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14/02/2024

Sonder l’esprit du temps : le baromètre de la confiance politique

Sonder l’esprit du temps : le baromètre de la confiance politique
 Bruno Cautrès
Auteur
Chercheur au CNRS et au CEVIPOF

Les résultats de la 15e édition du Baromètre de la confiance politique du Cevipof viennent de paraître et certains chiffres feraient songer à rebaptiser cette étude le "baromètre de la défiance". Le moral des Français est-il si bas ? Les individus de l’échantillon représentatif se sont vu soumettre le questionnaire en janvier, quelques temps après la nomination de Gabriel Attal au poste de Premier ministre. Quelles sont les leçons qu’offrent ses résultats pour mieux saisir "l’esprit du temps", avant les élections européennes du 9 juin 2024 ? Peut-on malgré tout discerner des dynamiques positives dans le rapport des Français au politique ? Entretien avec Bruno Cautrès qui analyse pour nous les résultats du sondage.

Pourquoi mesurer la confiance politique ?

Initié en 2009 par Pascal Perrineau et largement inspiré de sa lecture de La contre-démocratie. La politique à l'âge de la défiance, de Pierre Rosanvallon, le baromètre de la confiance politique est un indicateur de long cours, fondé sur un échantillon représentatif de 3 514 Français (en 2024), qui offre un suivi longitudinal du rapport des Français à la politique et permet une perspective comparée entre différents pays européens. Ce sondage, réalisé par l'Institut OpinionWay et dont les résultats sont analysés sous la supervision d'une équipe de chercheurs du Cevipof (Bruno Cautrès, Luc Rouban, Gilles Ivaldi et Virginie Tournay) donne des clés de lecture pour mesurer la vitalité démocratique de notre pays. Si le dispositif original était fondé sur des indicateurs très centrés sur la confiance politique, il s’est par la suite enrichi d’indices portant sur le rapport plus spécifique des Français à la démocratie, ainsi que d’une perspective européenne qui compare la France, l’Allemagne, l’Italie ainsi que, pour la première fois dans cette édition 2024, la Pologne.

Que révèle le baromètre sur l’état d'esprit des Français ? En quoi se démarque-t-il de celui de leurs voisins européens ?

Méfiance, lassitude, morosité : ce sont les substantifs que choisissent une majorité de sondés pour qualifier leur état d’esprit général. De ce point de vue, 2024 s’inscrit dans la trajectoire des années précédentes, avec une proportion grandissante de Français - et d’Européens - qui se reconnaissent dans ce triptyque peu engageant et qui ont le sentiment que la France se trouve dans une impasse.

Méfiance, lassitude, morosité : ce sont les substantifs que choisissent une majorité de sondés pour qualifier leur état d’esprit général

Plus prononcée dans l’Hexagone, la  méfiance arrive en tête des sentiments pour qualifier cet état d’esprit général. Par contraste, celui de sérénité reste en tête en Pologne et en Allemagne. La confiance envers les autres - les inconnus ou ceux que l’on rencontre pour la première fois - est aussi très basse, tout particulièrement en France (65 % des sondés français estiment qu’on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres).

En revanche, la famille demeure une valeur sûre (93 % des sondés lui accorde tout à fait ou un peu de leur confiance). Le baromètre mesurait aussi pour la première fois la confiance dans la politique de façon générale. Si les résultats révèlent une défiance politique partagée en Europe, ce sentiment est plus prononcé en France : 70 % des Français déclarent ne pas se fier à la politique - cette proportion concerne 55 % des Italiens et 45 % des Polonais. Interrogés sur leur perception du fonctionnement de la démocratie, les sondés estiment aussi qu’elle va "mal", proportion qui a augmenté de 13 points par rapport à l’année passée. Un niveau de confiance extrêmement bas qu’on ne peut comparer qu’aux chiffres de la mi-mandat de François Hollande ou de la crise du Covid. On note aussi une certaine insatisfaction des Français à l’égard de leur vie privée : 25 % se disent mécontents, 31 % seulement satisfaits, soit un niveau plus faible en France que dans les trois autres pays de l’étude. On ne peut donc pas conclure que, déçus par ce qu’offre la vie politique, les Français se consacreraient tout en entier à leur "bonheur privé". À rebours du discours ambiant, les Français sont d’ailleurs loin d’être indifférents à la vie publique et 50 % des sondés disent au contraire manifester un certain intérêt pour celle-ci (ce chiffre monte à 58 % en Italie et va jusqu’à 77 % en Allemagne).

Que représentent les institutions de proximité pour les Français ? Comment expliquez-vous qu’elles échappent à cette spirale de la défiance qui touche les institutions nationales ?

C’est la proximité qui conditionne en partie la confiance. Cette dernière s’effrite à mesure qu’on s’approche du gouvernement : seuls 28 % des sondés estiment pouvoir faire confiance dans le gouvernement, et plus particulièrement 35 % ont confiance dans le gouvernement de Gabriel Attal, 29 % dans le président Emmanuel Macron.

On n’avait pas observé une telle chute depuis la crise des Gilets jaunes : l’inflation et la guerre en Ukraine constituent un contexte lourd qui peut l’expliquer. La confiance dans les gouvernements est assez faible dans les autres pays également, Olaf Scholz a perdu beaucoup de points depuis les mesures de 2023.

