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03/12/2025
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Temps de l’enfant : "L'école ne peut pas, à elle seule, corriger les choix urbains, économiques et sociaux"

Temps de l’enfant :
 Baptiste Larseneur
Auteur
Expert Associé - Éducation

La convention citoyenne sur les temps de l'enfant lancée en juin 2025 a réuni 133 citoyens tirés au sort pour améliorer le rythme des journées et des semaines des plus jeunes. La question est essentielle mais verrouillée par une approche trop circonscrite. Or, les vrais enjeux se situent en dehors de l'école : périscolaire, décalage entre horaires professionnels et scolaires, temps de transport, inégalités de logement... Il y a bel et bien une faille spatio-temporelle dans notre modèle, mais la résoudre demande de le repenser de façon globale.

Après celles portant sur la fin de vie (décembre 2022 - avril 2023) et sur le climat (octobre 2019 - juin 2020), la troisième convention citoyenne, consacrée aux temps de l’enfant, a suscité de véritables attentes. Beaucoup espéraientun nouvel exercice démocratique capable d’ouvrir des perspectives inédites, porteuses d’une vision renouvelée de l’enfance dans la société contemporaine. Le sujet, immense, s’y prêtait naturellement.

Les conventions citoyennes, mises en place par le Conseil économique, social et environnement à la demande du politique, sont fondées sur une promesse, celle de faire émerger une intelligence collective qui ne soit ni technocratique, ni strictement sectorielle. Elles doivent offrir un espace où les citoyens, libérés des corporatismes et des agendas institutionnels, produisent une pensée audacieuse, peut-être même dérangeante. 

Beaucoup espéraient un nouvel exercice démocratique capable d’ouvrir des perspectives inédites, porteuses d’une vision renouvelée de l’enfance dans la société contemporaine.

Pourtant, à la lecture du rapport final de cette convention, une impression tenace se dégage. La réflexion n’a guère déplacé les lignes, livrant un ensemble de propositions prévisibles et souvent déjà connues, tant le processus a conduit les citoyens à adopter naturellement les schémas de pensée des experts qu’ils avaient auditionnés.

Les solutions avancées ressemblent fortement à celles formulées par les "sachants" depuis les années 2000 : une semaine de cinq jours à l’école primaire, des journées plus courtes, une alternance 7 semaines / 2 semaines, un début des cours plus tardif pour les adolescents, moins de devoirs à la maison, davantage d’activités artistiques ou sportives etc. Toutes ces propositions ont été largement explorées, parfois même mises en œuvre.

Un débat enfermé dans l’école alors que les leviers sont principalement ailleurs

Le premier obstacle à l’ambition de cette convention tient à la formulation même de la saisine : "Comment mieux structurer les différents temps de la vie quotidienne des enfants afin qu’ils soient plus favorables à leurs apprentissages, à leur développement et à leur santé ?".

En posant la question comme si l’enfant constituait une entité autonome, la convention a repoussé dans l’ombre les déterminants sociaux et économiques qui structurent, heure par heure, son quotidien. L’essentiel du rapport se concentre donc mécaniquement sur l’organisation de l’école, comme si elle était l’unique variable disponible, alors qu’elle n’en est souvent que le lieu de réception.

Il aurait fallu ouvrir une réflexion infiniment plus vaste, portant sur la manière de repenser l’ensemble des temps sociaux - travail, famille, transports, services publics, loisirs - afin de créer pour les enfants des conditions de développement réellement favorables.

La convention aborde les rythmes scolaires comme si tout se jouait à l’intérieur des murs de l’école : quatre ou cinq jours, 7/2 ou 8/2, matinées allongées, après-midis allégés etc. Or, ces aménagements n’ont de sens que si l’écosystème autour de l’école est fonctionnel. La semaine de cinq jours, par exemple, n’est bénéfique que si les enfants dorment vraiment, si les déplacements restent raisonnables, si le périscolaire est solide, et si les enseignants eux-mêmes y trouvent un sens. Or rien de tout cela n’est réuni aujourd’hui.

Il aurait fallu ouvrir une réflexion infiniment plus vaste, portant sur la manière de repenser l’ensemble des temps sociaux - travail, famille, transports, services publics, loisirs - afin de créer pour les enfants des conditions de développement réellement favorables.

Et c’est précisément à ce point que le débat devrait s’ouvrir, car ce qui fragilise le plus l’ensemble du dispositif n’est pas l’école elle-même, mais ce qui l’entoure. Parmi ces éléments périphériques devenus centraux, le périscolaire occupe une place déterminante.

Le périscolaire : chaînon décisif que l’on se doit de consolider

Le périscolaire prend le relais lorsque les horaires des adultes et ceux des enfants ne coïncident pas. Sur le papier, il est la promesse d’une continuité éducative mais dans la réalité, il est devenu un point de rupture systémique.

Non seulement les équipes sont souvent en sous-effectif chronique, peu stabilisées, mais le périscolaire est désormais au cœur de deux crises : 

  • Une crise sociale (grèves récurrentes, désorganisation massive pour les familles etc.) 
  • Une crise de confiance, ravivée récemment dans l’académie de Paris par la révélation de violences sexuelles impliquant certains agents.


