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11/03/2024

Préparons proactivement l’Europe à la révolution de l’IA

Préparons proactivement l’Europe à la révolution de l’IA
 Aiman Ezzat
Auteur
Directeur général, Capgemini
 Paul Hermelin
Auteur
Président du conseil d’administration, Capgemini

Ces derniers temps, les IA ont été largement diffusées avec une compréhension variable de ce que leur développement massif auprès du grand public et des entreprises pouvait impliquer. À l’aune de cette  nouvelle révolution industrielle,  enthousiasmes et inquiétudes se manifestent conjointement. Apports pour la productivité et la créativité, opportunités industrielles, nouveaux modes d’interactions mais aussi menaces pour la souveraineté, risques sociaux et exigences de gouvernance : la France et l’Europe doivent se montrer à la hauteur d’enjeux cruciaux. Quels instruments pour y faire face sereinement, exploiter le potentiel et prévenir les mésusages ? Comment mobiliser les talents nécessaires ? Quel rôle doit être joué par l’école et l’éducation ?

Dans notre grande tradition de débat, cette tribune, que co-signent Paul Hermelin, Président du Conseil d’Administration de Capgemini et membre du comité directeur de l’Institut Montaigne, et Aiman Ezzat, directeur général de Capgemini, se veut une réponse à la note d’action de l’Institut Montaigne, Pour une Autorité française de l’IA, qui plaidait en faveur d’une orchestration des acteurs impliqués. Elle souligne le risque qu’il y aurait à  considérer en priorité une régulation et la gouvernance au détriment de l’innovation et du développement d’une IA européenne et française.

"IA anxiété", "Les IA pourraient prendre le contrôle", "L’intelligence artificielle serait aussi dangereuse que les pandémies ou la guerre nucléaire", "droits humains gravement menacés par l’IA"… Depuis quelques mois, la majorité des articles de presse mettent en avant les risques liés à l’intelligence artificielle - technologie qui est en fort développement depuis la fin de ce qu’on a appelé "l’hiver de l’IA" mais dont la puissance a été "révélée" lorsque ChatGPT a été brutalement mis à la disposition du grand public à la fin de 2022. Des articles ont souligné les risques de reproduction et d’amplification de stéréotypes, d’erreurs factuelles grossières, de la possibilité d’un enfermement cognitif à la désinformation, de renforcement de la cybercriminalité ou d’usage de scoring social. Et c’est légitime. Les questions de propriété intellectuelle, de "voracité" énergétique de ces outils, les exemples de services clients (les fameux Chatbots) qui divergent font prendre conscience du nécessaire contrôle des IA. Et il faut continuer à documenter ces risques. Mais ne soyons pas naïfs : les papiers alarmants sont plus "vendeurs" que les analyses à froid et plus équilibrées. Ils nourrissent une "technophobie" grandissante et in fine alimentent… le populisme ! Au total, on cache que l’IA est aujourd’hui la partie visible, ou annonciatrice, d’une nouvelle révolution industrielle, ou a minima d’une révolution de la production, dont elle incarne, parfois de façon démesurée, les espoirs et les craintes.

Productivité et créativité, les deux révolutions de l’IA

Une révolution industrielle se caractérise notamment par une ou plusieurs ruptures technologiques qui prennent une place centrale dans le fonctionnement de nos sociétés, la transformant profondément. À ce titre, l’IA, et en particulier une IA qui sort du domaine fermé des GAFAM et experts data science, une IA qui, d’une part, a été entraînée sur l’entièreté du web avec ses tera-octets de données de tout type via une puissance de calcul inégalée, et une IA qui, d’autre part, devient accessible au plus grand nombre, dans un contexte personnel comme professionnel, peut apporter un nouveau tournant sans doute bien davantage que la diffusion des ordinateurs ou l’irruption de l’internet et des smartphones qui ont, par leur démocratisation, révolutionné les pratiques quotidiennes au cours de ces 40 dernières années. Comme les révolutions antérieures, celles de l’agriculture, l’énergie, le transport ou le textile, l’arrivée de l’IA peut générer un bond phénoménal de productivité. Des études annoncent entre 10 % et 40 % de gains de productivité. Au-delà du chiffre, c’est plus la réalité et l’importance d’un potentiel qu’il faut tenter d’appréhender. Dans un monde où la donnée est au centre de tout, où elle est même devenue surabondante, l’IA est devenue le meilleur candidat pour trouver le plus court chemin entre l’information, d’une part, et la décision et l’action, d’autre part.

