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15/12/2023

Scénographies pour l'OTAN, par-delà la guerre nucléaire

Scénographies pour l'OTAN, par-delà la guerre nucléaire
 Cédric Ménissier
Auteur
Chargé de projets - Études France

La Finlande, pays pourtant historiquement neutre, a récemment rejoint l’OTAN, alors que nous nous acheminons vers le deuxième anniversaire de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine. Contexte douloureux qui rappelle combien la protection et la défense des Européens sont cruciales. Le crescendo des crises, Géorgie en 2008, Crimée en 2014, Ukraine en 2022, a rebattu les cartes de l’Alliance atlantique qui, au-delà de l’adynaton que constituerait une guerre nucléaire, a ajusté ses capacités opérationnelles en vue d’une dissuasion efficace. 

Néanmoins, l’OTAN, portée sur les fonts baptismaux par les prémisses de la Guerre froide en 1949, a-t-elle encore les moyens de ses objectifs ? Quelle est la place des valeurs libérales et démocratiques dans une organisation qui, au-delà du militaire, est aussi politique, mais qui est minée par ses dissensions internes ? Dans quelle mesure les Américains restent-ils indispensables et quel rôle les Européens doivent-ils jouer ? Entretien avec Cédric Ménissier, qui revient sur l’histoire récente d’une organisation soumise à rude épreuve. 

Quelle est la spécificité de la dissuasion nucléaire parmi le reste de la politique de dissuasion ? Dans quelle mesure la dissuasion nucléaire est-elle encore un outil de l’OTAN ? 

La stratégie nucléaire a été intégrée à l’Alliance atlantique dès ses origines et est sous-entendue par l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord du 4 avril 1949, selon lequel toute attaque dirigée contre l’un des membres sera considérée comme une attaque contre l’ensemble des partenaires atlantistes. L’arsenal nucléaire américain assure ainsi la protection de l’Europe occidentale, selon le concept de "dissuasion élargie", le Royaume-Uni et la France étayant également le dispositif par leurs propres forces nucléaires, qui restent néanmoins sous leur souveraineté exclusive. 

Toutefois, une politique de dissuasion efficace est une stratégie de non-emploi de ces ressources matérielles puisqu’elle est avant tout une relation sociale. L’arsenal nucléaire n’est donc qu’un des éléments de la dissuasion, basée sur un critère matériel et intégrée dans un jeu psychologique, un discours, un art de la petite phrase et une stratégie de communication, dont l’adversaire peut venir tester la crédibilité de manière plus ou moins frontale.

Sous le seuil nucléaire, les acteurs bénéficient toujours d’une certaine liberté d’action, qu’elle soit conventionnelle ou irrégulière. Les manœuvres irrégulières comprennent tous les aspects non militaires, comme la désinformation, le parrainage d’organisations déstabilisatrices ou contestataires (internationales des droites extrêmes), le maintien d’une pression économique avec le gaz… Cela s’inscrit en Russie dans la doctrine Guérassimov - du nom du Chef d’état-major des armées russes depuis 2012 -, selon laquelle l’affrontement avec l’Occident passe avant tout par une guerre hybride qui consiste à faire précéder toute offensive militaire par une attaque des opinions publiques, dans une optique de durcissement du potentiel contestataire. On le constate notamment en Estonie ou en Lettonie, pays dans lesquels Moscou mène d’intenses campagnes de communication à l’égard des minorités russes et russophones.

La conflictualité est donc loin de se limiter au terrain militaire. 

Quels sont les ressorts de la dissuasion conventionnelle ? Est-elle seulement matérielle ? 

Le facteur matériel est l’élément fondamental sur lequel repose la dissuasion, surtout en matière nucléaire. Cet aspect est également important concernant la dissuasion conventionnelle. Ces deux dissuasions ne sauraient cependant être opposées, car elles doivent s’intégrer dans une stratégie d'ensemble, au sein de laquelle le facteur psychologique est également primordial. L’article 5 du traité de Washington, énonçant le principe de la solidarité interalliée, en vertu duquel l’attaque contre l’un des membres est synonyme d’attaque contre l’ensemble de l’Alliance, ne spécifie d’ailleurs pas l’exclusivité d’une réponse nucléaire, ni même militaire.

