AccueilExpressions par MontaignePalestine - Le "moment 2003" d’Emmanuel MacronLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Moyen-Orient et Afrique23/09/2025ImprimerPARTAGERPalestine - Le "moment 2003" d’Emmanuel MacronAuteur Michel Duclos Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie En reconnaissant l'État de Palestine, Emmanuel Macron a montré que la voix diplomatique de la France portait encore, comme lors de l’opposition aux frappes américaines en Irak de 2003. Pourtant, les polémiques ne manquent pas : gage au Hamas ? Antisémitisme ? Symbole trop en deçà des urgences ? En soulignant les retombées concrètes et en rejetant certaines accusations infamantes, Michel Duclos rappelle aussi que la balle est désormais dans le camp de Donald Trump.Comment ne pas penser qu’Emmanuel Macron a vécu, ce 22 septembre 2025, à New-York, dans l’enceinte des Nations-Unies, son "moment 2003" en déclarant que le "temps était venu" de reconnaître l’État de Palestine" ?On saisit d’emblée le principal élément de parallèle : en 2003, la France de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin prenait la tête de l’opposition à l’invasion américaine de l’Irak ; en 2025, la France aura été, dans les jours précédant New-York, le premier membre permanent occidental du Conseil de Sécurité et membre du G7 à annoncer son intention de reconnaître l’État de Palestine. Dans les deux cas en défiant les États-Unis - et cette fois en s’exposant de surcroît à la vindicte du gouvernement israélien ; dans les deux cas, en étant capables d'entraîner d’autres puissances : l’Allemagne, la Russie, la Chine en 2003 ; le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie, le Portugal et d’autres cette année, sans compter l’Arabie saoudite, co-présidente avec la France de la conférence de New-York, et les États arabes que Paris a su habilement associer à toute l’entreprise.En 2025, la France aura été, dans les jours précédant New-York, le premier membre permanent occidental du Conseil de Sécurité et membre du G7 à annoncer son intention de reconnaître l’État de Palestine.Nous avons mentionné le Royaume-Uni. Belle prise de guerre, qui n’avait rien d’assurée quand l’Élysée a commencé à dévoiler ses intentions au début de cette année, de même qu’en 2003 le soutien de l’Allemagne paraissait presque incroyable.Dans l’affaire irakienne, c’est le chancelier Schroeder qui avait imposé sa ligne à la classe politique allemande et à un service diplomatique à vrai dire terrorisé par l’audace du Chancelier, tandis qu’aujourd’hui c’est plutôt la base du parti travailliste - et le parti libéral - qui contraint Sir Keir Starmer à "suivre Macron" (et même, dans l’annonce officielle, à le précéder, puisque le Royaume-Uni a procédé officiellement à la reconnaissance de l’État palestinien dès le 21, avec le Canada et l’Australie - Commonwealth oblige). Mais au fond l'essentiel n’est peut-être pas là : si Londres, Ottawa, Canberra, Lisbonne, Bruxelles et d’autres capitales sont parvenues, à partir d’ailleurs de prémisses un peu différentes des nôtres, aux mêmes conclusions que Paris, n'est-ce pas que le président Macron et la diplomatie française ont bien perçu ce que l’on appellera pour faire court un certain sens de l’Histoire ?Une lecture personnelleLe signataire de ces lignes, diplomate de carrière, se trouvait dans la salle du Conseil de sécurité lorsque Villepin, le 14 février 2003, a présenté avec la force que l’on sait la position de la France. Il sollicite l’indulgence du lecteur s’il s’autorise une lecture un peu personnelle de ces grands moments de diplomatie. Ce qui nous frappe le plus, c’est la capacité de notre "vieux pays", si affaibli qu’il soit sur le plan économique, politique, social et même géopolitique (le souffle de la menace russe sur notre nuque alors que le protecteur américain s’éloigne), à exprimer ou à cristalliser le sentiment très majoritaire de la communauté des nations à un moment donné. C’est à nos yeux en cela que le parallèle avec 2003 est le plus justifié et bien entendu le plus étonnant.Ne cédons pas pour autant à la complaisance. Dans le monde d’aujourd’hui, on a le sentiment que les peuples sont devenus plus cyniques, on peut douter que le geste de la France soulève le même enthousiasme dans les opinions que l’opposition aux États-Unis en 2003 ; de même, Chirac et Villepin à cette époque incarnaient une quasi-unanimité nationale ; c’est très loin d’être le cas avec la décision de Macron concernant la Palestine, notamment parce que, dans la classe politique, des formations et des dirigeants qui se réclament d’une filiation gaulliste sont plus sensibles désormais aux arguments d’Israël qu’à ceux du monde arabe.Par ailleurs, plus encore qu’en 2003, les critiques dénonceront la posture "grandiloquente" de la France, l’arrogance d’un président prompt à "donner des leçons" à la terre entière quand sa propre maison traverse une crise profonde. De la "grandeur", chère à de Gaulle, à la "grandiloquence", le pas est en effet vite franchi. Faut-il pour autant céder à une autre tentation, celle de dénigrer les autorités de notre pays, alors que l’on peut difficilement nier le succès, voire l’exploit diplomatique, qu’a représenté l’initiative franco-saoudienne débouchant sur la reconnaissance de l’État de Palestine ?On peut difficilement nier le succès, voire l’exploit diplomatique, qu’a représenté l’initiative franco-saoudienne débouchant sur la reconnaissance de l’État de Palestine ?Nous ne sommes pas enclins à écarter d’un revers de main les critiques. Certaines nous paraissent cependant peu fondées, voire absurdes : non, la reconnaissance d’un État de Palestine ne "récompense pas" le Hamas puisqu’elle tend précisément à distancer l’opinion palestinienne de