L’IA est devenue le meilleur candidat pour trouver le plus court chemin entre l’information, d’une part, et la décision et l’action, d’autre part.

L’IA est ainsi capable de synthétiser en quelques secondes des connaissances toujours plus pléthoriques et complexes, qu’il s’agisse de textes réglementaires ou de schémas techniques. L’IA permet aussi d’accéder instantanément à un premier niveau de traduction, brisant les barrières linguistiques qui, par exemple, interdisent aux plus petits acteurs (PME, TPE...) l’accès à certains marchés ou certaines sources d’informations.

Enfin, habile à générer du code, l’IA permet de passer d’un concept jeté sur le papier - un schéma, quelques indications… - à un produit numérique fini, réalisant en quelques minutes ce qui aurait pris deux jours à un bon développeur. En démultipliant les capacités humaines dans un univers de 0 et de 1, l’IA accélère le temps de façon gigantesque. Pour autant, elle ne se substitue pas aux travailleurs qui décident de l’objectif et qui, connaissant les pièges à éviter, la guident et la surveillent. Un autre bénéfice collatéral de ces gains de productivité est que l’IA peut plus particulièrement se charger des tâches basiques, répétitives, rébarbatives, chronophages, pénibles, permettant ainsi aux collaborateurs de se consacrer à des missions plus épanouissantes, qui ont plus de sens pour eux et de valeur pour l’organisation. D’aucuns pensent même qu’elle conduira à revaloriser des compétences, des "soft-skills", des qualités propres à l’humain (empathie, communication, collaboration…) sur lesquelles la machine n’égalera pas, au moins de sitôt, les hommes.

Outre la productivité, l’IA va aussi révolutionner la créativité. Là encore, il ne s’agit pas de se demander si l’IA risque, ou non, de remplacer l’humain, mais plutôt ce qu’elle peut lui permettre d’accomplir en tant qu’outil. La photographie ou la vidéo ont en leur temps pu générer le même débat ; aujourd’hui personne n’aurait l’idée de remettre en question le 7e art. L’œuvre de Refik Anadol In the Mind of Gaudí en est une magnifique illustration : c’est grâce à un "dialogue" entre l’homme et la machine qu’est née cette expérience immersive et un autre artiste, auteur d’un prompt différent, aurait obtenu un résultat tout autre. L’IA peut produire indéfiniment de l’original, de l’étonnant, car elle n’a pas de limites intrinsèques, mais c’est à l’artiste, au créateur, au designer, de savoir tirer parti de cette liberté absolue.
Ce dialogue créatif doit aussi être envisagé dans l’autre sens. Précisément parce qu’elle n’a aucune inhibition, l’IA peut produire des suggestions à première vue extravagantes, mais qui peuvent se révéler d’excellents tremplins à la créativité. Dans une séance d’idéation, par exemple, les rapprochements inattendus et les idées en apparence absurdes de l’IA peuvent constituer l’aiguillon capable de débloquer le groupe et de faire avancer la réflexion individuelle et collective.

La santé et l’environnement, des secteurs à l’aube d’un bouleversement ultra souhaitable

Si le bond en matière de productivité et de créativité concerne toutes les activités, certains secteurs clés seront plus particulièrement transformés par la généralisation de l’IA. C’est le cas de la santé. On sait ainsi aujourd’hui que l’IA est reine pour détecter au plus tôt des mélanomes ou des tumeurs cérébrales, ce qui permet une prise en charge plus rapide et un taux accru de rémission. Au-delà du simple diagnostic, l’IA peut aussi aider à mieux choisir la thérapie en fonction du profil du patient, à accroître l’efficacité des traitements en optimisant le protocole, ou encore à mieux flécher les dépenses de santé : par exemple en déterminant à l’avance si un malade pourrait répondre positivement à un traitement par immunothérapie, là où seuls 15 à 30 % de la population y répond.

L’environnement est un autre domaine où l’IA présente un intérêt majeur, à la fois pour mieux comprendre ses dynamiques extrêmement complexes et pour renforcer les politiques de préservation, d’atténuation et d’adaptation.