Dans ces conditions, il est illusoire de faire du périscolaire la clé de voûte de nouveaux rythmes. On peut multiplier les discours enthousiastes sur l’épanouissement des enfants après la classe, vanter les vertus du sport, de la culture ou de la créativité, mais tant que les fondamentaux ne seront pas assurés, le périscolaire restera moins un espace éducatif qu’un angle mort de la politique publique.

Les conditions minimales - des rémunérations attractives, un contrôle irréprochable des antécédents judiciaires des intervenants, une continuité de service réellement garantie - ne sont toujours pas réunies. Or, tant que ces fondations resteront vacillantes, nul ne peut sérieusement prétendre faire du périscolaire un pilier du temps de l’enfant.

On oublie trop souvent que pour qu’un enfant s’épanouisse, il faut d’abord que ses parents soient rassurés quant à la qualité, la stabilité et la sécurité de ce qui lui est proposé. Tant que cette confiance ne sera pas restaurée, le périscolaire demeurera perçu comme un dispositif incertain, dépendant du hasard des recrutements et des aléas organisationnels plutôt que d’une vision structurée.

S’ajoute à cela un fait économique rarement articulé dans le débat public. Il est vraisemblable que chaque journée de grève dans le périscolaire coûte, en productivité perdue et en désorganisation familiale, bien davantage que ne coûterait une revalorisation salariale sérieuse et une professionnalisation du secteur. Autrement dit, l’inaction a un coût et ce coût est désormais collectif.

C’est pourquoi la question n’est plus de savoir quelles activités proposer aux enfants, mais de reconnaître que le périscolaire nécessite un véritable statut et peut-être un pilotage national. Dans cette perspective, il pourrait être utile d’engager une réflexion sur l’émergence d’un véritable service public du périscolaire, une piste que la convention, pourtant en droit de s’en saisir, n’a jamais explorée.

Logement, travail, mobilité : les infrastructures invisibles du temps de l’enfant

Le temps de l’enfant se fabrique bien en amont de l’école, dans un environnement matériel qui façonne silencieusement ses journées.

Le logement : première matrice du temps enfantin

Avec l’explosion des prix immobiliers, de nombreuses familles ne peuvent plus offrir à chaque enfant une chambre. Le sommeil devient alors une variable d’ajustement, un temps partagé, dont chaque famille espère qu’il suffira malgré tout à soutenir les apprentissages. La monoparentalité, en forte progression, accentue encore cette contrainte.

Avec l’explosion des prix immobiliers, de nombreuses familles ne peuvent plus offrir à chaque enfant une chambre.

Les conséquences sont immédiates. Des matins qui commencent trop tôt, des soirées qui se prolongent trop tard, des routines fragilisées et une fatigue qui s’installe comme un décor permanent. Ainsi, bien avant d’entrer en classe, l’inégalité temporelle s’est déjà installée, plus façonnée par le marché du logement que par les choix éducatifs.

La mobilité : ces kilomètres qui mangent l’enfance

Un enfant qui passe 1h30 par jour dans un car scolaire ne vit pas le même temps qu’un enfant qui traverse une rue. Cette différence n’est pas anecdotique. Elle produit des états physiologiques distincts. Pourtant, nous leur imposons la même journée scolaire, comme si la géographie n’avait aucune incidence sur la biologie.

Les inégalités de distance deviennent ainsi des inégalités de sommeil, puis de disponibilité cognitive. Le temps de transport est un temps soustrait au temps de récupération de l’enfant, et aucune réforme d’horaires ne peut compenser ce déficit structurel. Tant que la question des déplacements restera hors du débat, les discussions sur les rythmes scolaires ignoreront l’un de leurs déterminants les plus puissants.

Le travail : la temporalité qui dicte tout

Il faut reconnaître un paradoxe, les entreprises ont, ces dernières années, davantage repensé leur organisation du temps que l’État n’a repensé celui des enfants. Télétravail, horaires modulables, droit à la déconnexion - fût-il imparfait -, ces transformations existent bel et bien, mais elles sont pensées à hauteur d’adultes.

Entre les rythmes professionnels et les rythmes de l’école, les familles bricolent donc. Elles ajustent les horaires, fractionnent le temps, compensent les décalages structurels. Et c’est l’école qui absorbe, en aval, l’ensemble de ces tensions (fatigue, retards, désynchronisations, injonctions contradictoires etc.)

L’école en première ligne, la société en arrière-plan

Autrement dit, nous abordons les temps de l’enfant par la seule institution qui n’en est pas la cause. L’école ne peut pas, à elle seule, corriger les choix urbains, économiques et sociaux qui organisent le temps des enfants. Elle n’en est que le réceptacle.

Tant que l’on oubliera cela, le débat sur les rythmes scolaires restera une illusion d’horloger. On polit le cadran, on réarrange les aiguilles, alors que c’est le mécanisme intérieur, celui de la société, qui se dérègle.

La convention citoyenne sur les temps de l’enfant avait tout pour réussir. Mais lorsqu’on pose une question trop étroite, les réponses se rétrécissent aussitôt. En enfermant le débat dans l’école, la convention a laissé hors champ ce qui façonne réellement les journées des enfants, le logement, le travail, la mobilité, la fragilité du périscolaire, les inégalités territoriales.

Au fond, cette convention laisse une question suspendue, plus brûlante que celles qu’elle a posées : jusqu’où sommes-nous prêts à réorganiser la société - et non la seule institution scolaire - pour que les enfants cessent d’en absorber seuls les désordres ?


Copyright image : Franck PERRY / AFP.

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