Si l'on se place dans une dynamique régionale, à l'échelle de l'Amérique latine, il sera intéressant d'observer les éventuelles coalitions qui pourraient se former dans la région. Le PT pourrait en effet discuter avec d'autres pays dirigés par la gauche, comme le Chili, afin de créer une alliance de partis progressistes en Amérique latine, ce qui permettrait de relancer le régionalisme. Le multilatéralisme est nécessaire pour répondre aux questions telles que la migration, le trafic de drogue et le changement climatique, et c'est exactement ce genre d'approche que nous pouvons espérer voir en cas de victoire de Lula.
Bolsonaro et Lula : comment les qualifier ?
En tant que leader politique, Bolsonaro dispose d'un certain nombre de traits caractéristiques. Il est à la fois un populiste, un autoritaire et un conservateur. Il ne croit pas en la démocratie représentative et n'a d'ailleurs pas d'attachement particulier à son parti politique. Lors de son élection en 2018, Bolsonaro n'a pas seulement réussi à convaincre l'électorat pauvre et non éduqué, en jouant la carte de l’outsider politique. Au contraire, en se présentant comme garant absolu des valeurs traditionnelles (notamment les valeurs familiales), Bolsonaro a réussi à séduire un électorat bien plus large et divers. La situation a, depuis, évolué : beaucoup de ses anciens fidèles ne le soutiennent plus, ce qui explique pourquoi Lula est en tête dans les sondages. Mais l'avancée n'est pas écrasante et l'on ne peut pas s'attendre à une victoire fracassante. Une bonne partie des électeurs est toujours convaincue que Bolsonaro est compétent et qu'il mérite de briguer un second mandat.
Lula, de son côté, est un leader charismatique et pragmatique. Il a su comment créer des coalitions, en particulier lorsqu'il s'agit de résoudre les problèmes de pauvreté au Brésil. Il est issu d'une génération de syndicalistes profondément impliqués dans la démocratisation du pays. Son parti est également une force résiliente au sein du système politique brésilien et, malgré la défaite du PT aux élections de 2018, il a su résister au point d'être sans doute aujourd'hui l'un des deux seuls partis politiques forts au Brésil, avec le Parti libéral de Bolsonaro. Ainsi, si Lula défend des valeurs de gauche, il est fondamentalement un leader pragmatique. Les questions climatiques pourraient se retrouver au cœur de son mandat s'il l’emporte, tant ces questions sont d'actualité sur la scène internationale. Néanmoins, il n'a pas la réputation d'être un dirigeant particulièrement "irréprochable" sur ce point. Sous sa présidence, il y a eu, certes, un ralentissement de la déforestation de la forêt tropicale, mais sa politique n'avait rien de révolutionnaire en la matière. Les Brésiliens en général croient en la souveraineté absolue du Brésil sur l'Amazonie, et il est donc peu probable que les choses évoluent beaucoup tant que les Brésiliens n'agissent pas en faveur d'un changement.
La campagne et ses conséquences
Si les campagnes de Lula et de Bolsonaro devaient être caractérisées par un marqueur, c'est probablement le niveau de virulence et d’invectives qu'elles suscitent. Cette campagne présidentielle n'a pas été (et les prochaines semaines ne devraient pas contredire ce diagnostic) une bataille d'idées ni de propositions politiques : les questions de fond ont été largement secondaires. La campagne a plutôt été alimentée par la haine : la base religieuse et aisée de Bolsonaro nourrit une haine contre le parti des travailleurs qui remonte à l'époque où il était au pouvoir, et les membres du PT nourrissent une haine envers Bolsonaro, la corruption et le danger qu'il incarne.
Cette haine pourrait déborder si Bolsonaro venait à perdre l'élection. S'il est peu probable que la police ou l'armée commettent des actes de violence au nom de Bolsonaro, il est tout à fait possible que cette campagne débouche sur une augmentation durable de la violence populaire dans le pays. Le nombre d'armes à feu détenues légalement au Brésil a récemment augmenté, et la culture des armes a atteint un nouveau zénith. Et si le Brésil n'est pas un pays particulièrement marqué par la violence politique, il est possible que les partisans déçus de Bolsonaro, armés et en colère, descendent dans la rue, surtout si les résultats de l'élection sont serrés. Rappelons que trois partisans du PT ont déjà été tués au cours de cette campagne.
L'éventualité d'un procès pénal et d'une mise en accusation de Bolsonaro constitue une autre problématique. La corruption, non seulement de Bolsonaro lui-même, mais aussi des membres de sa famille, a été largement rapportée. Et si le système judiciaire brésilien a été politisé dans un passé récent, il fonctionne toujours de manière professionnelle et indépendante. Des accusations pourraient donc être portées contre Bolsonaro, même si Lula lui-même ne s'impliquera pas. Cela peut potentiellement s’expliquer en partie par sa propre incarcération récente (liée aux fausses accusations, qui ont été invalidées par la suite), mais plus largement, cela peut simplement être dû à la crainte d'une politisation accrue du système judiciaire.
Cet article a été rédigé avec l’aide d’Aaron Irion et John Chrobak.
Copyright : Miguel Schincariol / AFP
Ajouter un commentaire