AccueilExpressions par MontaigneTemps de l'enfant : réinventer le cadre éducatif pour une société en mutationLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Éducation14/05/2025ImprimerPARTAGERTemps de l'enfant : réinventer le cadre éducatif pour une société en mutationAuteur Baptiste Larseneur Expert Associé - Éducation L'Élysée a annoncé le 5 mai que s'ouvrirait en juin une nouvelle convention citoyenne sur le rythme scolaire, sous l'égide du CESE. Elle prendra la suite de celles qui s'étaient tenues sur la fin de vie et le climat. Loin d'être une question de calendrier ou de quantité, le temps scolaire recouvre des enjeux fondamentaux, à la jonction des grandes évolutions sociétales, du rôle des collectivités territoriales et de la vision de l’éducation que nous voulons. Inégalité sociale, formation des enseignants : dans sa tribune, et tout en rappelant que plus les élèves sont défavorisés, plus le temps passé en classe est pour eux déterminant, Baptiste Larseneur en appelle à ne pas se tromper de priorité.La récente annonce du président de la République de lancer une convention citoyenne sur les temps de l’enfant ouvre un moment précieux pour interroger collectivement notre rapport à l’éducation et, plus profondément encore, au temps lui-même. Après les conventions dédiées au climat et à la fin de vie, cette nouvelle démarche, placée sous l’égide du Conseil économique, social et environnemental (CESE), doit permettre de soulever des questions à la fois intimes et universelles. Comment organisons-nous le temps de nos enfants ? Quelle place lui accordons-nous dans notre société ? Et, en filigrane, quel avenir nous préparons-nous à bâtir ?Saint Augustin, dans ses Confessions, s’interrogeait déjà sur cette matière insaisissable : "Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; si je veux l’expliquer à celui qui me le demande, je ne le sais plus." Cette réflexion philosophique résonne profondément avec l’enjeu de cette convention. Le temps, en effet, échappe à la simple comptabilité des heures et des jours. Il se dérobe, s’échappe, résiste à la mesure, et pourtant il structure chaque instant de l’existence des enfants d’aujourd’hui, citoyens de demain.À première vue, l’objet de cette convention peut sembler presque banal, réduit à des considérations purement techniques sur l’organisation du calendrier scolaire : faut-il réduire la journée de classe ? Allonger l’année scolaire ? Réorganiser les vacances intermédiaires ? Pourtant, derrière cette apparente simplicité se cachent des questions bien plus profondes, qui touchent à l'essence même de notre contrat social. Car interroger le temps de l'enfant, c'est en réalité interroger notre vision de l'éducation, nos choix de société et, en fin de compte, notre manière de vivre ensemble.Interroger le temps de l'enfant, c'est en réalité interroger notre vision de l'éducation, nos choix de société et, en fin de compte, notre manière de vivre ensemble.Repenser les temps de l'enfant ne saurait se réduire à un simple réajustement des rythmes scolaires. C'est une question profondément systémique, qui touche à l'ensemble des dynamiques sociales et mobilise tous les acteurs de la société : les écoles et leurs personnels, les familles, les entreprises, l'État, les collectivités territoriales, et, au-delà, la communauté nationale dans son ensemble.C'est précisément là que réside l'intérêt d'une convention citoyenne : sortir des cadres purement technico-éducatifs pour aborder cette question sous un angle plus vaste en tenant compte des multiples dimensions de la vie collective et des aspirations des citoyens.Il serait illusoire de mener une réflexion sur les temps de l'enfant sans tenir compte des profondes transformations qui traversent notre société. Les dynamiques familiales évoluent rapidement, façonnées par des rythmes de travail de plus en plus fragmentés et le vieillissement progressif de la population. Les familles, prises entre des obligations professionnelles toujours plus exigeantes et des responsabilités familiales complexes, peinent à trouver un équilibre durable. De leur côté, les collectivités territoriales, aux finances souvent exsangues, luttent pour financer et organiser un périscolaire de qualité, pourtant essentiel pour répondre aux besoins des familles.Parallèlement, notre système éducatif fait face à des défis structurels majeurs : épuisement des enseignants, inégalités criantes entre territoires, difficultés à attirer et à retenir les talents, dévalorisation d'une profession pourtant centrale pour l'avenir de notre société. Ces réalités, si elles sont ignorées, risquent de limiter considérablement l'impact de cette convention, car elles touchent au cœur même de la mission éducative. Les comparaisons internationales peuvent offrir des pistes de réflexion, même si chaque pays semble encore en quête de sa propre réponse.- En Allemagne, l'accent est mis sur des congés parentaux plus flexibles et des possibilités de travail à temps partiel, dans l'espoir de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale.- En Corée du Sud, malgré des résultats scolaires impressionnants, le poids écrasant des attentes éducatives et la pression intense sur les élèves ont contribué à un taux de natalité historiquement bas, illustrant les effets pervers d'un système hyper-compétitif.