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24/10/2022

L'Institut Montaigne éclaire : les élections italiennes

L'Institut Montaigne éclaire : les élections italiennes
 Georgina Wright
Auteur
Directrice adjointe des Études Internationales et Expert Résident
 Cecilia Vidotto Labastie
Auteur
Ancienne Responsable de projets - Programme Europe

L'Italie a un nouveau gouvernement, suite aux élections du 25 septembre qui ont porté le parti de Giorgia Meloni, Fratelli d'Italia, en tête des suffrages. Ce scrutin faisait suite au départ de Mario Draghi, contraint de démissionner le 21 juillet dernier suite à l'implosion de la coalition qui le soutenait : le Movimento 5 Stelle, la Lega et Forza Italia. 

L'indéniable victoire des camps de la droite et de l’extrême droite ne scelle pas pour autant la stabilité du paysage politique italien.

Elément clés :

  • Le gouvernement le plus à droite depuis 1945. Le nouveau gouvernement intégre les représentants des partis de la coalition de droite, composée de Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni, Forza Italia de Silvio Berlusconi, la Lega de Matteo Salvini et les Noi Moderati de Maurizio Lupi. Au total, cette coalition a remporté 44 % des suffrages. Pour la première fois, une femme, Giorgia Meloni, dirige le gouvernement italien. Son parti Fratelli d'Italia se retrouve également au pouvoir pour la première fois.

  • Le paysage politique italien reste cependant fracturé. Victorieuse sur le plan électoral, la stabilité de l’alliance de droite n'a rien d'évident pour autant. Si le parti de Meloni a remporté un succès électoral sans précédent, c'est parce qu'il a réussi à capter une part très importante de l'électorat de ses alliés, Forza Italia, mais surtout la Lega. Le soutien du Mouvement 5 étoiles est en baisse par rapport aux élections de 2018. La coalition de centre gauche n'a pas réussi à faire barrage à la montée de l'extrême droite. Enfin, l'abstention et l'indécision règnent (en hausse de 9 % par rapport au scrutin précédent avec un taux de 37 %).

  • Une coalition de droite fragile. Des divisions importantes demeurent au sein de la coalition, notamment sur l'utilité des sanctions contre la Russie et les questions fiscales. Par ailleurs, toutes les promesses économiques formulées pendant la campagne ne résisteront pas à l'épreuve du pouvoir. La coalition a promis de baisser la fiscalité sur les entreprises et les ménages, de réduire l'âge de départ à la retraite et d'augmenter les dépenses publiques. Mais une fois aux responsabilités, elle devra trancher, au risque d’amorcer une dangereuse explosion des déficits.

  • Les relations entre Rome et Bruxelles risquent de se tendre et l’influence de l'Italie au sein de l'UE pourrait être réduite. Qu'il s’agisse des questions énergétiques, économiques ou encore migratoires, Meloni a promis de défendre les intérêts italiens de manière agressive au sein de l'UE, avant les intérêts communautaires.

  • En termes de politique étrangère, le nouveau gouvernement italien aura une position atlantiste. La coalition de droite soutient l'Ukraine et les mesures européennes prises contre la Russie, même si des divisions existent au sein de la coalition, notamment sur les sanctions européennes contre la Russie. Meloni veut aussi augmenter les dépenses militaires.

Résultats de l'élection

  • Une victoire pour l'extrême droite : le parti Fratelli d'Italia remporte 26 % des voix pour les deux Chambres. C’est la première fois depuis sa création en 2012 qu’il se hisse en tête aux élections. La coalition de droite, qui comprend Fratelli d'Italia, Forza Italia de Silvio Berlusconi, la Lega de Matteo Salvini et les Noi Moderati de Maurizio Lupi remporte 44 % des votes au Sénat et à Chambre des Députés, soit une majorité pour les deux Chambres. Le centre-gauche obtient seulement 26 % des suffrages. Pour la première fois, une femme, Giorgia Meloni, est élue Presidente del Consiglio dei Ministri.

  • Une coalition de droite au pouvoir : Fratelli d'Italia gouverne avec ses partenaires de coalition. Le programme électoral de la coalition comprenait des promesses de réduction d’impôts, d'augmentation des recettes publiques et une politique migratoire plus radicale. Les déclarations de Meloni sur la protection de la "famille naturelle" ainsi que ses critiques envers ce qu'elle appelle les "lobbies LGBTQ+" sont une source d'inquiétude pour la société civile et les associations qui œuvrent pour la protection de ces droits.

