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21/09/2023

[Le monde vu d'ailleurs] - Quel avenir pour la France en Afrique ?

[Le monde vu d'ailleurs] - Quel avenir pour la France en Afrique ?
 Bernard Chappedelaine
Auteur
Ancien conseiller des Affaires étrangères

Tous les quinze jours, Bernard Chappedelaine, ancien conseiller des Affaires étrangères, nous propose un regard décalé sur l'actualité internationale. Nourris d'une grande variété de sources officielles, médiatiques et universitaires, ses décryptages synthétisent les grands enjeux du moment et nous invitent à poursuivre la réflexion en compagnie des meilleurs experts étrangers. Cette semaine, il examine les perspectives de la France en Afrique. 

Comment redonner une dynamique aux relations entre la France et les pays du Sahel ? Au Royaume-Uni, on suggère de fermer les bases militaires et d’investir plus largement dans le soft power. En Allemagne, on invite l'Europe, qui a compté trop longtemps sur la France, à prendre le relai. Partout, on relève que, si succès tactiques il y a, ils ont été impuissants à construire une vision stratégique cohérente. La Russie, quant à elle, refuse de servir de bouc émissaire aux difficultés de la France mais veille à ne pas acter trop vite la perte d'influence de sa rivale qui dispose encore de nombreux atouts stratégiques, économiques, militaires et culturels sur le terrain. 

Investir dans le soft power

À la différence de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron n'a pas décidé de nouvelle intervention militaire sur le continent africain, rappelle l'agence Associated press (AP). Il a voulu engager la France dans une direction vertueuse, souligne The Economist. Dès 2017, à Ouagadougou, il a rappelé que sa génération n'entendait plus donner de leçons aux Africains : Emmanuel Macron a ainsi initié la restitution d'œuvres d'art au Bénin et au Sénégal, ouvert les archives, reconnu les responsabilités de la France dans le génocide au Rwanda, appelé à investir en Afrique et évoqué une réforme du Franc CFA, rappelle l'hebdomadaire. Le Président français a annoncé un nouveau partenariat pour enterrer définitivement la Françafrique, ainsi qu’une réduction de l'empreinte militaire française. La mise en œuvre de certaines de ces mesures laisse cependant à désirer, observe le Financial Times, à preuve le maintien du Franc CFA et de bases militaires. The Economist mentionne pour sa part la convocation à Pau d'un G5 Sahel, qui a fait apparaître les pays africains participants comme les obligés de la France et rappelle le soutien apporté par Emmanuel Macron au Président tchadien Idriss Deby, mort en 2021, et à son fils. Difficile, y compris pour les plus fervents supporters d’Emmanuel Macron, de citer des succès dans sa politique africaine, affirme The Spectator, qui redoute également une perte d’expertise sur l’Afrique après la suppression du corps diplomatique. 

Difficile, y compris pour les plus fervents supporters d’Emmanuel Macron, de citer des succès dans sa politique africaine.

Sa mort a beau avoir été maintes fois annoncée, la Françafrique s'avère en réalité particulièrement vivace, notent les commentateurs. À la différence d'autres puissances, comme le Royaume-Uni, qui s'est retiré de ses anciens dominions, la France a maintenu une présence militaire dans ses anciennes colonies, note le FT. À la grande époque de la Françafrique, un putsch comme celui qui vient de se produire au Gabon n'aurait pas eu lieu ou aurait été rapidement neutralisé, estime AP.

De fait, l’époque pendant laquelle les militaires français intervenaient pour apporter leur soutien aux autocrates menacés est révolue, admet la BBC. Toutefois, le maintien d'un dispositif militaire fait de la France un "bouc émissaire idéal"pour les pays africains, estime The Economist. L'échec des régimes en place à réduire la pauvreté et la violence, à combattre l'islamisme et à prendre en compte les effets du changement climatique, est imputé à leur proximité avec la France. La France a certes obtenu des succès tactiques en matière de lutte contre les groupes djihadistes, elle n'est pas parvenue à les éliminer, ce qui a fait naître des doutes sur les objectifs réels de son engagement, observe l'hebdomadaire britannique. 

Bien intentionnée ou non, cette présence, en réalité, est devenue "contre-productive" estime Michael Shurkin. La question n'est plus de savoir si le sentiment anti-français est justifié, explique-t-il : l'exemple du Niger et du Président Bazoum montre que les relations avec la France sont devenues toxiques ("le baiser de la mort") pour les régimes africains.

La France, un "bouc émissaire idéal" pour les pays africains.

"La seule conclusion raisonnable à tirer pour la France est de fermer ses bases", affirme cet expert. Au vu de la nouvelle loi de programmation militaire qui identifie les intérêts vitaux de la France en Europe et dans l'Indopacifique, un retrait militaire d'Afrique permettrait à la France de se concentrer sur ces priorités et de préparer son armée à des conflits de haute intensité, plaide Michael Shurkin. 