L’IA est ainsi capable de traiter à grande échelle des images et diverses données de surveillance pour détecter, par exemple, les départs de feux de forêts, aujourd’hui pour la plupart signalés par des randonneurs ou des automobilistes. Alors qu’il faudra s’adapter à des événements climatiques de plus en plus extrêmes et fréquents, elle saura les annoncer plusieurs jours à l’avance et simuler leurs impacts, permettant ainsi aux pouvoirs publics de les anticiper et aux populations de se protéger.

L’IA est ainsi capable de traiter à grande échelle des images et diverses données de surveillance pour détecter, par exemple, les départs de feux de forêts.

Un enjeu stratégique vital

De l’éducation à l’agriculture, des médias à la sécurité, on pourrait prolonger presque indéfiniment la liste des secteurs essentiels que l’IA va révolutionner. Autrement dit, ce sont tous les piliers qui fondent notre société, tout ce qui fait l’indépendance, l’efficacité et la spécificité de notre modèle français et européen qui sera transformé. Tout au long de l’histoire, la technologie a été pour ceux qui la maîtrisaient une condition de la souveraineté et pour certains l’instrument de leur domination. Notre époque n’est pas différente et l’IA risque fort d’être cette technologie stratégique. Face au leadership en la matière des États-Unis et de la Chine, l’Europe doit sans tarder décider et se mettre en mesure d’affirmer sa vision technologique forte et singulière. Elle ne peut se contenter de vouloir contenir et réguler la technologie des autres. Tôt ou tard elle aura à favoriser la naissance de ses propres champions et à allouer des moyens à la hauteur de l’enjeu.

Ceci est d’autant plus crucial dans un contexte géopolitique en pleine reconfiguration. Après des années d’ouverture et d’échanges mondialisés, les conflits, les nationalismes, l’instabilité sociale et politique, les aléas sanitaires et environnementaux redressent des barrières. Dans ce contexte incertain, personne ne peut plus se permettre de dépendre totalement des autres, surtout en ce qui concerne la souveraineté, la maîtrise et l’approvisionnement des technologies fondamentales. Et il ne faut certes pas négliger le rôle et l’influence des BigTech qui développent des stratégies mondiales et dont les ambitions peuvent ébranler certaines dimensions majeures de ce que nous mettons derrière le concept de souveraineté.

Ne pas se tromper de combat

On le voit, l’IA sera partout et d’une importance capitale. Elle va se répandre non pas sous l’impulsion d’une poignée d’individus et de multinationales promoteurs de l’innovation à tout prix, mais bien parce qu’elle apportera trop d’avantages, à trop de monde, pour qu’on puisse y renoncer. La question qui se pose est donc de savoir quelle sera notre attitude face à ce train lancé à toute allure et que rien n’arrêtera : allons-nous monter à bord pour en profiter et influencer sa trajectoire, ou bien allons-nous nous contenter de gesticuler sur son passage, au risque d’être au mieux irrémédiablement distancés, au pire impitoyablement écrasés ?

Pour répondre à cette question, nous devons avant toute chose nous rappeler que l’IA n’est qu’un outil et que, comme un couteau, son utilité ou sa nocivité dépend avant tout des mains entre lesquelles elle se trouve. Nous ne devons donc pas nous tromper de combat : ce qui doit nous préoccuper, ce n’est pas l’IA en tant que telle, mais bien le fait qu’elle soit utilisée convenablement et à bon escient.

L’IA n’est qu’un outil et que, comme un couteau, son utilité ou sa nocivité dépend avant tout des mains entre lesquelles elle se trouve.

L’IA peut aider à mieux traiter l’information en la classant, triant, synthétisant, traduisant, en la rendant "parlante" (génération de tableaux, graphiques, schémas et autres visuels permettant de mieux appréhender une somme complexe d’informations) … ou créer de la désinformation (génération de fakes facilitée, tant en qualité qu’en quantité). Dans les deux cas, la technologie est identique.

Et notre vigilance devra tenir compte du type d’opérateur, les États, les entreprises grandes et petites, le grand public, et… la darksphere qui dans tous les cas ignorera les régulations quels qu’en soient les émetteurs !