À partir de 2014, la politique de dissuasion à l’égard des membres orientaux de l’Alliance se mue en une politique de défense plus active, par un renforcement de son potentiel conventionnel. L’OTAN se concentre sur son flanc oriental et communique largement sur les nouveaux dispositifs mis en place, dans le double objectif de prévenir ses adversaires - la Russie - de ce à quoi ils s’exposent en cas d’attaque, et de rassurer ses membres orientaux, qui demandent des garanties.

Le troisième angle de la dissuasion, en sus de la dissuasion nucléaire et conventionnelle, est une dissuasion plus politique, que l’on pourrait dire être une dissuasion par les valeurs.

Le troisième angle de la dissuasion, en sus de la dissuasion nucléaire et conventionnelle, est une dissuasion plus politique, que l’on pourrait dire être une dissuasion par les valeurs.L’Alliance atlantique est une organisation politico-militaire, dont l’OTAN n’est que le bras armé. Le traité fondateur énonce combien les valeurs démocratiques et libérales sont constitutives de l’identité de l’Alliance et rappelle que cette dernière est le regroupement des forces démocratiques occidentales. Bien sûr, cela s’entend dans le contexte historique très particulier de la Guerre froide, mais ces valeurs sont une nouvelle fois la preuve que la dissuasion est une relation sociale, qui, comme toute relation sociale, consiste en une pratique de différenciation. Dans le cas de l’Alliance atlantique, la promotion et la défense de certaines valeurs participent à affermir l’édifice global de la dissuasion, cette dernière visant en retour à protéger l’espace euro-atlantique et ses principes. Ces valeurs sont au fondement de la cohésion interalliée. La centralité des valeurs dans la stratégie de dissuasion Alliée est acquise notamment à la faveur de la stratégie militaire russe, qui vise à saper la cohésion de l’OTAN en contestant les principes mêmes de l’organisation. De fait, tout comme les aspects nucléaires et conventionnels, les valeurs sont intégrées dans le jeu psychologique de la dissuasion.

À partir de 2014, l’OTAN remet ces valeurs démocratiques et libérales au cœur de son arsenal : elles figurent en tête de tous les communiqués, sont énoncées à chaque réunion, avant même que ne soit rappelé l’objectif défensif. Cette dissuasion par les valeurs est difficilement quantifiable mais elle se veut centrale, car elle participe à l’identité de ce qu’est l’Alliance atlantique. Toute contestation - interne ou externe - des valeurs fondamentales de l’Alliance fragilise en retour sa capacité dissuasion.

Géorgie, Crimée, Ukraine : quel est l’impact des récentes crises sur le fonctionnement de l’OTAN ?

Ces guerres aux frontières de l’OTAN proviennent d’une relecture par le pouvoir russe de la chute de l’Union soviétique et de la décennie 90, qui, entre le chômage de masse et la perte de l’empire, fut une décennie noire pour l'économie et a été vécue comme une véritable humiliation par la Russie. Quelques rapprochements en dents de scie entre l’OTAN et la Russie ont bien été tentés, mais le pouvoir poutinien s’est raidi contre l’Occident à partir de 2007, en dénonçant notamment l’unilatéralisme américain.

Le regain des crispations s’est traduit par les guerres de Géorgie en 2008 et par la réforme militaire d'ampleur menée la même année. L’armée russe, une fois tirées les conclusions de ses échecs en Tchétchénie (en guerre de 1994 à 1996 puis de 1999 à 2000), s’est rendue, par sa professionnalisation, plus opérationnelle - du moins, tel était l’objectif -, au prix d’investissements colossaux financés grâce aux exportations d'hydrocarbures. Pourtant, l’OTAN, qui avait promis à la Géorgie un avenir en son sein lors du sommet de Bucarest en avril 2008, s’est contentée de condamner l’agression sans intervenir. Cette guerre imprévue n’a pas remis en cause le désir de normaliser les relations avec la Russie, et l’Occident a ravalé cette offensive aux portes de l’Europe à un simple conflit post-soviétique. 

En 2014, avec l’annexion de la Crimée et l’éclatement de la guerre sépartiste financée par la Russie dans le Donbass, l’OTAN a constaté que, malgré l’antécédent géorgien, elle s’était de nouveau laissée surprendre. On n’était pourtant pas sans ignorer que le projet révisionniste de Vladimir Poutine dépassait largement les frontières de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. En 2022, lors de l’invasion du 24 février, l’OTAN s’est une nouvelle fois laissée prendre de court.