"Les oppositions africaines imaginent une France encore toute-puissante. En réalité, pendant que la France fait le sale boulot, ses rivaux ramassent les contrats", analyse la BBC. Elle n'a pas su contrer le narratif post-colonial ("occupation", "exploitation") qui est efficacement utilisé contre elle, en particulier par la Russie, relève aussi The Economist

Pendant que la France fait le sale boulot, ses rivaux ramassent les contrats.

Pour AP, le principal défi auquel elle est confrontée est peut-être d'ordre culturel : la France ne fait plus rêver, son image est ternie par sa présence militaire, par la réduction des crédits de coopération et par les restrictions en matière de visas.

Il ne faut pas surestimer l'importance économique de l'Afrique francophone : dans les secteurs bancaire et automobile, les entreprises françaises ont perdu leur monopole, les premiers partenaires de la France sur le continent sont désormais l'égypte, le Nigéria et l'Afrique du Sud, souligne le New York Times. En 2000, la France représentait 10 % des échanges extérieurs de l'Afrique, cette part est maintenant inférieure à 5 %, remarque le journal. D'ores et déjà, un tiers du commerce extérieur de la France, hors Union européenne, est réalisé avec la région indopacifique. 

Européaniser la politique africaine

Les coups d'État qui se sont succédé dans son "arrière-cour" ont mis en évidence une nouvelle attitude de la France, relève Michaela Wiegel. Le Président Macron a en effet rompu avec la tradition interventionniste de ses prédécesseurs pour endosser l'approche allemande (condamnations, mises en garde, menaces de sanctions, mobilisation des organisations régionales) et écarter le recours à la force. Son attitude n'est cependant pas exempte de contradictions, note aussi la correspondante à Paris de la FAZ, qui mentionne sa présence aux obsèques d'Idriss Deby et sa rencontre au printemps avec A. Bongo. D'autres commentateurs allemands se montrent plus sévères et pessimistes à l'égard de la politique africaine de la France, à l'instar de la Rheinische Post ("Le déclin français en Afrique") et du Tagesspiegel ("Le poids écrasant de l'histoire : la France a définitivement échoué en Afrique occidentale"). "Les Français recherchent d'urgence un nouveau rôle géopolitique sur le continent et la situation actuelle est particulièrement défavorable. Mali, Burkina Faso, Niger, trois putschs en moins de trois ans ont affaibli la position de la France", écrit la Süddeutsche Zeitung (SZ). D’après le quotidien, "la France n'a jamais fait beaucoup d'efforts pour susciter de la sympathie", ce qui comptait "c'était toujours le pouvoir, les affaires, les bases militaires, le Franc CFA est le symbole le plus fort de cette attitude, qui existait déjà à l'époque coloniale". En 2017, Emmanuel Macron avait déclaré vouloir rompre avec la Françafrique, mais c'est seulement en mars dernier qu'il a annoncé vouloir nouer un partenariat équilibré avec les pays africains, relève Olaf Bernau dans la Frankfurter Rundschau.

Autre expert interrogé par le journal, Ulf Laessing affirme que la France est perçue comme "arrogante", qu'elle s'intéresse peu aux populations et que, "jamais, elle n'a présenté d'excuses pour la violence et pour les conséquences de l'époque coloniale". "Le Sénégal sera-t-il le prochain [ pays à basculer ?]", se demande le Spiegel

La France est perçue comme "arrogante".

Les commentateurs allemands soulignent toutefois que la bonne coopération entre Paris et Berlin a permis l'évacuation de leurs ressortissants du Mali et du Niger. La SZ relève que les deux capitales ont proposé de sanctionner les militaires nigériens putschistes et présenté les éléments d'une nouvelle stratégie à l'égard des pays du Sahel. Dans le même temps apparaît la crainte que la présence allemande dans cette région ne pâtisse des difficultés de la France. Après l’annonce du retrait du Mali de son contingent de la MINUSMA, l'Allemagne espérait concentrer son dispositif au Niger, explique Ulf Laessing dans Focus. Niamey était pour l'Allemagne le "partenaire idéal", notamment en matière d'immigration, souligne la Deutsche Welle (DW), A. Merkel y avait effectué une visite en 2016, O. Scholz s'est rendu à nouveau dans ce pays "très important pour nous" en mai 2022. 

Le ressentiment anti-français est un gros problème pour la réputation de l'Occident dans son ensemble au Sahel.

À l'instar de Matthias Basenau, expert de l'institut GIGA de Hambourg, interrogé par la DW, qui considère que "le ressentiment anti-français est un gros problème pour la réputation de l'Occident dans son ensemble au Sahel", le Spiegel juge que "l'Allemagne a besoin d'une nouvelle politique africaine".