La technologie au service d’une vision du monde

L’IA, comme toute technologie, est un produit humain et, à ce titre, elle est utilisée dans la perspective d’une vision du monde. Entre une voiture japonaise et une voiture française, entre un logiciel de gestion allemand et logiciel de gestion américain, on voit d’emblée les différences d’approche, de finalité, de caractéristiques, bref de culture. Même si cela ne saute pas aux yeux, il en va de même pour l’IA. C’est pourquoi l’Europe peut souhaiter des IA dans lesquelles soient fondamentalement inscrites ses valeurs humanistes de liberté, d’égalité, de démocratie, de respect du droit et de la dignité humaine. La défiance qu’inspire aujourd’hui l’IA ne tient sans doute pas tant à l’IA elle-même qu’aux réserves qu’inspire à certains un outil développé, vanté et détenu par des multinationales non européennes. Le défi est dès lors la capacité de notre continent à revenir dans cette course et non à édicter des règles dont il est à craindre qu’elles soient contournées. Au contraire, une vision mobilisatrice, crédible et cohérente avec ces valeurs pourra mobiliser et attirer les talents nécessaires à son développement. Nous avons en Europe les talents pour ce faire !

Pour être audible, la France et l’Europe doivent retrouver une crédibilité et contribuer visiblement aux avancées de l’IA. L’exemple de Mistral montre que c’est possible. Les BigTech qui nous intimident se sont développés dans le monde du commerce entre entreprise et particulier ("Business to consumer" ou B2C) qui n’est pas le domaine d’excellence de l’intervention publique (et c’est une litote) mais le développement d’écosystèmes, de réseaux regroupant l’ensemble des acteurs économiques et de partenariats public-privé est sans doute une piste à creuser, à l’image de ce que Singapour est en train de mettre en place : la cité-État a mis un milliard d’euros sur la table sur les 5 prochaines années pour financer la puissance de calcul, la mise à niveau des réseaux de télécommunication, la mise en place de centres d’excellence dédiés à l’IA ; ce budget doit aussi servir à l’innovation et l’accélération de la transformation digitale des entreprises par la connaissance du potentiel de l’IA et de ses cas d’usage.

L’IA nécessite des investissements massifs, que ce soit pour accéder aux puissances de calcul ou aux semi-conducteurs indispensables à l’entraînement des modèles (pensez à l’acquisition de 350 000 accélérateurs GPU Nvidia H100 par Meta). Or, la recherche et développement reste l’un des points faibles de l’Europe en notant en particulier le déficit de financement privé. En 2022, les quatre premiers investisseurs en R&D mondiaux (tous secteurs confondus) étaient, sans surprise, Alphabet, Meta, Microsoft et Apple, avec des investissements allant de 25 à 47 milliards d’euros. Nvidia, au cœur de la révolution de l’IA, a fait bondir son budget R&D de 40 %. L’Europe en est loin et doit impérativement se réveiller !

De la mise en place d’une réglementation qui soutient l’innovation et d’une gouvernance à l’écoute du terrain

L’Europe a été constituée autour d’un marché unique protégé par une réglementation unifiée. Mais, depuis, la construction européenne se caractérise par un empilement de réglementations. Celles-ci s’imposent pour réguler certains usages, notamment ceux ayant des impacts négatifs sur l’Homme ou la Planète. Rechercher les principes d’une IA de confiance relève du bon sens et permettra d’atteindre un haut niveau de qualité, de fiabilité, d’adoption et d’amélioration continue. Mais nous sommes convaincus que réguler sans se donner le moyen d’être à la pointe de l’innovation ne peut que donner à nos esprits les plus inventifs l’envie d’aller déployer leurs idées ailleurs. Et sans renoncer à chercher à identifier ce qui peut être fait au niveau national où existent un nombre de talents considérable et une capacité de réflexion de qualité sur les leçons à tirer des développements en cours en matière de régulation, il est clair que le théâtre pertinent pour des initiatives en ce sens est l’Europe. le théâtre pertinent pour des initiatives en ce sens est l’Europe. Certains sont tentés d’instituer une gouvernance dès à présent. Nous nous demandons si cela ne revient pas à mettre la charrue avant les bœufs.

Ce qui est sûr, c’est que toute tentative de gouvernance est à chercher aux niveaux européens et mondiaux, seuls échelons à même de peser sur le monde. Enfin, il nous paraît indispensable que cette gouvernance soit ouverte à l’expertise, aux mondes académique et économique, des starts-ups aux grands groupes, à l’image du GIEC qui rassemble les scientifiques et qui travaille main dans la main avec les Conferences Of Parties, les fameuses COP s’agissant du climat.

[...] le théâtre pertinent pour des initiatives en ce sens est l’Europe. Certains sont tentés d’instituer une gouvernance dès à présent. Nous nous demandons si cela ne revient pas à mettre la charrue avant les bœufs.

