Enfin, le recours quasi-systématique à l’appel d’offre comme mode de sélection des projets. Il est aujourd’hui démontré que l’appel d’offres est un moyen efficace pour stimuler la concurrence et la baisse des prix, mais à condition que cette concurrence existe, c’est-à-dire que le marché ait déjà atteint une certaine maturité. De plus, les appels d’offres représentent un coût administratif et impliquent une lourdeur procédurale qui ne se justifie que pour des projets d’une certaine taille. Il n’est pas rare qu’il s’écoule jusqu’à trois ans, parfois beaucoup plus, entre le lancement d’un appel d’offres et la désignation des lauréats. De nombreux pays, dont la France, réservent ainsi le mécanisme d’appel d’offres aux grands projets et ont mis en place un système de "tarif régulé sur guichet" pour les petits projets, car ce mécanisme est beaucoup plus pragmatique et rapide. Or, pour des raisons qui relèvent essentiellement des règles de principes imposées par les institutions multilatérales d’aide au développement, la plupart des pays africains se laissent entraîner dans un recours systématique au mécanisme d’appel d’offres, et ce alors même que ces marchés n’ont pas la maturité concurrentielle nécessaire et que les projets concernés sont pour la plupart des projets de petite taille. Ce n’est donc malheureusement pas une surprise de constater l’échec généralisé de ces tentatives : d’innombrables appels d’offres lancés au cours de ces dernières années sont ainsi demeurés infructueux, ou bien ont conduit à la désignation d’un lauréat qui se révèle finalement défaillant dans la mise en œuvre du projet. Il serait beaucoup plus efficace de mettre en place des mécanismes de tarif d’achat : on sait aujourd’hui en fixer le juste niveau, ni trop haut pour éviter les effets d’aubaine, ni trop bas pour permettre une rémunération raisonnable des investisseurs. Un appel d’offres permet peut-être d’annoncer un tarif plus compétitif de quelques dixièmes de centimes de dollars par kWh, mais au prix de plusieurs années de délai supplémentaire. Face à l’urgence des besoins en énergie, la priorité doit être la rapidité de concrétisation des projets, pas la quête du prix le plus bas possible – a fortiori dans le cas de l’énergie solaire, qui est déjà de loin plus compétitive que les moyens thermiques alternatifs !
L'expérience africaine du développement de ces énergies renouvelables peut-elle apporter des innovations exploitables hors du continent ?
RIM BERAHAB
Malgré le fait que le déploiement élargi des énergies renouvelables en Afrique n’en soit qu’à ses débuts et doive encore surmonter de nombreux obstacles, des innovations prometteuses ont vu le jour, et pourraient, à terme, être exploitées ailleurs. En effet, bien que l'expansion du réseau électrique africain soit essentielle, ce n'est pas la seule partie de la solution. Des innovateurs africains commencent à introduire le paiement mobile et exploitent les progrès de l'énergie solaire et du stockage sur batterie pour combler les besoins du continent en matière de production d'énergie électrique. Par exemple, M-Kopa, basé au Kenya, fournit des solutions de production et de stockage d'électricité solaire aux ménages qui n'ont pas accès au réseau, et finance le paiement sur une période de douze mois via des comptes d'argent mobiles. Depuis sa création, en 2011, M-Kopa a vendu plus de 600 000 kits ménagers et a recueilli des investissements auprès de multinationales, dont la japonaise Mitsui. Un autre exemple est celui de Fenix, en Ouganda, qui a vendu 140 000 kits d'énergie solaire, également grâce aux paiements mobiles. À la fin de 2017, Fenix a été acquise par Engie, société énergétique mondiale basée en France, dans le cadre d'une campagne visant à utiliser les technologies numériques pour fournir à 20 millions de personnes dans le monde une énergie décarbonée et décentralisée d'ici 2020.
ANTOINE HUARD
L’expérience africaine des énergies renouvelables, aussi bien les échecs que les réussites, peut servir de source d’inspiration partout où existent des problématiques similaires : zones isolées non connectées au réseau, besoins d’électricité reposant sur des moyens de production décentralisés et de petite taille, gestion du risque de contrepartie, etc. Parmi les exemples les plus connus, on peut citer les compteurs digitalisés avec prépaiement par mobile (pay as you go) ou les outils de pilotage intelligent de mini-réseaux (contrôle, monitoring, optimisation, etc.). Les solutions mises au point dans le cadre des projets d’accès à l’électricité en Afrique peuvent être répliquées et déployées partout dans le monde, y compris dans les pays les plus développés qui sont pour la plupart engagés dans des démarches de transition de leurs systèmes énergétiques, évoluant vers davantage de décentralisation et de digitalisation.
Le développement des systèmes décentralisés d’accès à l’énergie renouvelable en Afrique a également été l’occasion de mieux comprendre l’importance d’accompagner l’installation des moyens de production par la mise en place d’un écosystème adapté. Par exemple, une centrale solaire dans un village est inutile si les populations ne disposent pas également d’appareils pour consommer l’électricité produite. Un projet d’électrification doit donc s’accompagner du développement d’activités génératrices de revenus à partir de l’électricité produite, à la fois pour que cette électricité puisse réellement contribuer au développement économique, mais aussi pour rassurer les investisseurs sur la solvabilité des clients. Concrètement, dans un village où l’activité économique consiste à produire du jus de mangue avec des pressoirs manuels, l’installation d’une centrale solaire doit aller de pair avec l’accompagnement d’entrepreneurs locaux qui s’équiperont (par exemple avec du micro-crédit) de pressoirs électriques, pour accroître le rendement, et de réfrigérateurs, pour augmenter la durée de conservation des produits et donc leur valeur économique. Le temps ainsi libéré peut être consacré à d’autres tâches, ce qui permet entre autres d’améliorer la scolarisation des enfants. L’énergie est à la source de tout développement économique, à condition de proposer à ces populations des projets d’électrification qui ne se contentent pas seulement d’améliorer leur confort (une lampe solaire à domicile, par exemple) mais permet des usages à destination de l’économie productive.
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