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10/11/2016

La victoire de Trump est celle de l’Amérique qui se ferme

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La victoire de Trump est celle de l’Amérique qui se ferme
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Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pour les Echos.

L'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis constitue un événement révolutionnaire. Elle va approfondir et accélérer le déclin des États-Unis dans le monde. Et accentuer encore le risque populiste

Ce n'est pas la fin du monde, mais c'est la fin d'un monde. Celui où l'Amérique pour le meilleur ou pour le pire s'intéressait aux "Autres" autant qu'à elle-même. La date du tsunami politique que nous venons de vivre n'est pas neutre. Le 9 novembre 1989 le Mur de Berlin s'effondrait. "Slava" Rostropovitch célébrait le triomphe de la liberté en jouant Bach devant le symbole d'une oppression défaite.

Vingt sept ans plus tard, le 9 novembre 2016, Donald Trump, sort triomphalement vainqueur de l'élection présidentielle américaine . L'Amérique vient de choisir, démocratiquement, d'ériger un mur de colère, de soupçon et de rejet autour d'elle-même. L'Amérique qui se ferme l'emporte sur l'Amérique ouverte.

Spontanément, devant la succession de ces deux dates, les lignes écrites par Charles Dickens dans son livre "A tale of two cities" me viennent à l'esprit : "It was the best of times, it was the worst of times", écrivait-il.

Ce qui vient de se passer est tout simplement, révolutionnaire. Jamais en 240 ans d'histoire politique américaine, un homme aussi "différent", n'a accédé, sans la moindre expérience politique, à la Maison Blanche, et jamais un homme doté d'une confiance aussi absolue en lui-même n'a eu accès à l'arme absolue, l'arme nucléaire.Le monde américain qui vient de s'effondrer est celui que j'avais découvert et aimé à l'Université d'Harvard au tout début des années 1970. Stanley Hoffmann y enseignait alors la politique étrangère des États-Unis mettant l'accent sur le mélange d'exceptionnalisme et d'optimisme qui faisait la force de l'Amérique.

Assistons-nous à la fin de l'exceptionnalisme américain ? Ou vient-il de prendre un détour étrange, mais somme toute logique, dans le contexte de rejets multiples qui s'expriment dans l'Amérique de 2016 ? Rejet de la mondialisation, des institutions, des élites, enfin des autres, de tous ceux qui sont différents, par une classe moyenne blanche, doublement obsédé par le déclin de l'Amérique dans le monde et celui de l'homme blanc en Amérique. Face à ce double sentiment de perte de contrôle, qui a déjà contribué à l'élection de Ronald Reagan - un homme infiniment plus raisonnable que Trump - en 1980, l'Amérique vient de réagir : avec force pour les uns, avec excès pour les autres. Elle l'a fait sur un mode qui n'aurait pas dû nous surprendre, si nous n'avions pas voulu jusqu'au bout fermer les yeux sur une réalité à ce point dérangeante. Et je plaide bien sûr coupable, dans ce "nous" auquel j'appartiens pleinement.

Nous avons refusé de le voir, mais Donald Trump fait pleinement partie du mythe américain. N'en est-il pas même l'expression directe ? L'homme solitaire, qui armé de sa seule énergie, surgit de la plaine et fait face à tous ? En réunissant autour d'elle un aéropage de "Peoples" Hillary Clinton lui fournissait un argument supplémentaire et peut-être décisif. L'Américain vrai, face aux élites "fausses".

En ce 9 novembre 2016, nous sommes entrés dans un nouveau monde, et cette "nouveauté" a été saluée comme il se doit par la Bourse de Moscou qui progresse, par Marine le Pen qui se réjouit , et par le serveur du site d'immigration du Canada, qui "explose" devant l'afflux des demandes de renseignements. Mais au delà de ce catalogue à la Prévert des premières réactions à l'impensable devenu réalité, quelles sont les conséquences possibles pour l'équilibre du monde et pour l'avenir de la démocratie, des résultats des élections présidentielles américaines ?

Beaucoup de commentateurs veulent nous rassurer. "Ce n'est pas si grave, vous verrez" disent-ils. Le Président des États-Unis a beaucoup moins de pouvoir que son homologue français. Les Républicains "raisonnables" au Sénat s'opposeront aux risques de dérive du nouveau Président. Et ce dernier, est beaucoup plus sage qu'il n'y paraît. N'a-t-il pas fait preuve de modération et d'un véritable esprit de conciliation dans son premier discours de futur président des États-Unis ?

Tous ces jugements ne me paraissent pas correspondre au caractère proprement révolutionnaire de ce qui vient de se produire sous nos yeux ébahis et incrédules.

Contrairement au slogan de campagne de Donald Trump "Rendre l'Amérique plus grande à nouveau", on peut penser que la victoire de Donald va approfondir et accélérer le déclin des États-Unis dans le monde. De Beijing à Moscou, sans oublier Ankara, on se réjouit de l'humiliation infligée par les électeurs à l'orgueilleuse mais dysfonctionnelle démocratie américaine. Dans son ambition de redevenir ce qu'elle était jusqu'à la fin du dix huitième siècle, la première puissance mondiale, la Chine n'a-t-elle pas gagné une dizaine d'années, grâce à la colère et au ressentiment du peuple américain ?

Si même les États-Unis se rallient au mythe de l'homme fort et providentiel, n'est-ce pas la preuve que Xi Jinping, Poutine et Erdogan sont dans le vrai ? Et puis l'Amérique va enfin devoir arrêter de leur donner des leçons de morale.

Si depuis mardi il y a de facto moins d'Amérique dans le monde, n'y a t-il pas également plus de risques populistes ? Jamais deux sans trois, dit-on. Après la victoire du BREXIT en Grande-Bretagne, puis celle de Donald Trump aux États-Unis, comment ne pas penser - les mêmes causes produisant les mêmes effets - que Marine le Pen a des chances réelles d'arriver au pouvoir en France ? Les Américains en faisant le choix de Donald Trump n'ont-ils pas ouvert la voie aux Français ? Il nous appartient de démontrer que nous sommes plus raisonnables. La victoire de Trump est pour nous un avertissement, le dernier sans doute.

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