Même si, nous l’avons montré, la dépendance de la Chine ne se traduit pas en elle-même par une insécurité énergétique, sa dépendance à l’égard d'un exportateur unique est considérée comme une vulnérabilité. Yu Hongyuan, directeur de l'Institute for Comparative Politics and Public Policy aux Instituts d'études internationales de Shanghai, et Song Yiming, chercheur à l'Université Renmin de Chine, soulignent la nécessité pour la Chine de diversifier ses sources d'approvisionnement de pétrole afin de réduire sa dépendance vis-à-vis du Moyen-Orient et réduire le risque lié au dilemme de Malacca, selon l’expression de Hu Jintao [4]. De fait, la Chine est fortement dépendante du pétrole moyen-oriental, et 82 % de ses importations de pétrole empruntent le détroit de Malacca. Li Peng, membre du Conseil d'administration de Yandong, entreprise publique de la province de Jilin, note pour sa part que les importations de pétrole en provenance de la Russie constituent l’une des rares sources ne passant pas par le détroit de Malacca, ce qui rend le pétrole russe essentiel pour l'amélioration de la sécurité énergétique chinoise [5]. Tout en comptant sur la Russie pour accroître cette sécurité énergétique, un autre groupe d'experts chinois signalent dans un document récent l’importance de la concurrence qui existe entre la Russie et les pays d'Asie centrale en matière d’exportations de pétrole [6]. Bien sûr, selon eux, les pays exportateurs de pétrole d'Asie centrale qui émergent sur le marché ne vont pas venir menacer la position dominante de la Russie à court terme, mais ils enrichissent la palette des options offertes à la Chine. Dans le même article, ces experts invitent la Chine à profiter de cette concurrence pour réduire les coûts d'importation du pétrole, ce qui lui permettra de renforcer encore son niveau de sécurité énergétique.
Evidemment, la coopération énergétique avec la Chine sert également les intérêts russes : elle réduit l’impact des sanctions occidentales sur l'économie du pays et constitue une impulsion positive. La Russie regarde de plus en plus vers l'Est (向东看) et devient de plus en plus active dans la recherche d'une coopération avec la Chine. Shi Ze, Senior Research Fellow à l'Institut chinois des études internationales, explique que pendant longtemps, les politiques commerciales russe et chinoise se sont concentrées sur l'Occident, avec pour conséquence un déséquilibre dans les relations entre Moscou et Pékin ; désormais, les deux pays reconnaissent la nécessité de ne pas s'exclure mutuellement à l’avenir. La situation actuelle, les rapports habituellement compliqués de la Russie avec les États-Unis et la guerre commerciale en cours entre la Chine et les États-Unis ont été des facteurs de rapprochement renforcé entre la Russie et la Chine. Cela dit, la relation entre les deux pays est également soumise à un certain nombre de variables tierces ; pensons par exemple aux investissements japonais dans le secteur énergétique russe ou à l'immense demande du marché indien.
"La Chine est l'un des partenaires les plus importants de la Russie dans le secteur de l'énergie" et "la Russie sera toujours un partenaire loyal dans le secteur énergétique chinois", fait valoir Aleksey Teksler, premier vice-ministre de l'Energie de la Fédération de Russie. La Chine coopère également avec la Russie dans l'Arctique pour construire la "Route polaire de la soie", mais Feng Yujun invite la Chine à davantage de prudence : il s’agit à ses yeux que la Chine tienne pleinement compte, en participant à des projets de cette nature, des risques liés aux ressources, à l'environnement, au climat, au marché et aux infrastructures. La Chine est dépendante en matière énergétique, mais en même temps, les pays exportateurs comme la Russie sont symétriquement dépendants du marché chinois. Tous les experts chinois cités dans cet article demandent à la Chine de gagner en assurance dans le secteur et de faire jouer plus judicieusement la carte de son pouvoir d'achat. La Chine doit devenir un partenaire plus séduisant et s'affranchir de sa préoccupation constante pour son "insatiable appétit énergétique".
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References :
[1] The first line from Mohe (the northernmost Chinese city, which borders Russia in Heilongjiang province ) to Daqing (Heilongjiang province) was put into use in 2011, with an annual capacity of 15 million tonnes. The second one was built in parallel to the first one, operational since 2018 and doubled the annual import of Russian crude oil from 15 million tonnes to 30 million tonnes.
[2] The Chinese section of China-Russia East-Route natural gas pipeline, starts in Heihe (Heilongjiang Province), and terminates in Shanghai. The section is a spur from running from Siberia to China on the eastern portion of Russia’s "Power of Siberia" pipeline.
[3] Yu Hongyuan & Song Yiming "The Evolution of Sino-Russian Energy Diplomacy 中俄能源外交的历史演进", Area Studies and Global Development, 2018 Vol. 3
[4] Yu Hongyuan & Song Yiming, "The Evolution of Sino-Russian Energy Diplomacy 中俄能源外交的历史演进", Area Studies and Global Development, Vol. 3, 2018
[5] Li Peng, "China's energy security and Sino-Russian energy cooperation 中国能源安全与中俄能源合作", Modern Communication, No.10, 2019
[6] Liang Meng, Peng Yingying, Zhang Yanyun, Sun Li, Ren Zhongyuan, Zhang Qi, and Yang Ying, "Current Status of and Lessons from the Oil and Gas Transit Transportation in Russia and Central Asian Countries俄罗斯与中亚国家的油气过境运输现状及启示", Oil & Gas Storage and Transportation, July 2019
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