Dans le monde des startups on évoque le principe des OKR (objectives and key results) : fixer un cap et le moyen de mesure de ce que l’on souhaite atteindre. Le reste doit être délégué au terrain, et cela implique une co-construction avec les usagers-citoyens. C’est évidemment un changement de perspective fort, qui implique que l'État redevienne capable en matière de gouvernance de projet et maîtrise les subtilités de la conception de type "design thinking".
Enfin, le troisième domaine de réflexion concerne le management des projets (à différencier de la gouvernance). Le management de projet au sein de l’État est largement polarisé par la volonté de limiter les risques. C’est d’ailleurs pour cela que le moindre projet y débute généralement par une évaluation juridique et par la mise en place de systèmes de contrôle budgétaire. Or, dans le monde numérique, on a coutume de dire qu’un projet dont le premier acte consiste à obtenir un accord de la direction juridique est mort-né. Il est au contraire largement recommandé de chercher à répondre de la façon la plus brute possible au besoin de l’utilisateur, sans se soucier des éventuels contraintes réglementaires. Ce n’est qu’une fois que la valeur ajoutée de la solution est clairement identifiée et admise par l’ensemble des parties prenantes que l’on cherche une compatibilité avec le cadre réglementaire.
Cette culture aboutit à privilégier les cycles en V, qui ne sont pour ainsi dire plus utilisés dans le monde numérique en raison de l’éloignement intrinsèque de l’usager qu’ils induisent. Le cycle en V est en réalité la quintessence des modèles encourageant le micromanagement, l’introduction en amont des contraintes juridiques les plus castratrices en matière d’innovation ; on notera toutefois que tous les dépassements les plus célèbres de projets informatiques signalés par la Cour des Comptes (Louvois, Chorus, Opérateur national de paye) ont fait l’objet de méthodes de développement fondé sur un cycle en V.
L’autre solution consiste à adopter des modes agiles, des procédés de développements mettant en place des modèles de management connus et reconnus pour leur efficacité dans l’univers numérique. Il serait ici trop long de détailler ces processus : on les résumera au travers de quelques notions fortes tels que les groupes agiles, comprenant une équipe d’une dizaine de personnes au plus avec un coordinateur interne et externe (qui peut être dénommé scrum-master), des codeurs, des designers, etc. Ce groupe dispose d’une très grande autonomie pour réaliser un petit morceau de logiciel (que l’on nomme souvent micro-service). Les OKR, cités plus haut, sont des objectifs qui vont décider de la réussite ou de l’échec du projet. Il peut également s’appuyer sur l’utilisation de méthodes de design-thinking, visant à préserver une écoute forte des utilisateurs, qu’ils soient internes ou externe. Si en apparence cette méthode peut sembler facile à mettre en œuvre, elle continue à butter sur l’omniprésence des silos au sein de l’État, qui n’est pas structuré par rapport à ses usagers mais par rapport à ses besoins propres. Les Maisons de services au public sont un premier pas dans une approche orientée utilisateur. Elles devraient être systématisées pour créer une nouvelle dynamique au sein de l’État.
En tout état de cause, conserver le modèle actuel ne semble pas être une option tenable : outre le fait que les citoyens français sont de plus en plus défiants vis-à-vis de leur classe politique et critiques à l’égard du fonctionnement de la fonction publique, il est nécessaire de prendre en compte les risques pour la souveraineté que les principes organisationnels de l’État lui font courir. Incapable de mutabilité, l’État est peu à peu substitué par des dispositifs qui lui sont externes et voit ses missions et son rôle restreints d’année en année. Récemment, dans le cadre de la crise du Covid-19, si l’Éducation nationale a pu continuer à fonctionner, c’est largement du fait de l’utilisation d’outils numériques d’origine américaine. Zoom, Teams, Notes, Drive, etc. ont été de longues semaines les outils de prédilection du corps professoral, là où les services numériques de l’Éducation nationale n’ont été que faiblement présents. Demain, l’enjeu pourrait se renouveler avec l’identité électronique, les systèmes de paiement, la collecte de l’impôt, ou encore des services privés de sécurité et de santé.
Copyright : STEFAN WERMUTH / AFP
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