Investir dans l'Éducation

On parle beaucoup de réglementation et trop peu de formation. Notons d’abord l’émergence d’un nouveau savoir-faire, le prompting. Apprendre à interroger une IA est et sera déterminant et il est déjà visible que "prompter" est une technique qui fait la différence. Dans le monde d’avant, nous valorisions le savoir et les connaissances. L’IA, et l'accès qu’elle procure à une information digérée et personnalisée nous fait basculer d’un monde où le pouvoir ne repose plus sur ceux qui ont les réponses mais sur ceux qui posent les bonnes questions. Alors, bien-sûr, nous devons être conscient que notre cerveau devra lui aussi suivre un programme régulier de renforcement intellectuel pour conserver son esprit critique. Cet enjeu d’un "réarmement" de l’intelligence humaine face à l’IA pose directement la question de l’éducation et, au-delà, celle de notre place dans un monde du travail bouleversé par la transformation. Au-delà du renforcement de l’esprit critique et de la prise de recul, le système éducatif va devoir aider à mieux faire le tri entre les vraies et fausses informations, à se poser la question de la source, des enjeux de son émetteur, à croiser et recouper les informations. Le renforcement du socle de base des compétences scolaires, de la culture et du raisonnement vont également être plus cruciaux que jamais. Dans les classes supérieures, la capacité à comprendre les principes élémentaires de l’informatique, le fonctionnement de base des IA et la capacité à bien "prompter" vont sûrement devoir être enseignés. Par ailleurs, l’école va devoir veiller et ne pas lésiner sur l’une de ses missions sous-jacentes : instiller profondément l’appétence au renouvellement et à l’auto-formation des élèves et futurs citoyens actifs.

Ensuite, au-delà de la formation initiale, c’est aussi la question de la transformation de la formation continue dont il va falloir se préoccuper. Une formation qui doit s’appuyer sur la formation structurée (délivrée par des organismes de formation, correspondant à un programme de formation), déjà bien en place aujourd’hui, mais aussi et surtout une formation plus quotidienne en liaison avec les entreprises et en relation avec l’évolution de leurs besoins. Comme les êtres humains, les emplois naissent et meurent ; c’est un fait. Mais, au total, s’agissant des conséquences de l’arrivée de l’IA, l’OIT prévoit plus une transformation du monde du travail (13 % des emplois) qu’une disparition de l’emploi ; le Forum économique mondial prévoit même une augmentation du nombre d’emplois.

Une exigence de leadership

En actionnant ces différents leviers indissociables, l’Europe peut devenir actrice et bénéficiaire de la révolution de l’IA, et non se contenter d’en être d’abord la spectatrice, puis (inévitablement ?) la victime. De ce point de vue, il est essentiel de ne pas fermer les yeux sur les menaces géopolitiques présentes, de la cyberguerre à la déstabilisation démocratique, tout intégrant à la vision de l’IA, la prise en compte de ses risques à plus long terme sur la société et l’environnement.

Cette vision forte, inspirante, responsable, qui sous-tend tout l’édifice d’une IA par les Européens pour les Européens, ne peut exister sans leaders pour la porter, l’incarner, la défendre. L’essor de l’IA va poser des questions aussi fondamentales qu’innombrables. Quelles seront les tâches respectives de l’intelligence humaine et de l’intelligence artificielle ? Quelles formations devrons-nous suivre pour rester employables ? Quelle éducation devront recevoir nos jeunes ? Comment leur inculquer les compétences technologiques de base, la culture générale et l’esprit critique indispensables pour naviguer dans un monde façonné par l’IA ? Comment éviter de perdre en route une partie de la population alors que les changements iront en s’accélérant ? Toutes ces interrogations, il appartient à nos dirigeants de s’en emparer pour que la société dans son ensemble puisse y répondre de façon éclairée et dans l’intérêt général.

En fin de compte, l’IA pourrait bien compter parmi les outils les plus transformateurs de l’histoire de l’humanité. Le débat porte prématurément sur une régulation dont les termes mêmes devront être actualisés à mesure que les avancées de l’IA seront comprises. Travaillons d’arrache-pied à remettre l’Europe et la France au premier rang de l’innovation et de l’anticipation des changements induits, en misant sans attendre sur l'éducation.

Copyright image : Sébastien BOZON / AFP

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