégalités sociales pour l’accès aux grandes écoles comme dans la réussite aux études à l’Université. Nous ne pouvons plus nous contenter de simples engagements ou d’avancées modestes. Se joue, à une génération d’ici, la capacité de la France à renouer les fils distendus du pacte fondateur de sa République.

Ce qu’écrivait l’Institut Montaigne en janvier 2006 dans sa note "Ouvrir les grandes écoles à la diversité", demeure plus que jamais d’actualité : il faut refuser l’opposition artificielle et stérile entre excellence et démocratisation. Le futur de notre pays repose sur l’élévation permanente de l’exigence qui doit être la sienne vis-à-vis du niveau de formation de ses élites professionnelles, d’une part, comme de sa capacité à donner sa chance à chacun sur la seule base du mérite et des talents, d’autre part. Si elles la font leur, cette double ambition fournit les bases d’une réfutation du procès en malthusianisme des grandes écoles.

L’exemplarité des institutions qui constituent l’élite de ce système sera déterminante pour son évolution globale. Chacun sait leur excellence – comparable dans leur domaine à celle des meilleures universités internationales. Ce sont aussi les établissements qui connaissent les plus grandes difficultés à s’ouvrir socialement du fait des biais sociaux introduits par les concours d’entrée. Cette situation n’est pas juste et elle n’est pas bonne non plus tant la richesse de nos parcours individuels bénéficie des rencontres, des expériences et des leçons de vie que nous apportent les autres. C’est aussi ce qui fait la très grande force de l’« offre » que proposent les grandes universités internationales sur leurs campus.

Comment réconcilier, pour nos établissements les plus prestigieux, excellence et démocratisation ? Qu’on nous permette de suggérer une piste…

Les très grandes institutions universitaires internationales – Oxford, Cambridge, Princeton, Harvard, Yale, Stanford, Beida à Pékin, NUS à Singapour, ANU à Canberra, etc. – reposent toutes sur un « College », c’est dire trois à quatre premières années d’études post-baccalauréat très exigeantes, permettant soit une première insertion sur le marché du travail, ou l’accession à une formation professionnelle de type master, ou encore à une formation à la recherche conduisant au PhD (doctorat). Pourquoi les meilleures grandes écoles françaises ne se doteraient-elles pas de ce niveau de formation dans leur arsenal pédagogique ? Les meilleures d’entre elles doivent pouvoir créer des « Colleges » recrutant après le baccalauréat et qui leur permettraient de diversifier, à côté des traditionnelles « prépas », leurs voies d’admission.

Est proposé qu’au sein de ces « Colleges » soient prioritairement accueillis chaque année les bacheliers mentions Très Bien (ces mentions représentent au plus 5% d’une série au baccalauréat) bénéficiant de l’aide sociale au titre de l’enseignement supérieur. Il faut leur reconnaître d’avoir démontré, dans des conditions souvent plus difficiles que les autres, l’ampleur de leurs aptitudes intellectuelles et de leur mérite. Sélectionnés parmi les meilleurs bacheliers de leur génération pour rejoindre le « College » de l’Ecole polytechnique, celui de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm ou encore celui d’HEC, ces boursiers recevront des aides spécifiques afin de se consacrer pleinement à ces années de formation. Les autres places au sein de ces cursus seront pourvues par des bacheliers non boursiers ainsi que par des élèves internationaux.

Les écoles pourront prendre le temps de former ces élèves ainsi que de les connaître, bien plus intensément au fond que ne leur permettra jamais aucun concours. Après trois ou quatre années d’efforts, et notamment un passage à l’international, ils obtiendront un « Bachelor » - ou une « licence » -, et pourront candidater aux grandes écoles ou universités françaises pour l’obtention d’un master, mais aussi – grâce à l’excellente formation ainsi reçue – aux meilleures institutions internationales. Ces « Colleges » permettront à nos grandes écoles d’accueillir des élèves français venant de tous les milieux sociaux comme des élèves internationaux attirés par leur potentiel académique, réconciliant ainsi compétition internationale et démocratisation.

Corollaire de cette mesure, les effectifs des grandes écoles doivent progresser. Nous le savons, elles sont trop petites et elles n’ont pas suivi les évolutions démographiques ni économiques de notre pays. Il faut absolument que le nombre des diplômés des meilleures d’entre elles augmente afin de lutter contre l’étroitesse sociale de leur corps étudiant. Recevoir davantage d’élèves leur permettra d’élargir mécaniquement leur bassin de recrutement, à la fois grâce à la création des « Colleges » mais aussi en accueillant davantage d’élèves via les concours. Le niveau de sélectivité de ces derniers est tel, qu’une élévation raisonnable du nombre des reçus ne menacera en aucune façon l’excellence de leurs formations comme de la recherche qu’elles conduisent. Cette mesure permettrait à ceux qui bénéficient de dispositifs d’accompagnement organisés par certaines grandes écoles elles-mêmes ou grâce à des formations spécifiques – comme au lycée Henri IV – de réussir plus nombreux ces épreuves. Des taux de sélection moins sévères – et toujours très compétitifs au vu du nombre total de candidats – permettront également de recevoir davantage d’élèves boursiers.

Gageons que ce projet d’ensemble ne serait ni le plus coûteux ni le moins utile que les fonds levés dans le cadre du « grand emprunt » pourraient soutenir…

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