Le grand risque est qu’elle trouve en Iran des "opposite numbers" disposés à suivre Washington dans une telle escalade, précisément par ce que les faucons iraniens voient dans "la guerre", comme au moment du conflit Irak-Iran des années 1980, et contrairement aux rêves de "regime change" de certains à Washington, le meilleur gage de survie du régime islamique. Dans ce contexte, n’importe quel incident dans le détroit d’Ormuz ou en Irak, voire en Syrie, peut dégénérer en une confrontation militaire de grande ampleur entre l’Iran et les Etats-Unis (ainsi que leurs alliés). L’absence de canal de "déconfliction" entre Washington et Téhéran ne peut qu’aggraver les risques de conflit accidentel, comme on le voit en ce moment avec les incidents relatifs à quatre navires, dont deux tankers saoudiens, dans les eaux des Emirats arabes unis, qui devraient faire l’objet d’interprétations et d’accusations opposées entre les différentes parties.
L’heure d’une initiative européenne diplomatique forte
Si l’on veut éviter une déflagration de plus en plus vraisemblable, un changement d’approche des principaux acteurs internationaux est nécessaire : jusqu’ici, l’enjeu du dossier iranien ne paraissait pas pour la Russie, la Chine, voire les Européens justifier autre chose qu’un jeu de positionnements diplomatiques, sans prise de risque majeure compte tenu des implications économiques de l’application de l’extraterritorialité des lois américaines. Il est vrai aussi qu’en campant sur une attitude intransigeante s’agissant de leur programme balistique et de leurs positions régionales, les Iraniens n’ont pas facilité jusqu’ici un engagement actif de leurs partenaires.
La dramatisation à laquelle nous assistons actuellement peut-elle au moins avoir l’avantage de faire bouger les lignes ? Cela peut-être le cas à deux conditions :
- D’abord, l’appel à la négociation que comportent peut-être les dernières mesures iraniennes – c’est la première lecture de celles-ci évoquée plus haut – n’aura pas de suite sérieuse si la négociation se limite à un dialogue Europe-Iran, la première sommée naturellement de "faire plus" en matière économique. Un début de sortie de crise implique que s’ouvre un espace de coopération Chine-Russie-Europe et sans doute Inde ou autres grands partenaires, en vue d’une négociation à la fois vis-à-vis de Téhéran et de Washington.
En termes pratiques, l’idée circule depuis des mois d’une nouvelle mission à Téhéran des trois ministres – allemand, britannique et français – sur le modèle de la visite Fischer-Straw-Villepin en 2003. En réalité, il faut voir maintenant plus grand et tenter une offensive diplomatique européenne vis-à-vis de Moscou et Pékin, aussi bien que Téhéran et Washington ;
- En second lieu, la solution (si elle existe) se trouve à Washington au niveau de M. Trump lui-même et non de ses collaborateurs. Le Président a répété récemment qu’il attendait que "les Iraniens l’appellent". C’est évidemment, pris au pied de la lettre et dans les circonstances actuelles, impossible. Faut-il totalement exclure pour autant que M. Trump soit insensible à des propositions non publiques lui permettant à terme d’atteindre cet objectif ? Sa présence en juin en Europe pourrait être une occasion d’entamer une nécessaire œuvre de persuasion. Le message à lui adresser devrait être : "c’est en réalité sur le dossier iranien (et non sur la question israélo-palestinienne) que vous pouvez obtenir le deal du siècle".
[1] Envoi du porte-avion Abraham Lincoln, puis annonce de l’envoi de l’USS Arlington (bâtiment d’assaut), qui était toutefois déjà prévu avant l’escalade récente.
[2] Posture rhétorique non exempte d’hypocrisie : en recevant M. Zarif (le ministre des affaires étrangères iranien) à Moscou, aussitôt après les annonces iraniennes, M. Lavrov (ministre des affaires étrangères russe) a ironisé sur le peu d’action déployée par les Européens. Sur un créneau majeur concernant la mise en œuvre du JCPOA, la coopération nucléaire civile, la Russie comme d’ailleurs la Chine ne se hâtent pas de mettre en œuvre leurs propres engagements vis-à-vis de l’Iran.
Copyright : ATTA KENARE / AFP
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