Avec l’annexion de la Crimée et l’éclatement de la guerre sépartiste financée par la Russie dans le Donbass, l’OTAN a constaté [qu'elle] s’était de nouveau laissée surprendre.

Ce manque d’anticipation stratégique se comprend au regard des dissensions internes : entre 2014 et 2016, l’OTAN a été scindée entre deux priorités : la lutte contre le terrorisme sur le flanc méridional et la prise en compte du révisionnisme russe sur le flanc oriental. Ce sont les guerres russes de 2008, 2014 et 2022 qui ont obligé l’OTAN a remettre au centre du jeu les pays d’Europe centrale et orientale. Leur adhésion à l’OTAN n’avait par ailleurs rien d’évident : avant les années 1990, ils étaient même des ennemis et leur revirement au sein du giron occidental n’était pas écrit. Il ne se comprend d’ailleurs pas seulement par un besoin des garanties américaines de sécurité, mais a été la manifestation d’un fort désir d’Europe, que l’OTAN a accepté par pragmatisme, tout en sachant que la contribution sécuritaire réelle de ces nouveaux venus, à l’économie rien moins que florissante, était incertaine.

Peu à peu, néanmoins, les pays d’Europe centrale et orientale ont voulu se détacher de leur image de simples consommateurs de sécurité, et ont élargi leur participation à la sécurité collective à des dimensions non militaires. L’Estonie s’est ainsi spécialisée, de manière précoce, dans le cyber, la Lituanie dans l’énergie et la Lettonie dans la communication stratégique. 

Comment ont évolué les moyens opérationnels de l’OTAN ces dernières années ? 

Depuis l’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale se pose la question de la "juste suffisance" des moyens militaires pour les défendre en cas de crise, c’est-à-dire de la capacité de répondre aux besoins opérationnels. Lors du Sommet de Newport en septembre 2014, un Plan d’action réactivité ("Readiness Action Plan") a été mis en place, contenant des mesures d'assurance et d’adaptation et modifiant le dispositif oriental de défense. Ce plan avait pour souci de prendre en comptel’Acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelles, signé avec la Russie en 1997, qui engage l’OTAN à ne déployer ni armes nucléaires, ni base, ni stationnement permanent dans de nouveaux États membres. Les Alliés occidentaux de l’Alliance - comme la France - sont en effet particulièrement soucieux de respecter l'Acte fondateur, dans une optique mêlant fermeté et ouverture à l'encontre de la Russie, là où les Alliés orientaux - comme la Pologne et les trois pays baltes -, jugeant que la Russie ne respecte pas sa part du contrat, estiment que l'OTAN pourrait aller plus loin dans le renforcement des moyens militaires censés les protéger. 

Depuis l’adhésion des pays d’Europe Centrale et Orientale se pose la question de la "juste suffisance" des moyens militaires pour les défendre en cas de crise.

On constate donc que les forces opérationnelles de l’OTAN sur le flanc oriental, tout en respectant formellement les engagements de 1997, s’agrandissent. La Force de réaction de l'OTAN ("NATO Response Force") passe de 12 000 à 40 000 hommes et, en son sein, une "Very high readiness joint task force", force capable de se projeter encore plus rapidement (en deux à trois jours), est créée. On insiste davantage sur le niveau de réactivité et de préparation requis, chaque pays doit s’engager à investir 2  % de son PIB dans sa défense nationale.

Le sommet de Varsovie, en 2016, entérine la création d’une "Présence avancée renforcée " ("Enhanced Forward Presence", eFP), composée de bataillons multinationaux déployés en Pologne, en Estonie, en Lettonie et en Lituanie. Cette mesure phare prouve l'influence croissante des pays orientaux dans le processus de décision et montre une militarisation de la dissuasion sur le flanc Est. Elle respecte formellement l’Acte fondateur car cette présence fonctionne selon un principe de rotation. On assiste ainsi au recentrage du cœur stratégique et historique de l’OTAN, à savoir la protection de son flanc Est.

Quelle est la place des États-Unis dans l’Otan aujourd’hui ? Dans quelle mesure l’engagement américain dépend-il des élections à venir ? 

À la suite de l’invasion de la Crimée en 2014, Barack Obama avait entrepris une grande tournée en Europe centrale et à Varsovie, au cours de laquelle il avait renouvelé à la Pologne l’assurance du soutien américain par l’European reassurance initiative mais dans le cadre de promesses bilatérales seulement et non pas dans celui de l’OTAN. 

