C'est le paradoxe français. Alors que tous les pays comparables financent de manière plus importante les filières de l'enseignement supérieur liées à la recherche, notre pays a fait le choix inverse en investissant d'abord, et davantage, dans celles qui ne le sont pas, CPGE et BTS par exemple.
Les derniers chiffres du CAE, après ceux du dernier rapport de l'Institut Montaigne, sont éloquents : la France consacre un effort moitié plus important pour un étudiant en classes préparatoires qu'à l'université (15 710€ contre 10 110€ en 2019), et cet écart s’est même accentué depuis 2010.
Pourtant, à travers les pays développés, les universités, qui ont pour mission de développer tant la recherche d'excellence que les formations supérieures, bénéficient de financements généralement plus importants que les institutions qui se concentrent seulement sur l'enseignement supérieur. C'est ce qu'ont mis en place les États qui distinguent nettement les établissements d'enseignement supérieur professionnalisants, avec une activité de recherche limitée (les "Hautes écoles" suisses, les "Fachhochschule" allemandes) et les universités proprement dites, qui mêlent enseignement supérieur et recherche. L'Institut Montaigne a déjà eu l'occasion d'illustrer ce modèle avec l'exemple californien, où la dépense universitaire par étudiant varie de 1 à 3 entre les California Community Colleges, qui offrent des formations de premier cycle seulement, et la University of California qui mène une recherche d'excellence, avec un coût bien sûr plus élevé.
Une étude du CAE de décembre 2021 permet d'approfondir ce constat en France, en analysant les coûts de formation par diplôme et par discipline. À discipline identique, l'université est systématiquement moins coûteuse - et donc aussi moins dotée - que les diplômes d'ingénieur, les licences professionnelles ou les DUT. Si les différences de coût entre disciplines n'ont rien d'anormal et peuvent être constatées dans tous les pays - à titre d'exemple, des données précises collectées pour la Suisse font apparaître des ratios de coût de 1 à 6 entre disciplines "peu coûteuses" (droit, économie) et disciplines "chères" (sciences naturelles, et surtout médecine). L'écart, pour une même discipline, entre formations, traduit un encadrement réduit à l'université, avec moins d’heures de cours et moins d’enseignants par étudiant.
Or, si l'enseignement supérieur universitaire, adossé à une activité de recherche exigeante, est coûteux, il produit des retours économiques considérables qui en font un excellent investissement pour les finances publiques.
Le budget 2023, en ce moment au Parlement, le confirme : si le Gouvernement a relevé les crédits alloués à l'éducation nationale, et s'il respecte facialement la hausse prévue par la loi de programmation de la recherche (LPR) pour les années 2021 à 2030, avec une hausse de 400 M€ des crédits de la mission Recherche et enseignement supérieur, les filières universitaires de recherche restent nettement moins bien loties.
Ce moindre financement se traduit par des taux de réussite très variables entre formations : seuls 30 % des étudiants à l'université obtiennent leur licence en 3 ans, et 40 % en 4 ans - si cela reflète également un manque d'orientation des élèves à l’entrée à l'université, que Parcoursup peut permettre d'améliorer, c'est ensuite le résultat du moindre encadrement des étudiants : comme le rappelle le CAE, le taux d'encadrement moyen d’une licence est de 3,5 enseignants-chercheurs pour 100 étudiants, et autour de 4,5 en master, alors qu’il est de 9 pour un diplôme d'ingénieur, et le niveau d’encadrement est positivement corrélé à la réussite scolaire.
Or l'université présente un atout essentiel : elle contribue à créer une "ambiance" de curiosité intellectuelle, de soif de découvrir et d'inventer, en faisant le pont entre l'apprentissage et la création de connaissances, l'enseignement et la recherche. C'est particulièrement le rôle de l'université. Aux États-Unis, la "Silicon valley", irriguée par les universités de Stanford, Caltech et Berkeley notamment, en est un exemple mondialement connu. Mais l'effet considérable des grandes universités de recherche sur l'innovation et sur le développement économique est visible dans d'autres "hubs" technologiques tels que Singapour ou l'arc léman.
Pourquoi ce paradoxe français et comment le dépasser ?
L'enseignement supérieur, un investissement qui rapporte
Il n'est pas question de réduire à leur aspect économique les bénéfices de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui sont aussi d'ordre culturel, social et intellectuel. Mais les retours économiques, plus faciles à quantifier, sont suffisants pour justifier la nécessité d'un investissement public résolu dans l'enseignement supérieur, et dans la recherche universitaire.
L'université est un investissement gagnant parce que les compétences qu’elle apporte, sanctionnées par les diplômes qu'elle délivre, ont un effet économique très positif.
La littérature économique, comme les travaux de Philippe Aghion et Elie Cohen, a bien identifié la relation entre enseignement supérieur, recherche, innovation et croissance.
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