AccueilExpressions par MontaigneRécits divergents, lentilles déformantes : l'action climatique de la France et de la Chine au prisme...L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.18/09/2024Récits divergents, lentilles déformantes : l'action climatique de la France et de la Chine au prisme des médias Asie EnvironnementImprimerPARTAGERAuteur Séverine Bardon Journaliste, enseignante à Sciences-Po et chercheuse à la France China Climate Initiative Auteur Irène Hors Directrice de la France China Climate Initiative et Cofondatrice de la Fondation France-Asie Protectionnisme économique indu ou concurrence déloyale ? La Chine et la France, si elles partagent une conscience aiguë de l’impérieuse nécessité à agir dans le domaine des politiques climatiques, se livrent à une bataille des récits déformante, au risque de l’objectif politique qu’elles poursuivent. Comment les médias respectifs rendent-ils compte de l’agenda climat des deux pays ? Comment répondre au déficit de confiance qui entache le partenariat France-Chine ? Analyse de Séverine Bardon et Irène Hors, à partir de leur vaste étude pour la France China Climate Initiative. L'importance d'une coopération soutenue sur l'atténuation du changement climatique est l'un des rares sujets à propos duquel la France et la Chine paraissent s’entendre. Entre 2007 et 2024, les deux pays ont publié neuf déclarations et accords administratifs sur ce sujet, et y ont fait référence dans quatre déclarations plus générales.Les médias ne se font toutefois pas les relais de cette harmonie officielle. L'analyse des publications dans des médias qui, en France et en Chine, traitent de l'action climatique dans chacun des pays révèle des biais, des lacunes et des distorsions d'information.L'importance d'une coopération soutenue sur l'atténuation du changement climatique est l'un des rares sujets à propos duquel la France et la Chine paraissent s’entendre.Il est bien sûr impossible de comparer une presse libre et une presse soumise aux directives du Parti communiste chinois (PCC). Néanmoins, aussi différentes que soient la liberté journalistique ou les contraintes économiques et politiques de part et d'autre, les médias d'informations des deux pays remplissent le même rôle : informer, et éventuellement influencer, l'opinion publique.Nous avons donc analysé des publications comparables, ayant des publics cibles similaires : Xinhua (新华社) et l'AFP parce qu'ils infusent l'ensemble de la couverture médiatique dans leur pays respectif ; le Quotidien du Peuple (人民日报) et Le Monde, parce qu'ils ciblent tous deux les fonctionnaires, les cadres et les lecteurs intéressés par les affaires publiques ; le Quotidien économique (经济日报) et La Tribune, largement lus par les acteurs économiques ; le Global Times (环球时报) et Le Figaro, pour inclure des titres qui visent un lectorat plus orienté. Les articles chinois sélectionnés portent soit sur la France, soit sur l'UE, étant donné que les politiques de Bruxelles s'appliquent également à la France. En 2023, les quatre médias français ont publié 78 articles sur l'action climatique de la Chine, tandis que les titres chinois ont consacré 58 articles à l'action de la France ou de l'UE. Une fois analysée, cette sélection révèle de l'image que les lecteurs français ont de l'action climatique chinoise, et vice versa.Le public chinois a accès à une information plutôt substantielle concernant les législations climatiques françaises et européennes grâce à la couverture suivie des politiques environnementales par Xinhua et le Quotidien du Peuple. Mais il est également abreuvé en articles qui caricaturent l'action climatique d’une Europe qui serait avant tout animée par des objectifs protectionnistes à l’encontre d’une Chine victime de discrimination économique. Ce parti-pris des médias chinois est clair : sur les 58 articles sélectionnés en fonction de leur référence au changement climatique, 14 se concentrent sur les conséquences économiques des politiques climatiques de la France et de l'Europe, présentées comme néfastes pour la Chine. Le très nationaliste Global Times est le promoteur le plus évident de cette ligne éditoriale. Ses articles dénoncent une "stratégie perdant-perdant" et préviennent que "si l'UE enquête sur les entreprises chinoises dans les domaines de l'énergie éolienne, des véhicules électriques ou de l'énergie solaire, puis impose des droits de douane punitifs, elle se heurtera à des contre-mesures de la part de la Chine, au préjudice même des entreprises européennes et surtout des progrès de l'industrie verte de l'UE". Ils assimilent systématiquement l'augmentation potentielle des droits de douane de l'UE à des comportements protectionnistes contrevenant aux règles de l'OMC. On trouve des articles similaires dans l'Economic Daily, qui dénonce le Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Europe comme une mesure de "protectionnisme vert", "qui enfreint probablement les principes de l'OMC" et qui pourrait "provoquer un chaos commercial et tirer l'économie européenne vers le bas". Le ton devient même menaçant lorsqu'il est question des politiques de l'UE en matière de véhicules électriques. "Enquête sur les véhicules électriques chinois ? Une arme à double tranchant pour l’Europe", prévient le Global Times, tandis que l'Economic Daily dénonce un "acte de protectionnisme pur et dur".Si les médias chinois se concentrent sur la concurrence déloyale, ils laissent de côté les objectifs de décarbonation qui guident les politiques française et européenne et passent sous silence les actions de la France et de l'UE sur la scène internationale, leur rôle diplomatique et leurs initiatives de coopération. Paris et Bruxelles ne sont donc pas présentés comme des acteurs et encore moins comme des modèles en matière d'initiatives de décarbonation, mais plutôt comme des