"Trop longtemps, déplore l'hebdomadaire, les Européens se sont reposés sur les liens coloniaux de la France en Afrique. La dernière série de putschs est un avertissement. Aujourd'hui l'Allemagne a besoin d'un plan pour résister à la Chine". "La France pourrait renoncer à son rôle dominant et laisser à d'autres pays le leadership en Afrique occidentale", propose le Tagesspiegel, qui prend pour exemple le rôle de coordination qu'exerce, depuis juillet dernier dans l'Alliance Sahel, Svenja Schulze, la ministre allemande de la Coopération. Le désengagement militaire de la France du Sahel fait que l'Allemagne ne peut plus se cantonner dans un rôle suiviste, observe pour sa part Michaela Wiegel. 

Faire une place à la Russie

Les pays occidentaux sont prompts à dénoncer la "démocratie bafouée" dans certains pays africains et "menacent" leur gouvernement, mais se montrent surpris que ceux-ci- recherchent de nouveaux partenaires qui soientprêts à dialoguer avec lui "sans parti pris", à savoir, en premier lieu, la Russie, "l'ennemi juré de l'Occident", écrit le journal Vzgliad

Depuis 10 ans, la France a enregistré dans le Sahel des succès tactiques, mais sa politique est "un échec", dès lors il ne faut pas s'étonner que ces pays se tournent vers le groupe Wagner, analyse Youri Roubinski, observateur de longue date de la France.

Depuis 10 ans, la France a enregistré dans le Sahel des succès tactiques, mais sa politique est "un échec".

Cette analyse est partagée par Sergueï Fiodorov, autre expert de l'Institut de l'Europe de l'Académie des Sciences, qui constate que la menace terroriste n'a pas été éradiquée et que les populations continuent à vivre dans le dénuement. Le problème fondamental, dit-il, c'est que "les pays africains sont mécontents de leurs dirigeants pro-occidentaux et de l'influence française". Tout en cherchant à transférer aux Africains des responsabilités plus importantes, "la France n'est pas réellement intéressée par des rapports équilibrés" avec les pays africains, affirme Alexeï Tchikhatchev. Paris propose son expertise militaire, mais entend toujours retirer des bénéfices économiques et maintenir son soft power dans le continent. Or, la France doit accepter de partager son influence avec d'autres acteurs, dont la Russie, ce qu'elle "refuse catégoriquement", accusant cette dernière "d'attiser les sentiments anti-français", note ce membre du club Valdaï. 

Les experts russes se montrent toutefois plutôt confiants quant au rôle futur de la France.

Les experts russes se montrent toutefois plutôt confiants quant au rôle futur de la France sur ce continent. On ne peut passer par pertes et profits cette influence, souligne Youri Roubinski dans les Izvestia, la France va tenter de combler ses lacunes, il est trop tôt pour prédire les résultats de ces efforts.

"Beaucoup de temps passera avant que la présence et l'influence françaises ne se réduisent, du moins en Afrique occidentale", estime ainsi Nikolaï Chtcherbakov, qui note que, malgré les vives tensions actuelles, Orano poursuit ses activités d'extraction d'uranium au Niger. Bien que la tendance soit nette, "je n'irai pas jusqu'à dire que la France a perdu toute influence en Afrique", tempère aussi Alexeï Tchikhatchev, elle dispose toujours de moyens militaires dans plusieurs États, ainsi que d'un soft power non négligeable avec sa langue et sa culture et sans oublier le sport (Kylian Mbappe). Plus que la France, c'est la Chine qui sert de référence aux experts russes. Tandis que la Russie est pourvoyeur de sécurité - elle est le premier exportateur d'armements - la Chine est le principal partenaire économique de l'Afrique, soulignent-ils. Le commerce sino-africain s'élève à 280 Mds $, un montant 15 fois supérieur aux échanges de la Russie avec le continent, souligne la Nezavissimaïa gazeta (NG). 

Depuis un an, la part de l'Afrique dans le commerce extérieur russe a progressé, passant de 2,3 % à 3,7 %, et, bien que demeurant relativement modeste (environ 20 Mds $), elle devrait nettement augmenter ces prochaines années. 

Beaucoup en Afrique voient dans la Russie un pays qui a jeté un défi à la domination de l'Occident.

Des investissements dans des projets d'infrastructures (ports...) pourraient toutefois se heurter au "mur chinois", selon la NG.A ces perspectives, dont on a discuté lors du deuxième sommet Russie-Afrique, en juillet dernier, à Saint-Pétersbourg, s’ajoute un argument politique, observe Fiodor Loukjanov : par rapport aux autres acteurs internationaux (Chine, Inde, États-Unis, UE), Moscou a pour particularité d’avoir soutenu pendant la guerre froide le mouvement de décolonisation et promu une idéologie qui se distinguait du modèle occidental. "Beaucoup en Afrique voient dans la Russie un pays qui a jeté un défi à la domination de l’Occident", remarque-t-il. 

 

Copyright Image : Ludovic MARIN / POOL / AFP

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