Bien que l’on ait aujourd’hui tendance à considérer ce variant comme une grippe persistante, il est en réalité tout aussi dangereux que le variant Alpha pour les non-vaccinés, ceux qui ne le sont qu’en partie, les personnes âgées, et les plus vulnérables. La Chine paie aujourd’hui les failles des politiques qu'elle a menées, trop axées sur le confinement. Même sa victoire passée crée une vulnérabilité : n’ayant été pratiquement pas exposée au virus, la population chinoise n’a pas développé d’immunité naturelle (même si l’on peut débattre de la portée véritable de celle-ci). L'administration autoritaire de tests et de vaccins reposait essentiellement sur des règles d’accès aux magasins et restaurants, et aux transports. Or les personnes âgées, à partir de 80 ans en particulier, se déplacent peu et sont passées entre les mailles du filet. Malgré l'impressionnante quantité de vaccins produits en Chine (et en partie exportés), le schéma de vaccination y est considéré comme complet après deux injections seulement, et non trois. Selon une étude récente, l’efficacité des vaccins inactivés en Chine n’atteint un niveau comparable aux vaccins à ARN messager qu’avec trois doses, et non deux. La Chine n’a ni produit, ni importé des vaccins Pfizer-BioNTech : c’est la conséquence d’un pari sur la mise au point d’un vaccin chinois à ARN messager, de l’enjeu de la fierté nationale et de toute la propagande qui l’exalte en magnifiant les échecs étrangers. Mais est-il réaliste de croire que la Chine aurait pu produire de manière indépendante plus de doses que les 3 milliards de doses Pfizer distribuées dans le monde en 2021 ? L’Inde, par exemple, a-t-elle fait ce choix ?
Le pari fait par la Chine en mettant l’accent sur les tests et l’isolement a créé une dépendance au sentier : il y a un relatif déficit de vaccination, en particulier chez les personnes âgées. Comme d’autres économies émergentes, la Chine dispose de moins de lits d'hôpital, notamment en soins intensifs, que les pays les plus développés. Nous ne le savons que trop bien, ce problème ne peut être résolu du jour au lendemain, en raison de la nécessaire formation médicale qu’implique le fonctionnement de ces unités. Dit autrement, une vague d’Omicron de la même ampleur que celle qu’ont connue l’Europe et les États-Unis serait plus mortelle en Chine, en particulier dans les zones rurales du pays, celles où les populations âgées vivent encore principalement. Une modélisation récente évalue, en l’absence des mesures de confinement, l’impact de ce qu’aurait été la vague Omicron au printemps 2022 : 2,7 millions de cas nécessitant une admission en soins intensifs et 1,6 million de morts. À l’évidence, un taux plus élevé de vaccination complète allégerait le bilan, mais de combien ?
Les aspects politiques jouent aussi un rôle, autant que dans les démocraties : les dirigeants élus évaluent les inconvénients économiques et l’impopularité du confinement par rapport au niveau de victimes jugé "acceptable". La Chine a claironné l’exceptionnel succès de ses mesures d’endiguement du virus et l’a directement attribué à Xi Jinping.
Dans un système autoritaire, les décisions venant d’en haut ont aussi tendance à être accentuées au niveau local : les bureaucrates craignent d’être accusés de négligence ou qu’on leur reproche de "traîner les pieds". Il est bien évident que le contrôle extrême auquel sont soumis les opérateurs logistiques chinois - conducteurs de camions, livreurs, et tous les acteurs de la gig economy - a contribué à intensifier les ruptures d’approvisionnement. Comme la situation à Shanghai le prouve de manière spectaculaire, le rationnement et la distribution alimentaire à 25 millions de personnes est une tâche redoutable, même pour un appareil de mobilisation de masse comme celui du Parti communiste chinois. Il est clair aussi que l’adaptation de la politique d’isolement à l’industrie - avec une main-d'œuvre cantonnée sur place pour assurer la continuité de la production - ne peut être généralisée ni appliquée à long terme.
En lieu et place d’un pic d’Omicron, nous assistons donc au ralentissement massif de la production et de la logistique dans certains centres économiques clés du pays - à Shanghai et, dans une moindre mesure, dans bien d’autres régions. Ces répercussions auront des retentissements sur les chaînes d’approvisionnement mondiales, prouvant une fois de plus combien dépendre d’un fournisseur unique peut être dangereux. Par ailleurs, un renforcement général des mesures d’isolement, Pékin étant aujourd’hui au bord d’un confinement complet, dégrade mécaniquement le secteur des services et la consommation des ménages. L’impact sur la croissance du PIB était déjà sensible au premier trimestre : certains économistes chinois mettaient en doute la fiabilité du taux de croissance de 4.8 % pour le premier trimestre. En avril 2022, la chute de l’activité est bien plus prononcée dans tous les domaines, y compris les exportations.
Il a toutefois aussi été rapporté qu’environ 75 des 100 premières villes chinoises en termes d’activité économique ont commencé à assouplir ou même à supprimer les contrôles, alors que les nouveaux cas recensés à Shanghai et Pékin concernent presque exclusivement des personnes déjà placées en isolement. Dans l’hypothèse où cette tendance se confirmerait, le ralentissement économique pourrait être violent, mais bref. Le défi des chaînes d’approvisionnement persistera quant à lui plus longtemps.
Nul ne peut prédire l’échelle et la durée des vagues que suscitent les variants du Covid-19. Les dirigeants chinois sont logés à la même enseigne. Il s’ensuit qu’en raison à la fois des risques évoqués plus haut, et d’un risque réputationnel et politique, Xi Jinping et ses collègues ont décidé de s’en tenir à la stratégie la plus prudente en termes de préservation des vies humaines. Ce choix est aussi en accord avec leur obsession du risque géopolitique, et a incontestablement trait à la légitimité du régime. Même l’économie, et l’importance traditionnellement accordée aux exportations, sont passées au second plan. La stratégie chinoise de gestion du coronavirus est en en adéquation avec la priorité sécuritaire du Parti communiste chinois. Dans le cas présent, au nom du bien public. Il reste à savoir si ces mêmes dirigeants seront capables de changer de politique vaccinale, et dans quel délai.
Cet article a été originellement publié en anglais, le 9 mai 2022.
Copyright: Jade GAO / AFP
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