L'évolution de la dynamique géopolitique et des normes politiques nationales
Le Parti libéral-démocrate semble toujours en position dominante après son succès retentissant aux élections du 21 juillet, lorsque, avec son partenaire de la coalition de Komeitō, il s’est assuré une confortable majorité de 245 sièges à la Chambre haute. Malgré ce succès, ce serait une erreur de supposer que la situation politique actuelle est fondamentalement la même que dans le passé, en 1955.
Certains des principaux changements reflètent des évolutions géopolitiques de longue date. La fin de la guerre froide et l’émergence de nouveaux défis stratégiques en Asie de l'Est, notamment avec une Chine plus confiante et expansionniste et la montée en puissance de la Corée du Nord comme puissance de facto nucléaire sous Kim Jong-un, ont souligné la vulnérabilité du Japon face à une série de menaces existentielles.
LA NORMALISATION DE LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ
Avec le temps, cela a conduit à une attitude plus réaliste en matière de politique étrangère et de sécurité et à l'assouplissement progressif d'un grand nombre de tabous qui empêchaient auparavant le déploiement militaire des forces d'autodéfense du pays. Bien que l'article 9 de la Constitution demeure inchangé, progressivement, les principaux changements législatifs et l'affaiblissement de certaines des conventions entourant le déploiement des ressources militaires du Japon à l'étranger ont renforcé les capacités de projection militaire du Japon. Les contraintes sur les exportations d'armes ont été assouplies et l'adoption, à l'automne 2015, d'une législation clé permettant au Japon de participer à des initiatives d'autodéfense collective (bien que dans le cadre de dispositions strictement définies) a renforcé la capacité du Japon à coopérer pour protéger ses intérêts nationaux, non seulement avec les États-Unis, son allié traditionnel, mais aussi dans une série de partenariats de sécurité multilatéraux avec des pays comme l'Australie, l'Inde et des partenaires européens comme la France ou le Royaume-Uni.
Cette évolution de la politique de sécurité a été progressive et date des années 1990. Elle a été marquée par des tournants décisifs comme la formulation des Directives en matière de défense américano-japonaises en 1997 face à la menace des missiles balistiques de la Corée du Nord, l'acquisition d'une technologie de défense antimissile toujours plus sophistiquée, le renforcement du partenariat avec les États-Unis pendant la deuxième guerre du Golfe et le déploiement en Irak du personnel des Forces de défense autonome du Japon en 2003, la création en 2011 d'une base permanente outremer à Djibouti et la participation des forces maritimes du Japon à une série de mesures anti-pirates. Nombre de ces changements ont également reflété un consensus entre le PLD et son principal rival de l'opposition, le Parti démocratique du Japon (PDJ), sur les mérites du renforcement des capacités du pays en matière de sécurité.
POUVOIR ACCRU DU PREMIER MINISTRE
Ces changements pratiques, mais aussi symboliquement importants, se sont accompagnés d'un renforcement progressif de l'autorité décisionnelle du Cabinet du Premier ministre (Kantei) ainsi que de la mise en place, depuis 2013, d'une structure décisionnelle plus centralisée et mieux coordonnée en matière de sécurité nationale après la création du National Securitry Council (NSC) du Japon. Cette centralisation de l'appareil gouvernemental s'est également accompagnée d'un affaiblissement progressif du système fractionnel au sein du Parti libéral-démocrate - une mesure qui a sapé certaines des normes de prise de décision par consensus au sein du PLD, tout en contribuant à renforcer le pouvoir du Premier ministre en général. Ce n'est pas un hasard si le premier ministre Shinzō Abe est sur le point, s'il reste en poste jusqu'en 2021, de battre le record du plus ancien Premier ministre d'après-guerre, record qui reflète un changement par rapport au modèle quelque peu chaotique de bouleversements quasi annuels de la direction du Premier ministre caractérisant la période entre 2006 et 2012 et qui semblait pour beaucoup refléter une faiblesse institutionnelle chronique des capacités politiques du Japon. La longévité de Shinzō Abe est le produit de l'innovation institutionnelle, d'une opposition de plus en plus fragmentée (via, par exemple, la division du PDJ après 2017 en deux partis plus petits, le Parti démocratique constitutionnel et le Parti démocratique pour le peuple, plus conservateur) et du succès du PLD dans la croissance économique certes modérée, mais soutenue.
UNE POLARISATION GAUCHE-DROITE ACCRUE ET LE RISQUE D'UNE RÉACTION POPULISTE
Aucun de ces changements ne constitue en soi une menace pour le processus démocratique. Cependant, ils ouvrent de nouvelles possibilités pour des conflits politiques plus forts et une certaine polarisation. Ces éléments pourraient augmenter le risque d'une réaction populiste. Le populisme est un concept très contesté, mais il comporte un certain nombre de caractéristiques essentielles : une opposition aux élites dirigeantes, un processus politique souvent motivé par des émotions intenses, y compris la colère et le ressentiment (souvent au détriment du discours rationnel), une tendance à se replier sur des récits nostalgiques et souvent exagérés, sinon fabriqués, d'une grandeur nationale, une réceptivité à la xénophobie et aux sentiments anti-étrangers, en particulier en réaction à l'immigration, et une prédisposition à formuler les choix politiques en des termes diamétralement opposés entre d’une part l’opinion d'un concept fourre-tout mais finalement illusoire, celui du "peuple", et d’autre part l’opinion de l'establishment.
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