Après 2014, la seule réponse immédiate de l’OTAN stricto sensu a été la suspension de la coopération militaire avec la Russie et le renforcement de la Baltic Air Policing, mission de police du ciel au-dessus des pays baltes ; tous les engagements sécuritaires et discursifs des pays membres de l’OTAN en faveur de leurs Alliés orientaux dans le contexte de la guerre en Ukraine ont été pris sur une base bilatérale. Il faut ainsi plus de six mois aux Alliés pour s’organiser collectivement à l’agression russe en Ukraine, à Newport, en modifiant l’ordre du jour prévu initialement pour le sommet.

Primus inter pares, les États-Unis ont dans l’OTAN une place centrale, ce qui se comprend à travers l’histoire de l’Alliance mais aussi en raison de l’importance des moyens que Washington consacre à son outil militaire, et sur un plan plus symbolique, en termes d’incarnation politique. 

Donald Trump a eu beau appeler à une pacification des relations avec la Russie lors de sa campagne de 2016, il a mené, une fois au pouvoir, une politique dure à son encontre. 

Néanmoins, dans la continuité du mandat d’Obama, il s’est détourné de l’Europe pour s’impliquer davantage dans sa relation antagoniste avec la Chine et a exercé une sorte de chantage à l’encontre de ses partenaires européens auxquels il a reproché de ne pas "partager le fardeau". Il a exigé de chaque pays membre de l’OTAN qu’il consacre 2 % de son PIB à ses dépenses militaires. En 2014, seuls trois pays le respectaient (les États-Unis, la Grèce et le Royaume-Uni). En 2021, seulement 12 membres - sur 30 - ont tenu cet engagement, notamment la Pologne et les trois pays baltes.

Les États-Unis souhaitent par ailleurs que l’OTAN renforce ses liens avec ses alliés de la zone Indopacifique, tels que l’Australie, la Corée du Sud, le Japon ou la Nouvelle-Zélande, pays déjà considérés comme des partenaires. Se pose la question de la Chine et de ses ambitions - notamment dans le détroit de Taiwan - alors que le pays est désormais considéré comme un "défi systémique" depuis l’adoption du nouveau Concept stratégique lors du sommet de Madrid, en juin 2022. Si trois Alliés - les États-Unis, la France et le Royaume-Uni - disposent de territoires dans cette zone, l’approche française est plus prudente, refusant par exemple la proposition américaine d'ouvrir un bureau de liaison de l’OTAN au Japon en juin 2023.

Les Américains voudraient même étendre l’Alliance atlantique au Pacifique.

Dans l’hypothèse d’un retour de Donald Trump à la Maison Blanche, sa réaction serait - mais c’est presque pléonasmique que de le dire - imprévisible. Les Républicains font dès à présent pression pour un désengagement en Ukraine. Peut-être, face à l’offensive MAGA, l’Europe serait-elle donc bien inspirée de remettre sur le métier la question d’assurer elle-même sa défense… Pour cela, les pays d’Europe occidentale, comme la France, devraient davantage intégrer les considérations de leurs Alliés orientaux. Ces derniers, au premier rang desquels la Pologne, pourraient revoir l’importance qu’ils accordent à l’alliance avec les États-Unis, pourtant constitutive de leur sécurité nationale depuis la fin de la Guerre froide et considérée comme l’assurance de leur existence.

Peut-on dire que l’OTAN est une communauté de valeurs, une communauté politique, et dans quelle mesure cela représente-t-il un facteur d’attractivité ou de puissance ? En d’autres termes, serait-il erroné d’évoquer un "softpower" de l’OTAN ? 

C’est la limite et le dilemme de l’OTAN, cette organisation politico-militaire qui ne saurait être strictement réductible à sa dimension sécuritaire, et où le politique occupe une position centrale. C’est bien parce que l’Europe et les États-Unis partagent non seulement des intérêts mais aussi des valeurs que l’Alliance n’a pas été dissoute après l’effondrement de l’URSS. Malgré de réelles considérations sécuritaires, ces valeurs sont également un facteurs de rapprochement avec la Finlande et la Suède, pays historiquement neutres, qui ont souhaité rejoindre l’Alliance. 