  • Le succès de Fratelli d'Italia s’explique à la fois par le franc-parler de Giorgia Meloni, son leader charismatique depuis dix ans, et par la perte de confiance de l'électorat dans les autres partis italiens. Les Fratelli d'Italia étaient, jusqu’aux élections de dimanche, le seul parti politique de l'alliance de droite à ne jamais avoir fait partie d’un gouvernement. Le parti connaît un succès sans précédent : il a remporté 26 % des voix, contre 4 % en 2018 et 2 % en 2013.

  • Le Parlement italien sera plus réduit : en 2020, l'Italie votait, par voie de référendum, la réduction du nombre de parlementaires, qui passent de 630 à 400 à la Chambre des députés et de 315 à 200 au Sénat. C'est la première fois que cette nouvelle formation sera effective. Malgré son succès électoral, la coalition de droite n'a pas réussi à obtenir la majorité des 2/3 (138 sénateurs et 267 députés), nécessaire pour changer la constitution italienne sans passer par un référendum.

Qui est Giorgia Meloni ?

Giorgia Meloni est présidente du parti Frères d’Italie ("Fratelli d'Italia") depuis 2012. Elle est également présidente du groupe des conservateurs et réformistes européens (CRE) au Parlement européen depuis 2020.
 
Elle commence son parcours politique en 1992 à 16 ans lorsqu’elle rejoint le "Front de la Jeunesse" du Mouvement Social Italien, le parti héritier du parti fasciste de Mussolini. Elle est élue à la Chambre des députés dans le collège électoral Lazio 1 en 2006 en tant que membre du parti Alliance Nationale. Entre 2008 et 2011, elle est nommée ministre de la jeunesse au sein du gouvernement de Berlusconi.

Le résultat de l'élection ne scelle pas  la destinée politique de l’Italie. Les étapes qui séparent l’élection de la création d’un nouveau gouvernement sont nombreuses :

Première réunion des Chambres :  pour la première fois après les élections, les deux chambres se sont réunies le 13 octobre. Cette date était décisive pour la formation du nouveau parlement italien car elle a permis la désignation des nouveaux présidents de la Chambre et du Sénat, respectivement Lorenzo Fontana et Ignazio La Russa. 

Nomination du Président du Conseil des Ministres : le 21 octobre, le Président de la République, Sergio Mattarella, a nommé Giorgia Meloni Président du Conseil des Ministres, pour prendre la tête du gouvernement. Traditionnellement, le Président de la République nomme le ou la chef(fe) du parti qui a remporté le plus de voix à l’élection.

Nomination des ministres : la nouvelle Présidente du Conseil des Ministres a formé son gouvernement. Chaque nouveau ministre a été également nommé par le Président de la République. Le nouveau gouvernement compte 9 sénateurs et 7 députés. Parmi ces derniers, le député Antonio Tajani, a été nommé ministre des affaires étrangères, et Raffaele Fitto est le nouveau ministre chargé des affaires européennes.

Vote de confiance : une fois le gouvernement formé, il prépare un programme de travail qui fera l’objet d’un vote de confiance au sein de la Chambre des députés et du Sénat. Le vote se tiendra le mercredi 25 octobre à 19:00.

Après la présentation de la Note d'Actualisation du Document d’Économie et Finance au Parlement, qui reprend toutes les dépenses publiques, y compris les données de croissance économique et le niveau de dette, la prochaine grande échéance du gouvernement sera l’adoption de la nouvelle loi budgétaire  par le Parlement italien. Elle devra être votée au plus tard le 31 décembre.

Enjeux pour l’Europe et le monde

Enjeux économiques

Les promesses électorales de la coalition de droite sur le plan économique ne pourront être toutes respectées. Néanmoins, l'économie italienne, minée par des problèmes structurels, reste une source d'inquiétude pour l'UE. En mai 2022, la dette italienne atteint 152,6 % du produit intérieur brut (PIB). La coalition prévoit une diminution de la fiscalité sur les ménages et les sociétés, une réduction de l'âge de départ en retraite, une augmentation des pensions de retraites minimales à 1 000 € (contre 515,58 € aujourd'hui) sans pour autant préciser le coût total des mesures proposées. Les conséquences sont claires : plus d'endettement et plus de volatilité au sein de la zone euro. Signe d'inquiétudes persistantes des investisseurs sur la dette, le "Spread", c'est-à-dire l'écart entre le taux d'emprunt à 10 ans allemand et celui de l'Italie à 10 ans, a grimpé de 218 points début septembre à 235 points à la fin du mois, une hausse de 6,68 %.