- À l'inverse, les pays scandinaves ont choisi de massivement investir dans des politiques familiales généreuses, acceptant les coûts élevés de ces mesures afin de promouvoir un meilleur équilibre entre vie familiale, vie éducative et vie professionnelle.Ces exemples rappellent que chaque modèle a ses limites, et qu'il n'existe pas de solution universelle pour répondre aux défis posés par l'articulation des temps de l'enfance et de la société.il est essentiel de dépasser les simples réorganisations d'horaires et d'interroger plus profondément le sens de l'éducation.Pour penser le temps scolaire autrement, il est essentiel de dépasser les simples réorganisations d'horaires et d'interroger plus profondément le sens de l'éducation. Cela implique de regarder au-delà des calendriers, en questionnant l'efficacité réelle des heures d'enseignement, en tenant compte des inégalités sociales et en évitant les réformes sans vision globale.Le temps scolaire : au-delà du simple décompte et de la réorganisation des heuresLa question du temps scolaire est un pilier fondamental des politiques éducatives, omniprésent dans les débats, mais souvent abordé sans réelle interrogation sur son efficacité. En France, cette question se divise traditionnellement en deux axes principaux : le volume de temps consacré à l'apprentissage des fondamentaux et l'organisation des rythmes scolaires.- Le temps dédié aux fondamentaux : une réponse quantitative à la baisse du niveau ?Face à la baisse des résultats en français et en mathématiques, régulièrement pointée par les évaluations nationales et internationales, la réponse instinctive est d'augmenter le temps d'instruction. Cette approche, largement partagée par les décideurs politiques, repose sur l'idée que plus de temps en classe devrait mécaniquement produire de meilleurs résultats. Pourtant, cette logique cumulative se heurte rapidement à ses limites.- La France est l'un des pays de l'OCDE où le temps d'instruction officiel à l'école élémentaire est le plus élevé.- La France consacre davantage de temps à l'enseignement des fondamentaux que la majorité des autres systèmes éducatifs, et ce, à la fois en proportion et en volume.Pourtant, les résultats éducatifs ne suivent pas et l’analyse des systèmes éducatifs étranger démontrent une absence de corrélation entre le temps consacré à l’apprentissage des fondamentaux et la performance éducative des élèves. À titre d’exemple, la Finlande ou la Corée du Sud, avec des temps d'instruction théoriques plus réduits, surclassent régulièrement la France dans les classements internationaux.En outre, l'injonction à enseigner davantage les fondamentaux, souvent perçue comme descendante et déconnectée des réalités de la classe, contribue à creuser le fossé entre l'administration centrale et le corps enseignant. Ce décalage, amplifié par des réformes successives, rend cette augmentation théorique du temps d'enseignement largement inefficace en pratique.- L’organisation des rythmes scolaires : un débat prioritaire ?L'autre grand volet du débat sur le temps scolaire en France concerne sa répartition - dans l'année, la semaine, et la journée. Ce sujet, véritable passion nationale, a donné lieu à une longue série de réformes : des premières modifications des années 1920 sous les gouvernements Poincaré et du Bloc des gauches, avec l'allongement des vacances d'été et l'apparition des congés de Noël, aux plus récentes réformes conduites par Jean-Michel Blanquer rétablissant la semaine de quatre jours dans une immense majorité de communes.Malgré les ajustements successifs - libération du samedi après-midi en 1969, réduction à 26 heures hebdomadaires en 1989, introduction de la semaine de quatre jours en 2008, retour aux neuf demi-journées en 2013 - aucun consensus n'a émergé sur l'impact réel de ces réorganisations sur les performances scolaires.En réalité, les résultats des élèves sont bien plus liés à la qualité de l'enseignement et à la capacité des écoles à repérer et à accompagner les difficultés scolaires dès les premières années de scolarisation, qu'à la simple réorganisation des calendriers scolaires. Ainsi, la véritable question n'est pas tant celle de la répartition du temps que celle de son utilisation.En ce sens, la résistance à anticiper les apprentissages fondamentaux et à investir davantage dans les premières années de scolarisation apparaît comme un frein bien supérieur à l'amélioration de l'équité et de la qualité du système éducatif français. L'enjeu est donc moins de réorganiser le temps que de repenser son efficacité et sa pertinence pédagogique.Offrir aux élèves, et notamment aux plus fragiles, un temps d'apprentissage suffisant pour acquérir les compétences fondamentales est sans doute un levier bien plus puissant que de simples ajustements d'horaires. En ce sens, la résistance à anticiper les apprentissages fondamentaux et à investir davantage dans les premières années de scolarisation apparaît comme un frein bien supérieur à l'amélioration de l'équité et de la qualité du système éducatif français. L'enjeu est donc moins de réorganiser le temps que de repenser son efficacité et sa pertinence pédagogique.Le temps scolaire compte double pour les élèves issus de milieux défavorisésLa question du temps scolaire est indissociable de celle des inégalités sociales. Pour les élèves issus des milieux les plus modestes, chaque heure passée en classe revêt une importance fondamentale, car elle constitue souvent la seule véritable opportunité de combler les écarts