Néanmoins, cette affirmation des valeurs libérales et démocratiques est aussi cause de contradictions : si rejoindre l’OTAN était une sorte de récompense pour la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie dans les années 1990, par laquelle l’Occident reconnaissait les efforts de démocratisation qui avaient été entrepris, l’organisation semble aujourd’hui se confronter à ses incohérences. La Turquie, consciente que l’OTAN a plus besoin d’elle que l’inverse (l’armée turque, avec 800 000 hommes, est la deuxième de l’OTAN en termes de nombre d'hommes, après les États-Unis), mène une politique de funambule avec la Russie, à qui elle a notamment acheté son système de défense anti-aérien S400 en 2017. Ankara se pose par ailleurs fréquemment en arbitre entre la Russie et l’OTAN.

La Hongrie est très loin de respecter le libéralisme tant promu par l’OTAN, et la Pologne, jusqu’à la récente victoire de Donald Tusk, faisait aussi partie des mauvais élèves.

De même, la Hongrie est très loin de respecter le libéralisme tant promu par l’OTAN, et la Pologne, jusqu’à la récente victoire de Donald Tusk et sa nomination au poste de président du Conseil des ministres, faisait aussi partie des mauvais élèves, alors que les dirigeants polonais du PiS se présentaient comme les hérauts de la dénonciation du régime de Loukachenko au Bélarus, en présentant par opposition la Pologne comme un modèle démocratique. La crédibilité d’accusations proférées par des dirigeants accusés par ailleurs, en interne et par leurs partenaires européens, de dérives autoritaires, est ainsi remise en cause. La réalité d’une Alliance atlantique comme club des démocraties libérales occidentales l’est tout autant, démontrant ainsi que le renouveau de la rhétorique centrée sur les valeurs était en partie une mise en scène destinée à démontrer une supposée unité de l’Alliance.

Le contexte du scandale provoqué par le constat polémique d’Emmanuel Macron selon lequel l’OTAN était en état de "mort cérébrale" en novembre 2019 est-il encore d’actualité ? Dans quelle mesure l’invasion de l’Ukraine a-t-elle rebattu les cartes ? 

La guerre en Ukraine a été à partir de 2014 l’occasion de mettre en scène l’unité des membres de l’OTAN mais en réalité, les divisions sont nombreuses, y compris quant aux positions relatives à la Russie. La "petite phrase" d’Emmanuel Macron était une provocation dont le mérite a été de souligner l’importance d’une politique d’autonomie stratégique européenne et de dénoncer le rôle ambigu d’Ankara.

L’OTAN a néanmoins pris des mesures après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine débutée le 24 février 2022, notamment concernant les sujets de défense territoriale. Dans le cadre de la Présence avancée renforcée, les bataillons multinationaux sont devenus des brigades, passant de 1 000 à 3 000 hommes, et le dispositif s’est étendu à la Bulgarie, à la Hongrie, à la Roumanie et à la Slovaquie. La France y participe désormais activement, elle est même nation-cadre en Roumanie, pour la mission Aigle, et est présente en tant que simple participante pour la mission Lynx en Estonie.

L’adhésion de la Finlande et de la Suède en 2022, dont les politiques de neutralité, même pendant la Guerre froide (qui ne signifiait toutefois pas leur équidistance entre le camp libéral et le camp communiste) étaient ancrées dans le temps long, traduit bien un changement d’époque. Ces pays se reconnaissent dans les valeurs de l’OTAN face à une Russie autoritaire et agressive envers ses voisins. C’est désormais la frontière entre la Finlande et la Russie qui est la plus grande ligne de démarcation entre l’OTAN et la Russie, depuis qu’Helsinki est devenue le 31e Allié le 4 avril 2023.

L’adhésion de la Suède pose encore question car la Turquie (à la suite de la Hongrie) s’y oppose, à la suite de, censément, la profanation d’un Coran par un Irakien réfugié en Suède en juin 2023, mais aussi en guise de protestation contre l’asile accordé à plusieurs membres de la communauté kurde par Stockholm. Tout cela n’est qu’un prétexte visant à dénoncer une insuffisante prise en compte des intérêts sécuritaires turcs selon Ankara (notons au passage que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté une résolution de "Lutte contre la haine religieuse constituant une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence" le 12 juillet 2023, en réaction aux événements en Suède).

L’adhésion de la Finlande et de la Suède en 2022 [...] traduit bien un changement d’époque.

propos recueillis par Hortense Miginiac

Copyright image : SIMON WOHLFAHRT / AFP

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