À la différence de la Russie, toujours réticente à réduire sa production parce que son importante population, bien que déclinante, a besoin des pétrodollars pour maintenir son niveau de vie, le RAS, dont la population croît mais reste comparativement modeste, peut se permettre de couper sa production de brut pour soutenir les prix. Ce fut la stratégie du ministre du pétrole Yamani au début des années 80, lorsque l’apparition de nouveaux producteurs, les "Nopep", menaçait les prix. Ce faisant le RAS perdait des parts de marché année après année, au point que le roi Fahd finit par congédier M. Yamani et opéra un virage à 180° en doublant la production du royaume, montant jusqu’à 10mb/j. Bien que ce ne fut pas son but, la décision du roi Fahd aida Paul Volcker, alors président de la Fed, à gagner sa bataille contre l’inflation, stimula le redémarrage de l’économie mondiale, et, selon certaines analyses, créa les conditions de l’effondrement de l’Union soviétique, privée de la manne des pétrodollars.
Assistons-nous à un remake de l’épisode 1986 ? Comme alors entre l’Opep et les Nopep, une guerre pour les parts de marché s’est ouverte, cette fois entre l’Arabie Saoudite et la Russie. Le monde est cependant bien différent. Déjà, le pétrole de schiste américain est devenu le producteur marginal dominant, rendant le jeu plus complexe. Ensuite, la chute des prix de l’énergie, qui se répercutera sur les prix à la consommation, ne pourra pas être compensée par des baisse de taux directeurs, ce qui fera augmenter les taux d’intérêt réels, au détriment de l’économie réelle : la baisse des prix de l’énergie n’est pas forcément une bonne nouvelle pour l’économie mondiale. D’ailleurs, la réaction des marchés financiers fut très négative : comme les producteurs de pétrole de schiste sont lourdement endettés, les obligations à haut rendement qui les financent ont été bradées, amplifiant encore la chute des actions. C’est dire à quel point la guerre du pétrole est importante.
Russie, Arabie Saoudite, alternatifs, qui cèdera le premier ?
La Russie dispose de finances publiques saines – c’est l’un des rares pays dont les administrations ont un budget en excédent (1,5 % du PIB en 2019) – la dette publique est très basse (15 % du PIB) et les autorités ont constitué un important fonds de stabilisation avec les royalties du pétrole (7 % du PIB en 2019). Cependant, l’économie et les finances publiques restent fortement dépendantes des revenus pétroliers. Hors exportations d’hydrocarbures, la balance courante du pays et le budget de l’État accusent de lourds déficits, 8,6 % du PIB pour la première, 6,2 % pour le second. Une baisse de 30 % du prix du pétrole aurait un impact sérieux sur les finances publiques et, sujet politiquement plus sensible encore, sur le niveau de vie de la population.
L’Arabie Saoudite est dans une situation plus précaire, à première vue : un déficit budgétaire important, plus de 6 % du PIB, creusé par les besoins sociaux de la population et une économie encore plus dépendante des exportations de pétrole que ne l’est la Russie. En revanche, le pays dispose d’avoirs financiers nets colossaux, estimés par le FMI à 685 Mds$ en 2018, soit 92 % du PIB, ce qui donne au royaume une large marge de manœuvre tactique. Pour reconstituer le pouvoir de marché de son pays, MBS vient de demander à Aramco de pousser la production jusqu’à 13mb/j, niveau encore inférieur à celui des États-Unis (15mb/j) mais supérieur à celui de la Russie (10,8mb/j).
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