Par ailleurs, l’activisme de M. Macron sur l’Iran impressionne les Russes, car il démontre que la France conserve quelques leviers dans ce champ de manœuvre – le Proche-Orient – dont ils ont tendance à considérer qu’il est désormais leur terrain de jeu privilégié. Enfin, la rencontre des quatre ministres le 9 septembre s’est évidemment bien passée, sans enregistrer de percée particulière : un programme de travail a été agréé et un long et fastidieux travail commence, pour lequel il est vraisemblable que les Russes vont "laisser venir" les Français.
Le prochain test viendra assez vite puisqu’il s’agit de la mise en œuvre des accords de Minsk sur l’Ukraine, qui pourrait faire l’objet d’un nouveau sommet en format dit "Normandie" (Allemagne, France, Ukraine, Russie). Test difficile d’ailleurs : il serait étonnant que sur le sujet si explosif du statut du Donbass, les dirigeants russes et ukrainiens s’accordent sur une vraie solution. Faudra-t-il se contenter de demi-mesures pour entretenir le reset franco-russe ? Ou admettre que d’autres sujets que l’Ukraine justifient l’approfondissement du dialogue entre Paris et Moscou, même si le différend sur l’Ukraine persiste ? Comment imaginer que, sur la Syrie et d’autres crises au Proche-Orient, où les Russes se sentent en position de force, la concertation puisse aller très loin ?
L’ours russe à l’ombre du dragon chinois
Quoi qu’il en soit, vu encore une fois de Moscou, la tentation est de voir les ouvertures de M. Macron comme un retour à l’une des figures classiques des relations Est-Ouest de jadis : une France utile pour diviser le camp occidental et grapiller au passage quelques avantages, quitte à lui abandonner par là quelques satisfactions mineures. C’est bien sûr à rassurer nos partenaires européens sur ce point que le Président Macron va devoir s’attacher ; et c’est surtout à casser ce "syndrome" dans l’esprit des dirigeants russes qu’il devra s’appliquer. L’enjeu est d’explorer sur quels dossiers précis éventuels, une fois les châteaux en Espagne écartés, une relation équilibrée peut s’établir. Sur ce dernier point, le risque évident d’une satellisation à terme de la Russie par la Chine peut-il faciliter un changement de nature dans la manière dont les dirigeants russes voient l’Europe ?
C’est un vaste sujet que l’on ne peut aborder ici mais qui devrait faire l’objet d’une réflexion approfondie. Là aussi, notons deux ou trois impressions tirées de quelques conversations : la crainte et la méfiance sont fortes du côté russe à l’égard de la Chine ; la grande affection mutuelle qu’affichent M. Xi et M. Poutine étonne. En même temps, les Russes n’ont nullement le sentiment d’avoir été "poussés" vers Pékin ; nos interlocuteurs observent que M. Poutine s’est tourné vers la Chine comme l’ont fait bien d’autres Etats : qui peut s’en dispenser aujourd’hui ? Grâce à sa politique de souveraineté, la Russie ne peut-elle assumer un rôle de puissance eurasiatique tirant son épingle du jeu dans un monde multipolaire ?
Il est vrai, cependant, que les mêmes interlocuteurs éprouvent une certaine gêne quand on énumère quelques exemples montrant que la collaboration est allée très loin, de façon évidemment asymétrique, entre les deux pays : les accords sur les hydrocarbures peu avantageux pour la Russie, les ventes d’armes dans lesquelles les Russes cèdent de la technologie très avancée, les exercices militaires avec partage du renseignement poussé, l’Arctique ouverte aux routes de la soie, le choix de Huawei, etc. Mais la réplique vient assez vite : qu’est-ce que les Européens peuvent offrir ?
Copyright : LUDOVIC MARIN / AFP
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