l’organisation terroriste, désormais désavouée, grâce à l’initiative franco-saoudienne, par la Ligue arabe ; bien entendu, le geste en faveur de la Palestine n’a rien à voir avec de l’antisémitisme.En 2003 déjà, les néo-conservateurs américains avaient répandu la même accusation infamante contre la France ; pour couper court à cette campagne. Il avait suffi d’une lettre courageuse de notre ambassadeur à Washington, Jean-David Levitte, adressée à Commentary en réponse à un article publié par la revue, signée "en tant qu’ambassadeur de France, en tant que diplomate et que juif français".D’autres critiques méritent plus d’attention. Ne fallait-il pas attendre, ne serait-ce que par égards pour les Israéliens, que les otages soient libérés ? Ou qu’un cessez-le-feu soit en place ? Nous risquions alors de nous heurter à une aporie : rendre notre attitude prisonnière des postures extrémistes de part et d’autre. Il est à craindre que le Hamas ne voie son salut que dans la prolongation du conflit, sauf à obtenir gain de cause sur une acceptation par Israël de sa domination sur Gaza. Et il suffit de lire la presse israélienne - et d’entendre l’indignation des familles d’otages - pour douter que le gouvernement de M. Netanyahu attache beaucoup de prix à la libération des otages.Avouons là aussi notre sentiment personnel : bien entendu, si la diplomatie française était capable d’obtenir la libération des otages et d’arrêter le massacre à Gaza, ce serait plus important, plus urgent qu’un geste diplomatique concernant un État palestinien ; mais compte-tenu du peu de leviers à notre disposition pour modifier dans l’immédiat les calculs du Hamas et ceux de la coalition au pouvoir à Jérusalem, il est légitime que nous utilisions les instruments qui sont à notre portée pour défendre cette perspective raisonnable qu’est la solution à deux États. Il est légitime que nous tentions tout ce qui est possible pour forcer le destin.Ces manœuvres diplomatiques, dira-t-on, se situent dans un monde parallèle au monde réel. Nous ne pensons pas que ce soit exact. La diplomatie française n’a pas tort de faire valoir que par leur initiative sur la solution à deux États, la France et l’Arabie saoudite ont déjà engrangé quelques résultats : des promesses de réformes et d’élections générales dans un délai d’un an du côté de l’Autorité palestinienne, une mise au ban sans ambiguïté du Hamas par les États arabes, une volonté affirmée de ceux-ci de relever Gaza le jour venu et d’autres mesures contenues dans les résolutions des Nations-Unies. Toutefois, comment faire en sorte que les engagements pris par les uns et les autres se traduisent effectivement dans les faits ? Dans la démarche des pays qui reconnaissent un État palestinien, il y à incontestablement un élément de pari, celui d’enclencher une dynamique qui favorise à terme un véritable règlement du conflit.Les limites du pari de la reconnaissanceOn touche là la vraie limite à laquelle l’initiative franco-saoudienne risque de se heurter : quelle garantie avons-nous qu’une telle dynamique puisse se produire, si nous ne pouvons influencer les acteurs directement en conflit sur le terrain ? Nous avons donné dans une tribune pour le journal Le Monde notre réponse, là aussi personnelle : s’il n’y a pas de cessez-le-feu à Gaza, et si à un moment donné Israël n’adopte pas une attitude plus ouverte, la marche en avant que souhaitent Paris et tous les pays qui ont soutenu l’initiative franco-saoudienne est vouée à s’enliser. Poussons cependant plus loin le raisonnement : c’est une fait que, dans le contexte du drame actuel en Palestine, seul le président Trump paraît en mesure d’infléchir la trajectoire d’Israël, comme d’ailleurs il a été capable de le faire dans un passé récent (en janvier en imposant un premier cessez-le-feu, en juin en frappant les installations nucléaires iraniennes mais en arrêtant aussitôt le conflit Israël-Iran). Donald Trump peut-il s’élever à la hauteur de l'événement?S’il n’y a pas de cessez-le-feu à Gaza, et si à un moment donné Israël n’adopte pas une attitude plus ouverte, la marche en avant que souhaitent Paris et tous les pays qui ont soutenu l’initiative franco-saoudienne est vouée à s’enliser.On l’a vu par exemple lors de sa conférence de presse avec M. Starmer à Londres : le président américain s’oppose à la reconnaissance de l’État de Palestine, mais sur un mode moins combatif que son administration. Les sondages montrent un déclin significatif du soutien de l’opinion américaine à Israël. Autrement dit, il faudra suivre attentivement l’évolution de la position de Donald Trump dans les semaines à venir.Le président américain souhaite la normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël, dans le cadre des Accords d’Abraham, le grand succès diplomatique de son premier mandat. Peut-être le président des États-Unis peut-il être persuadé de cette évidence : pour que les Saoudiens et d’autres reconnaissent l’État d’Israël, ils ont besoin vis-à-vis de leurs opinions publiques que des gestes significatifs soient faits en direction des Palestiniens. Vue sous cet angle, l’initiative franco-saoudienne, comme tout ce qui favorise la paix dans la région, est en réalité complémentaire des "accords d’Abraham".Copyright image : SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP Le 22 septembre à l'Assemblée générale des Nations Unies à New-York, Emmanuel Macron serre la main du ministre des Affaires étrangères d’Arabie saoudite, Faisal bin Farhan Al-Saud, après avoir prononcé le discours par lequel il reconnaît la Palestine. ImprimerPARTAGERcontenus associés 19/05/2025 Reconnaissance de l’État de Palestine : il est plus que temps Augustin Motte 16/04/2025 Faut-il reconnaître l’État de Palestine ? Michel Duclos