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29/03/2021

Filière santé : comment gagner la course à l’innovation ?

Filière santé : comment gagner la course à l’innovation ?
 Pierre-François Jan
Auteur
Directeur au sein du cabinet Pergamon
 Laure Millet
Auteur
Experte Associée - Santé

L’Institut Montaigne vient de publier une note intitulée Filière santé : gagnons la course à l’innovation sur la structuration de la filière santé en France. Ce travail intervient à un moment charnière pour le système de santé français : si la précédente campagne présidentielle a échoué à faire de la santé un thème structurant du débat, la crise sanitaire liée au Covid-19 s’est chargée de saturer l’espace médiatique et politique de questions de santé. Bien que cette crise ait mis en lumière une forte capacité de résilience et d’engagement de l’ensemble des acteurs publics et privés de notre système de soins, elle a également mis en exergue d’importantes lacunes. Une telle crise ouvre une fenêtre de tir inédite pour repenser la filière santé, avec en ligne de mire le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) cet été, la présidence française de l’Union européenne et la prochaine élection présidentielle en 2022. 

Une crise sanitaire révélatrice du besoin de mieux coordonner les acteurs publics et privés de la santé

Si la crise des hôpitaux ressurgit régulièrement et avait déjà émergé dans le débat public en 2019, les premiers mois de la crise du Covid-19 ont révélé aux citoyens de nombreuses problématiques : pénuries de certains professionnels de santé en France, capacités d’accueil limitées de nos services de réanimation, défaillances de l’approvisionnement en équipements et en produits de santé, etc. Plus récemment, la France n’a pas réussi à émerger dans la course aux vaccins et aux traitements contre le Covid-19. Là encore, ce sont les difficultés de l’écosystème industriel et de recherche français qui ont été révélées à la faveur de la crise sanitaire.

Elle a aussi mis en lumière les lignes de fracture et les importants silos qui persistent entre le monde hospitalier et la médecine de ville, entre l’hôpital public et les cliniques, entre la santé humaine et la santé animale et plus globalement entre les acteurs publics et les acteurs privés de la santé en France. La problématique de la confiance et du dialogue entre ces acteurs s’est alors posée de manière plus aiguë, avec des blocages opérationnels et des défauts de coordination dans les premières phases de la pandémie.

Les premiers mois de la crise du Covid-19 ont révélé aux citoyens de nombreuses problématiques. 

Mais il faut aussi souligner la résilience de notre filière santé face à cette crise sans précédent : elle a su adapter les services hospitaliers, développer la téléconsultation, réorienter rapidement les efforts de recherche dans tous les domaines, trouver des solutions pour stocker et augmenter les capacités de production de vaccins, etc. 

Une nouvelle vision de la filière santé pour faire de la France "la première nation européenne innovante et souveraine" dans le domaine

Dans ce cadre, le besoin de mieux structurer la filière santé est apparu comme un chantier prioritaire pour préparer le "monde d’après" en commençant par co-construire une vision stratégique et mettre en place les conditions de son pilotage. 

Définir la "filière santé" n’est pas chose aisée. Elle réunit des activités et des acteurs bien plus divers que la plupart des filières économiques. Au sens large, on pourrait définir cette filière comme l’ensemble des activités des acteurs publics et privés qui concourent à la réalisation d’un produit ou service ayant une finalité de santé. Ces activités entraînent nécessairement la ​création de valeur sur le territoire national (emplois directs et indirects, production de connaissances, progrès médical et scientifique, etc.). Elle rassemble une diversité d’acteurs parmi lesquels se trouvent les soignants, les offreurs de soins, les industriels, les payeurs, les services de santé, les entreprises du numérique, du diagnostic, etc.

Chiffres à l’appui, il est possible d’affirmer que la santé est un secteur économique de premier plan en France. Premièrement, parce qu’elle emploie plus de 2 millions de personnes. Deuxièmement, parce qu’elle crée de la richesse, en particulier dans le domaine des industries et technologies de santé, mais aussi de plus en plus dans le secteur du numérique appliqué à la santé, dont il faut attendre une croissance exponentielle dans les années à venir. Au total, le poids économique de la filière représente près de 300 milliards d’euros (dépenses de santé et exportations), soit 12,3 % du PIB français. Troisièmement, parce qu’il est un des rares secteurs à investir massivement en R&D (8,5 milliards d’euros investis en R&D par le secteur public et privé, soit 3,2 % de la dépense courante de santé) et à contribuer positivement à la balance commerciale de la France.

Pour tirer tout le potentiel de la filière santé française, à la fois en termes de santé publique et en termes économiques, les acteurs interrogés dans le cadre de ce travail expriment trois types de besoins :

  • Sortir des silos et permettre une meilleure collaboration entre acteurs publics et privés ;
  • Organiser un meilleur pilotage de la filière autour d’une vision globale des enjeux de santé ;
  • Favoriser la diffusion de l’innovation pour transformer le système en profondeur.