Si le nouveau gouvernement décide de ne pas respecter les règles fiscales européennes, la Banque centrale européenne (BCE) pourrait bloquer l'accès de l'Italie à l'arme anti-fragmentation, qui facilite les achats de dettes publiques de pays de la zone euro par la BCE. Le gouvernement devra donc trancher et il faudra attendre la nouvelle loi budgétaire pour 2023, qui doit être présentée et débattue au Parlement avant la fin de l’année, pour en savoir plus. 

Le plan de relance et de résilience italien pourrait faire l'objet de frictions entre Rome et Bruxelles : l'Italie est le premier bénéficiaire du plan de relance européen post-Covid Next Generation EU, avec une enveloppe de 209 Md€, dont une partie sous forme de subventions non-remboursables (le PNRR a été approuvé par le Parlement le 27 avril 2022 et la Commission européenne a donné son feu vert le 22 Juin 2022). L'Italie a touché 24,9 Md€ de financement en août 2021 et 21 Md€ en avril 2022. La date limite pour la réalisation des 55 objectifs du Plan de relance et de résilience italien pour avoir accès à la prochaine tranche de fonds est le 31 décembre 2022. À ce jour, seul 48,9 % des réformes exigées pour toucher aux fonds de relance européen ont été mises en œuvre. Des réformes sont nécessaires si l'Italie souhaite bénéficier des prochaines tranches de financement. Or, la coalition affirme vouloir réviser le plan de relance de l'Italie. L'objectif : faire face à la crise énergétique en diversifiant les sources d'approvisionnement et en reversant une partie des fonds du plan de relance aux consommateurs et aux entreprises. Cette renégociation du plan de relance avec la Commission européenne s'annonce particulièrement longue et complexe. L'aboutissement des négociations n’est pas garanti.

Réformes institutionnelles et immigration

La coalition des partis de droite ne souhaite pas sortir de l’UE, ni de la zone euro, mais elle veut une union plus politique, et moins bureaucratique. En effet, la première phrase du programme de coalition rappelle l’attachement des partis à l’intégration européenne. Meloni souhaite bâtir une Europe des nations fondée sur les valeurs chrétiennes et le respect des identités nationales où la loi italienne prime. Elle déclare notamment vouloir défendre sans relâche les intérêts italiens à Bruxelles. Ceci pourrait compliquer les discussions sur la solidarité européenne, notamment énergétique, au sein du Conseil de l'UE et réduire l’influence de l'Italie en Europe.

La position d'un gouvernement Meloni envers des États membres comme la Hongrie et la Pologne - qui ne respectent que très partiellement le droit européen - sera, de fait, moins critique. Même si la primauté du droit italien sur le droit européen ne figure pas dans le programme de la coalition, Fratelli d'Italia avait signé en 2018 un projet de loi constitutionnelle visant à atteindre cet objectif. Elle risque donc d'être moins critique des États membres qui revendiquent défendre "leur souveraineté nationale". Le parti a notamment critiqué le vote du Parlement européen qualifiant la Hongrie "de ne plus être une démocratie accomplie" et, avec Lega, a voté contre le rapport. Ceci présage des problèmes au sein du Conseil de l'UE. La Première Ministre française Elisabeth Borne a notamment déclaré : "on sera attentifs, et (avec) la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à ce que les valeurs sur les droits de l'Homme et notamment le respect du droit à l'avortement soient respectés".

L'Italie pourrait entraver - sans les bloquer pour autant - les discussions au sein du Conseil. Si l'Italie devait former un bloc avec la Pologne et la Hongrie, il est difficile d'imaginer une situation dans laquelle elles pourraient, à elles seules, bloquer les décisions européennes. D'abord, la plupart des votes au sein du Conseil de l'UE (composé des 27 États membres) se tiennent selon la méthode de la majorité qualifiée. Cela signifie que l’Italie, la Pologne et la Hongrie auraient besoin de l'appui d'autres États membres pour bloquer une proposition (cette majorité devant représenter au moins 55 % des États représentant au moins 65 % du total de la population européenne). Ensuite, si Meloni partage une vision du projet européen similaire à celles des gouvernements polonais et hongrois,  ils ne sont pas toujours en accord, comme le montre la question migratoire ou encore la guerre en Ukraine.

Les discussions sur la politique migratoire de l'UE deviendront plus compliquées. Le parti de Meloni veut radicalement changer la politique migratoire de l'UE. La coalition souhaite développer une meilleure gestion des frontières ; la création de 'hotspots' dans des pays tiers pour traiter les demandes d'asile pour l'UE et de nouveaux accords avec les pays du Maghreb pour mieux contrôler les flux migratoires. À la différence de la France, la coalition veut drastiquement limiter l’accueil - qui ne concernerait plus que les demandeurs d’asile - et sélectionner "des personnes provenant de pays qui n’ont pas de problèmes de sécurité et de terrorisme". Meloni souhaite instaurer une approche équilibrée de gestion de la migration légale et de lutte contre la migration clandestine qui garantit un traitement équitable des ressortissants de pays tiers séjournant légalement dans les États membres. Plusieurs pays européens y sont opposés, dont la Pologne et la Hongrie. 

