C’est le cas du déploiement du système Starlink par Elon Musk à la demande du Ministre ukrainien de la Transformation digitale Mykhailo Fedorov. Cette constellation de satellites connectés à des petites antennes distribuées par milliers dans les zones de combat permet d’y maintenir une connexion Internet y compris quand les installations terrestres (câbles et tours) sont touchées. En plus d’avoir permis aux civils coupés du réseau de garder un contact avec leurs proches, l’appui de ce système satellitaire a aidé les forces armées ukrainiennes à observer les avancées russes, relayées par les civils grâce à des applications pour smartphone dédiées
Enfin, il est important de noter que la menace nucléaire brandie par la Russie a un lien avec le domaine spatial. L’espace joue un rôle dans la dissuasion nucléaire à deux titres : les missiles intercontinentaux balistiques passent par le domaine spatial lorsqu’ils sont déployés, fait rappelé dans une scène surréaliste diffusée à la télévision russe ; en outre, le domaine extra-atmosphérique est important car c’est en orbite que se trouvent les satellites de détection de potentiels lancements d’attaques balistiques.
La stratégie spatiale se caractérise historiquement par une très forte coopération entre les nations spatiales, dont la Station spatiale internationale (ISS) est une illustration. Comment cette coopération est-elle mise à mal par la guerre menée par la Russie et que cela présage-t-il pour le futur alors qu’en février 2022 vingt-sept ministres européens chargés du spatial déclaraient que "la souveraineté européenne passe par l’espace" ?
Deux phénomènes ont structuré la géopolitique spatiale. D’abord, l’espace et ses enjeux ont longtemps semblé depuis 50 ans échapper aux logiques de conflits entre grandes puissances. On se rappelle du rapprochement entre les États-Unis et l’Union Soviétique dans les années 1970, en pleine Guerre froide, qui a donné naissance au projet de coopération sur la station russe Mir en 1986, puis à la Station spatiale internationale en 1998. Au cours des années 2000, la coopération spatiale semblait aussi épargnée par les secousses liées à la chute de l’URSS. Dans la période plus récente, Russes et Américains ont d’ailleurs continué à collaborer, et ce même après l’annexion de la Crimée en 2014.
Le deuxième phénomène que l’on a pu observer dans les dernières années a été le réalignement des stratégies spatiales des États. D’une part, on a assisté - comme dans d’autres domaines - à un net rapprochement entre les puissances russes et chinoises, illustré dans le spatial en 2021 par la volonté affichée de de la Russie de participer à la station spatiale chinoise lunaire. D’autre part, l’Amérique réaffirme sa volonté d’être la puissance spatiale mondiale de référence, comme le montrent les accords dits "Artemis" proposés en 2020 dans le cadre du projet de ramener des astronautes sur le sol lunaire à l’horizon 2025 : les États-Unis incitent fortement leurs alliés à s’y rallier en sachant pertinemment que Russes et Chinois s’y opposent. Il y a donc une forme de polarisation du spatial et une prise de distance avec le système multilatéral qui prédominait jusque-là.
Dans cette optique, la guerre en Ukraine marque une réelle accélération de ces deux processus de conflictualisation du domaine spatial et de polarisation des puissances. Une première matérialisation s’est faite avec l’annonce russe du souhait de se retirer de l’ISS. La portée de cette annonce reste incertaine à ce stade, les Russes maintenant pour l’instant une activité relativement normale au sein de la station. L’avenir de l’ISS, dont la durée de vie devrait être poussée jusqu’à la fin de la décennie, n’en est pas moins semé d'embûches, les Européens et les Américains réfléchissant déjà à des solutions en cas de retrait précipité de Moscou.
À court terme, si la Russie devait sortir rapidement des programmes internationaux en cours, l’impact serait majeur notamment pour l’ISS et les programmes de coopération avec les Européens (missions scientifiques, utilisations de moteurs russes pour les lanceurs, etc.). À moyen et long terme, il n’y a rien que les Russes ne sachent faire qu’Américains ou Européens ne peuvent développer. Toujours est-il que l’érosion du socle multilatéral sur lequel a été bâtie la coopération spatiale mondiale est très regrettable, vu son rôle unificateur au-delà des tensions terrestres du moment. Mais la politique de Vladimir Poutine ne laisse pas le choix…
Ajouter un commentaire