figurants aux prises avec des événements internationaux sur lesquels ils ont peu de contrôle : la plupart des articles mentionnant le Pacte vert de l'Union européenne par exemple le décrivent en fait non pas comme une décision proactive de l'UE pour réduire son empreinte carbone, mais comme une mesure de défense économique en réponse à l’Inflation reduction Act américain.Les lecteurs français ont moins accès aux détails de l'action climatique de la Chine, qui n'est pas systématiquement couverte par les médias grand public. Au lieu de mener un suivi régulier des politiques, les publications françaises s'efforcent de décrypter la stratégie climatique de la Chine. Le tableau qu'elles dressent souligne les contradictions dans les politiques de Pékin : la Chine est à la fois décrite comme un leader dans le domaine des énergies renouvelables et comme le seul pays au monde à augmenter sa capacité de production d'électricité à partir de charbon.Si les médias chinois se concentrent sur la concurrence déloyale, ils laissent de côté les objectifs de décarbonation qui guident les politiques française et européenne et passent sous silence les actions de la France et de l'UE sur la scène international.Un article du Monde, intitulé "La Chine, championne des énergies renouvelables... et accro au charbon", résume parfaitement cette perception ambivalente. Lorsqu'il s'agit d'évaluer la capacité de la Chine à atteindre ses objectifs en matière d'émissions de carbone, les articles français peuvent également aller dans les deux sens : alors que Le Monde publie un article soulignant que "la Chine a le plus grand mal à suivre la trajectoire fixée", Le Figaro loue la "vitesse vertigineuse" avec laquelle le pays s’est doté de capacités d'énergie renouvelable, qui lui "ont pratiquement assuré de faire baisser la production d'électricité à partir de combustibles fossiles et les émissions de CO2 en 2024".L'ambivalence prévaut également en ce qui concerne le positionnement international de la Chine. Toutes les publications françaises sélectionnées reconnaissent le poids du pays dans les négociations internationales et sa forte influence sur les pays du "Sud Global". Mais elles soulignent également que Pékin privilégie le développement économique au détriment de l'atténuation des effets du changement climatique.Ainsi, comme son homologue chinoise, la presse française se concentre largement sur l'impact économique des politiques climatiques (19 articles sur 78). Tandis que les Chinois dénoncent l'hypocrisie de l'UE dans son refus d'acheter des produits chinois bon marché qui contribueraient à la décarbonation, les médias français véhiculent une vision négative de l'impact de la course aux technologies vertes sur l'économie et la souveraineté de l'UE. Ils pointent également l'existence d'un avantage concurrentiel chinois considéré comme injuste et susceptible de ruiner les capacités de production européennes en matière de véhicules électriques et d'énergies renouvelables.De quoi dépend la manière dont les médias racontent l'histoire des actions climatiques d'un pays ? De l’accès à l'information, de l’intérêt présumé des lecteurs, de la ligne éditoriale fixée par les instances auxquelles les médias doivent rendre des comptes et qui reflètent le système politique du pays. Ce qui est certain, c’est qu’une couverture médiatique plus complète et moins partiale de l'action climatique contribuerait positivement à l'engagement collectif mondial contre le changement climatique et constituerait une base solide pour la coopération bilatérale. Un meilleur accès à l'information sur les politiques mises en œuvre en Chine, sur leur impact et les défis qu'elles posent, permettrait de donner une image plus précise de la situation du pays. Signaler, en Chine, en quoi les mesures mises en place par l'Union européenne réduisent les émissions de gaz à effet de serre pourrait favoriser une dynamique positive, alors que diffuser l'idée que l'Union européenne instrumentalise son action climatique en faveur de son économie teinte de cynisme les efforts mondiaux pour freiner le réchauffement climatique. De même, mieux faire connaître aux lecteurs combien les deux puissances œuvrent de concert dans les forums internationaux et les discussions officielles de haut niveau contribuerait à limiter la "politisation" du changement climatique.Étant donné le coût politique et économique des mesures visant à atténuer le changement climatique, la sensibilisation à l’action menée par d’autres pays est susceptible d'influer sur la manière dont les gouvernements et les populations dosent leurs efforts.On peut comparer la dynamique collective qui sous-tend l'atténuation du changement climatique au "dilemme du prisonnier", en s’inspirant des travaux de William Nordhaus, lauréat du prix Nobel d'économie en 2018, qui a été l'un des premiers à lire les négociations internationales sur le climat à travers le prisme du dilemme du prisonnier. Étant donné le coût politique et économique des mesures visant à atténuer le changement climatique, la sensibilisation à l’action menée par d’autres pays est susceptible d'influer sur la manière dont les gouvernements et les populations dosent leurs efforts.À l'heure où les pays engagés dans les accords de Paris travaillent sur leur premier Rapport biennal sur la transparence ainsi que sur la mise à jour de leur Contributions déterminées au niveau national, répondre au déficit de confiance qui entache le partenariat France-Chine n'a jamais été aussi crucial.Copyright image : Jeff PACHOUD / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneFévrier 2024Énergie : des atouts à valoriserL'Institut Montaigne met en avant cinq filières énergétiques vitales pour la transition en France, appelant à des décisions politiques éclairées. 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