éducatifs accumulés en dehors de l'école.Pourtant, notre système éducatif, loin de compenser ces inégalités, tend à les renforcer par une utilisation sous-optimale du temps scolaire. Au sein de notre système éducatif, les élèves les plus fragiles se retrouvent face aux enseignants les moins expérimentés, ceux encore en quête de repères pédagogiques, fraîchement entrés dans la profession. Cette situation découle d'un système d'affectation rigide, fondé sur l'ancienneté, qui ignore largement l'adéquation entre le profil de l'enseignant et les besoins spécifiques des élèves.Ce déséquilibre structurel a des conséquences lourdes, car il prive les élèves les plus vulnérables du levier le plus puissant pour réduire les inégalités : l'effet maître, c'est-à-dire la qualité de l'enseignement. Pour surmonter ce défi, il ne suffit pas de redistribuer les heures d'enseignement, mais d’optimiser l’utilisation du temps scolaire pour en maximiser l’impact. Cela exige de repenser en profondeur notre système d’affectation des enseignants, en plaçant prioritairement les plus compétents là où leur impact sera le plus décisif.Dès lors, sommes-nous prêts à reconnaître que la lutte contre les inégalités scolaires passe avant tout par une gestion plus stratégique des ressources humaines ? Sommes-nous prêts à investir dans les premières années de scolarisation pour garantir à chaque enfant un avenir à la hauteur de ses talents ?Ne pas rouvrir la boîte de Pandore des rythmes scolairesLa question des rythmes scolaires est loin d'être une terra incognita. Les recherches en chronobiologie, les analyses pédagogiques et les comparaisons internationales ont déjà fourni un corpus substantiel de connaissances sur les effets des rythmes sur l'apprentissage et le bien-être des élèves. Les conclusions sont claires et bien établies :- La durée optimale des journées de classe est connue : les spécialistes s'accordent pour dire que les élèves du primaire apprennent mieux avec des journées plus courtes, idéalement de 5h30 maximum, réparties sur 9 demi-journées par semaine. Les plages horaires les plus favorables à l'apprentissage se situant généralement le matin, entre 9h00 et 12h00, puis en fin d'après-midi, à partir de 15h00, lorsque la capacité de concentration des élèves retrouve un second souffle.- L’alternance d’un cycle d'apprentissage régulier, 7 semaines de classe suivies de 2 semaines de repos est reconnue comme l'un des schémas les plus propices à un apprentissage durable.- L'importance du sommeil et de la régularité des rythmes de vie est déterminante pour la mémorisation et la consolidation des apprentissages.Le système éducatif français présente une particularité bien connue : ce n'est pas la durée des vacances d'été qui le distingue, mais le faible nombre de jours de classe sur l'année. Avec environ 162 jours de cours par an, contre 170 à 190 pour la plupart des pays européens, la France se caractérise par une répartition singulière du temps scolaire, marquée par l'importance des congés intermédiaires (Toussaint, Noël, Février, Pâques). Cette organisation conduit à concentrer un volume total de près de 9 000 heures d'enseignement sur l'ensemble de la scolarité obligatoire, bien au-dessus de la moyenne européenne de 7 700 heures. Le résultat est une année scolaire plus courte en nombre de jours, mais plus dense en termes d'heures d'enseignement, créant des journées particulièrement lourdes pour les élèves.Pour la France, le véritable défi ne réside pas tant dans la recherche de nouvelles solutions que dans la capacité à surmonter les résistances politiques, économiques et culturelles qui freinent leur mise en œuvre.Nous le savons, pour la France, le véritable défi ne réside pas tant dans la recherche de nouvelles solutions que dans la capacité à surmonter les résistances politiques, économiques et culturelles qui freinent leur mise en œuvre. Cependant, rouvrir cette boîte de Pandore, c'est risquer de s'enliser dans un débat sans fin, où chaque tentative de réforme se transforme en un compromis sans réelle conviction, accumulant les concessions jusqu'à décevoir toutes les parties.C'est aussi prendre le risque d'une nouvelle guerre scolaire, où les querelles idéologiques paralysent l'action, affaiblissent l'institution éducative et laissent finalement les problèmes fondamentaux sans réponse.Puisons l’espoir que cette convention citoyenne sur les temps de l’enfant puisse être l’occasion de dépasser les corporatismes et les logiques purement techniques, pour ouvrir un véritable débat national à la hauteur des enjeux. Souhaitons qu’elle suscite une réflexion ambitieuse qui ne se contente pas de gérer les horaires, mais qui questionne notre contrat social, notre vision de l’éducation et, en fin de compte, notre projet de société.Copyright Frank PERRY / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneSeptembre 2024Mathématiques à l’école : résoudre l’équationLa France fait face à un déclin en mathématiques, touchant tous les élèves, quel que soit leur milieu. Pour remédier à cette situation, plusieurs axes prioritaires sont proposés, dont la dépolitisation de l'éducation et l'amélioration de la formation des enseignants. Comment la France peut-elle réellement renouer avec l'excellence mathématique dans les prochaines années ?Consultez la Note d'action 10/11/2022 Budget 2024 : Enseignement scolaire - enrayer la crise d'attractivité du mé... Baptiste Larseneur