La crédibilité de la dissuasion américaine est cruciale au maintien de la paix, mais celle-ci dépend au préalable de la détermination de la population taïwanaise à rejeter l’unification par la force. Si quelques frappes chinoises amenaient en trois jours à une capitulation de la part de Taiwan, une intervention américaine ne serait, à l’évidence, pas envisageable. La capacité de Taiwan à absorber une attaque et à enliser le conflit est donc l’élément décisif de tout scénario. L’effort de défense de Taiwan s’intensifie sous la présidence de Tsai Ing-wen, qui a augmenté le budget de la défense de 50 % depuis 2016 (pour atteindre 16,89 milliards de dollars aujourd’hui, sans compter les budgets spéciaux) et lancé d’importants programmes de défense, en particulier pour la marine. Cet effort vise à conserver des capacités propres à imposer des coûts élevés à une force d’invasion, mais aussi à lui rendre impossible le contrôle du territoire taïwanais. En plus de forces mobiles pour des opérations anti-aériennes et anti-navires, l’armée taïwanaise se prépare à la possibilité d’une guérilla urbaine dans l’immense conurbation de la côté ouest de l’île, et ses officiers politiques demandent à la Chine par voie de presse si elle a bien la "détermination ou la capacité de perdre une jambe et un bras".
Les mérites d’une crise vus de Pékin
Sans garantie d’inaction de la part des États-Unis, la Chine prendrait un risque démesuré en lançant une offensive contre Taiwan. Sa politique actuelle vise à amener progressivement les conditions d’une neutralisation américaine. Les investissements dans le déni d’accès doivent permettre, à l’avenir, d’accompagner une administration américaine de tendance isolationniste jusqu’à l’abandon de Taiwan. Il est très improbable que ce soit le cas de l’administration Biden tant elle a redoublé d’efforts pour rendre crédible sa posture de dissuasion dans le détroit de Taiwan.
Une crise serait dans l’intérêt de la Chine si elle facilitait, ou accélérait un repli isolationniste américain, tout en démoralisant la société taïwanaise. Les crises transforment les équilibres, et il est sans doute inévitable que la Chine en initie une, au moins pour tester la détermination de Taiwan et des États-Unis à résister. Sur le court terme, l’année 2022 ne semble pas favorable à un tel scénario. La préparation du Congrès du Parti est prioritaire pour Pékin et demande une attention soutenue de la part de la direction du Parti, et surtout de Xi Jinping. Seuls deux évènements pourraient amener le Parti au choix rationnel de déclencher une crise. L’absorption des ressources américaines par la gestion d’une autre crise, sur le front oriental de l’Europe ou autour du nucléaire iranien, pourrait créer un effet d’aubaine. Il faudrait cependant que son intensité soit suffisante pour détourner l’administration Biden de la priorité affirmée avec clarté sur la compétition avec la Chine. La perception à Pékin d’une tentative du gouvernement taïwanais de profiter des bonnes dispositions de l’administration Biden pour avancer un agenda pro-indépendance pourrait aussi amener à une surréaction chinoise. Jusqu’à présent, Taipei a fait preuve de grande prudence et de retenue, même si de fait, l’enveloppe constitutionnelle de la "République de Chine", pourtant le nom officiel de Taiwan, est progressivement passée sous silence - Tsai Ing-wen ne l’a même pas mentionnée dans ses vœux à la nation pour 2022. Si 2022 ne présente donc que des risques modérés, il est probable que Xi Jinping fixe des avancées sur la question de Taiwan comme priorité stratégique du 20ème Comité central, après le Congrès de l’automne.
Copyright : Sam Yeh / AFP
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