C’est la proximité qui conditionne en partie la confiance

Giorgia Meloni, au contraire, se maintient à un assez bon niveau, 43 %, malgré une légère baisse, et sort gagnante de la comparaison, ce qui la met en position stratégique parmi les dirigeants de l’Union européenne. Cette chute de confiance révèle aussi l’échec du projet d’Emmanuel Macron qui voulait réconcilier les Français avec la politique, en cassant la dynamique de défiance. La confiance dans l’espace public, des partis politiques (20 % de confiance) aux réseaux sociaux (16 % de confiance) en passant par les médias (28 % de confiance), est elle aussi au plus bas. 74 % des Français parlent de "dégoût", de "défiance" ou "d’ennui" pour caractériser leur rapport à la politique, à un niveau moindre que les Allemands mais ces derniers tendent à se rapprocher de ces mauvais chiffres (57 % de sentiments défavorables,  en hausse de 7 %). La confiance est au contraire beaucoup plus forte au niveau local - sans toutefois que ce niveau de confiance ne culmine au zénith. 60 % des sondés ont confiance dans les mairies et les niveaux de confiance sont également bien plus élevés vis -à -vis des acteurs publics qui sont perçus comme proches des citoyens, sur le plan social (hôpitaux, 75 % de confiance) ou régalien (police, 70 %, justice, 45 %).

Si l’on sort du champ strictement politique, on relève une évolution positive des Français vis-à-vis de l'entreprise et des syndicats. Pouvez-vous la décrire et comment l’expliquez-vous ?

On note une remontée de la confiance dans les syndicats, avec un des taux les plus élevés que nous ayons connus ces dernières années : 40 % de confiance, en hausse de 4 %. Le fort engagement lors de la réforme des retraites a rappelé aux Français l'importance des  syndicats. Avec deux nouvelles figures - féminines, jeunes - à la tête de la CGT et de la CFDT, comment capitaliser sur cette confiance (relative) retrouvée ? Renouer le dialogue avec les corps intermédiaires demeure très important.

On note une remontée de la confiance dans les syndicats, avec un des taux les plus élevés que nous ayons connus ces dernières années

Autre point intéressant concernant les entreprises : l'idée selon laquelle il faut les contrôler et les réglementer est plutôt en déclin, alors que la dynamique inverse - leur faire confiance et les laisser se développer - est en progression chez les Français : ils sont 57 % à estimer qu’il faut que l'État fasse confiance aux entreprises et leur donne plus de liberté. Ces chiffres sont encore plus marqués en Allemagne : 66 %, en hausse de 11 %.

On observe également un regain d’affection pour les petites et moyennes entreprises : 79 % des sondés leur accordent leur confiance, à rebours d’une vision selon laquelle, face aux crises, les Français ne chercheraient que la protection et la stabilité qu’offre le statut de fonctionnaire ou de salarié en CDI, les Français se tournent vers les PME. 30 % des Français déclarent ainsi qu’ils auraient monté leur entreprise artisanale s’ils l’avaient pu. On lit sans doute dans cette tendance l’effet post COVID d’une génération qui a pris du recul et qui a revu son projet de vie, mais pas seulement : cette aspiration à la PME témoigne, comme le souligne Luc Rouban, du ressentiment à l’encontre d’un système asymétrique, qui exige des sacrifices sans les rétribuer, et d’institutions défaillantes, incapables de concrétiser les promesses de la méritocratie. Alors que l’importance accordée au diplôme est perçue comme excessive, la PME apparaît à la "France qui va mal" comme un moyen de déverrouiller un ascenseur social paralysé et de répondre au besoin "d’agir par soi-même".

À quelques mois des élections européennes, quelle perception les Français ont-ils de l’Union européenne et des institutions européennes ?

Les sondés donnent leur faveur à la logique d’ouverture et on relève une vraie demande de modernité. Les Français sont conscients qu’il faut réaliser l’intégration européenne et mondiale, ce qu’on retrouve en partie dans la séquence électorale de 2017 et le désir de renouveau et de réforme. 37 % des sondés français disent ainsi avoir confiance dans les institutions de l’Union européennes, en hausse de 2 %. Les discours souverainistes durs ne sont pas prégnants malgré le retour du thème de la souveraineté dans le débat public, et le RN l’a compris, qui a délaissé la promotion d’un "Frexit", même si la fermeté quant aux questions migratoires reste porteuse politiquement et assez soutenue dans l’opinion. Il y a là un paradoxe français, le désir d’ouverture économique va de pair avec une volonté de repli marquée sur les questions migratoires, l’ambition que la France porte un message au monde avec l’inquiétude face à l’étranger et la demande de contrôle des frontières.

Remontée des syndicats, prévalence d’un sentiment européen, volonté d’engagement local : si l’état d’esprit général est donc morose, certaines dynamiques plus positives se lisent donc et leurs ressorts mériteront d’être approfondis et comparés avec les autres pays européens de l’étude.

Le désir d’ouverture économique va de pair avec une volonté de repli marquée sur les questions migratoires

Propos recueillis par Hortense Miginiac
Copyright image : EMMANUEL DUNAND / AFP

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