Des propositions concrètes pour consolider une filière santé française d’excellence, capable de s’exporter à l’international et d’affronter les futures pandémies

Un véritable changement de paradigme s’impose sur la manière de piloter notre système de santé. Ce nouveau paradigme doit permettre à la fois :

  • de considérer le secteur de la santé comme une filière économique à part entière et créatrice de valeur ;
  • de conduire des politiques de santé capables d’intégrer une logique d’investissements et d’évaluation du retour sur investissement ;
  • de construire une vision de long-terme pour notre système de santé afin d’aligner et de coordonner l’ensemble des acteurs publics et privés ;
  • de repenser en profondeur le rôle de l’État.

Trois axes majeurs émergent pour concrétiser ces objectifs. Tout d’abord, réinventer la gouvernance de la filière santé (aux niveaux européen, national et régional) pour encourager les collaborations entre le secteur public et privé, tout en rendant le système plus efficient et pertinent. Les acteurs innovants du secteur ont exprimé le besoin d’un interlocuteur unique au sein de l’État (notion de "one-stop-shop") pour les orienter et être à leur côté pour développer des solutions en phase avec les grandes priorités de santé publique. 

Un véritable changement de paradigme s’impose sur la manière de piloter notre système de santé.

Dans le cadre de la future Présidence française de l’Union européenne en 2022, il semble aussi impératif de mettre la gouvernance de la filière santé au sommet de l’agenda pour permettre à l’avenir de mieux coordonner les réponses face aux crises sanitaires. Cela peut passer à la fois par l’accélération de la création de la Health Emergency Response Authority, inspirée du BARDA américain (Biomedical Advanced Research and Development Authority) mais aussi par des politiques de mise en commun des données de santé entre les différents États membres. Par ailleurs, il est nécessaire de prolonger le travail d’harmonisation des procédures d’accès au marché engagé avec l’European Medicines Agency en créant notamment les conditions d’une évaluation européenne des technologies de santé (harmonisation des méthodes et des critères, évaluation communautaire, etc.).

Ensuite, il paraît essentiel de développer des outils de pilotage de la filière par la donnée et favoriser les usages numériques au service des patients afin de repenser les modèles de régulation. Par exemple, la mise en place d’un tableau de bord de la filière santé permettrait de mieux piloter le système à partir d’un nombre limité d’indicateurs sanitaires (espérance de vie en bonne santé, couverture vaccinale, etc.), organisationnels (nombre de dossiers médicaux partagés ouverts et actifs, suivi de l’observance, etc.) et économiques (croissance du nombre de d’emplois, investissement en R&D par les acteurs publics et privés), construits et partagés par l’ensemble des parties prenantes. De la même manière que les objectifs de développement durable de l’ONU, ces grands indicateurs pourraient servir de boussole pour les acteurs publics et privés du système. La crise a également démontré qu’il est devenu impératif de favoriser le développement de solutions numériques qui améliorent la qualité des soins pour les patients. Il faudrait à ce titre mettre en place des mécanismes d’incitation des professionnels de santé à l’adoption des usages numériques et d’imaginer des programmes d’accompagnement par les acteurs de la filière.

Enfin, notre système de santé doit de toute urgence opérer le tournant de la prévention. Il faut investir massivement dans la prévention et la coordination des parcours de soins grâce au numérique. Pour ce faire, le développement de nouveaux modèles de financement est clé afin de favoriser l’émergence de plateformes d’intégration de soins et la collaboration entre professionnels (financement au parcours et à la performance, développement d’approches populationnelles, indicateurs de résultats, etc.). Finalement, un signal fort pourrait être envoyé en transformant l’Assurance maladie en Assurance "santé", capable d’intégrer dans son champ non pas uniquement la gestion des risques et de la maladie, mais également les notions d’investissements, de prévention et donc de gestion de la santé sur le long terme.

Dans la perspective de la présidentielle, faire de la "santé publique" un critère politique global, capable de créer les conditions de la structuration de la filière santé française

En novembre 2020, 2 Français sur 3 estimaient que le plus important était de limiter l’épidémie de Covid-19, même si cela avait un impact négatif sur l’économie du pays et l’emploi. Ce chiffre illustre le renversement de la hiérarchie des normes politiques qui est en train de s’opérer. En réalité, plutôt que d’opposer santé et économie, cette crise peut être le moment de faire de la santé publique un critère politique global, qui intègre les notions d’économie, de justice sociale et d’écologie. Ainsi, les propositions de l’Institut Montaigne envisagent ces enjeux de manière transverse et visent à créer les conditions de la structuration d’une filière santé française plus transparente, collaborative, tournée vers l’international et prête à affronter les éventuelles futures pandémies. 

 

Copyright : THOMAS SAMSON / AFP

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