Politique étrangère

L'Italie continuera à soutenir l'Ukraine et les mesures européennes existantes. La coalition de droite soutient clairement l’Ukraine et les mesures prises par l’UE. Néanmoins, Salvini, chef du parti Lega, s’est plusieurs fois prononcé contre les sanctions européennes envers la Russie, considérant que les répercussions se font davantage sentir en Europe qu’à Moscou. La coalition est également divisée sur les livraisons d’armes à l’Ukraine.

La coalition souhaite accroître l’influence de l’Italie au sein des instances multilatérales. Le premier point du programme de coalition stipule même que "l'Italie restera partie intégrante (...) de l'Alliance atlantique et de l'Occident". Meloni veut une Europe plus puissante, notamment sur le front militaire, mais elle risque de privilégier l'OTAN, plutôt que l'UE de la défense, pour y répondre. La coalition veut également une augmentation des dépenses militaires à 2 % du PIB, contre 1,54 % en 2022. Enfin, Meloni est pro-Atlantiste et pourrait devenir une alliée pour le parti Républicain en amont des mid-terms prévues pour novembre 2022.

Enjeux pour la France

La relation bilatérale sera moins soudée qu'elle ne l’était sous l'ère Draghi, qui était marquée par un alignement profond entre les dirigeants français et italien. Néanmoins, elle ne s'effondrera pas complètement pour autant. Dans un entretien avec le Figaro, Meloni définit la France comme "nation amie" et insiste sur le fait que "les tensions n’auront pas raison de surgir". Malgré cette déclaration, elle a souvent violemment critiqué la France.

Le Traité du Quirinale signé en 2021 par le Président Macron et le Président du Conseil Mario Draghi, sera maintenu, du moins dans le court terme. Dans un entretien pour Le Figaro, Meloni a maintenu que "le traité est en vigueur et nous donne un cadre : il appartient aux gouvernements et aux hommes politiques de lui donner un contenu". Néanmoins, elle n'y a pas toujours été favorable. À l'heure de la signature du Traité franco-italien du Quirinale, le parti Fratelli d'Italia s'y était opposé, considérant qu'il s’agissait d'un pur instrument de subordination de la France. Ceci n'est pas étonnant étant donné que Meloni s'est déjà dite opposée à l'intégration européenne par les traités bilatéraux.

Les questions d’extradition de terroristes italiens actifs pendant les "années de plomb" risquent de tendre ultérieurement la relation bilatérale. Dans les années 1980, la France de Mitterrand a offert refuge aux terroristes italiens d’extrême gauche, refusant de les extrader vers l’Italie, où des lois pénales particulièrement sévères et des procédures judiciaires exceptionnelles avaient été mises en œuvre pour lutter contre le terrorisme politique. En juin 2022, la cour d’appel de Paris a rejeté l’extradition de dix terroristes italiens des "années de plomb" et provoquant l’indignation de la droite italienne. Le nouveau ministre des affaires étrangères italien, Antonio Tajani, avait notamment accusé la France de participer activement "à un projet criminel et subversif".

Quant à l'Union européenne, la France et l'Italie auront quelques priorités en commun. Comme la France, la nouvelle coalition (et la plupart des partis italiens) plaide pour une révision des critères du pacte de stabilité et de croissance. Meloni est également favorable à une réforme de la gestion de droit d'asile au sein de l'UE, qui était l'une des priorités de la Présidence française du Conseil de l’UE cette année. Cependant, la France et l'Italie ne seront pas des alliés "naturels" au sein du Conseil. 

L'Afrique, comme sujet de coopération et de discorde. En effet, le parti Fratelli d'Italia a souvent dénoncé les politiques africaines de la France qu'il considère néocolonialistes. Meloni a également accusé la France d’être en partie responsable de l'immigration de masse provenant du continent africain vers l'Europe. Par contre, le programme de centre droit souhaite renforcer les relations entre l'UE et l'Afrique, notamment à travers un plan de soutien à l'Afrique pour le développement économique et la stabilité politique. Ceci pourrait représenter l’un des terrains d’entente entre Paris et Rome.

 

Co-écrit avec Camilla De Luca, assistante chargé d’études au programme Europe.

 

Pour poursuivre l'analyse des élections italiennes, consultez le décryptage de Marc Lazar.

 

Copyright : Andreas SOLARO / AFP

 

 

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